Accès à l'eau potable, électrification, autosuffisance alimentaire ou industrialisation du pays : le président sortant et candidat à sa propre succession Andry Rajoelina avait promis de rattraper en cinq ans le retard accumulé au cours des six décennies écoulées depuis l'indépendance du pays en 1960. Mais à l'issue de son mandat, aucune réforme structurelle n'a été réalisée pour enclencher le développement de la Grande île et plus de 8 Malgaches sur 10 vivent toujours sous le seuil de pauvreté. La rédaction de RFI vous propose de faire le bilan de ses cinq années à la tête du pays.
En cinq ans, le fameux document cadre appelé « Plan Émergence Madagascar » (PEM), censé guider la politique de développement du pays, a été maintes fois annoncé mais n'a jamais été publié dans sa version définitive.
Selon différentes études menées sur le long terme, à commencer par celle pilotée par l'ONG Ivorary en collaboration avec l'Observatoire Safidy et l'ONG Tolotsoa, seulement 13 % des promesses issues de la plus récente version provisoire du PEM ont été atteintes, 38 % sont en cours. Le reste (48 %) n'a pas encore démarré. Une vérité pour le président sortant, « qui est passé maître en poses de première pierre, en effet d'annonces et de promesses populistes impossibles à réaliser et surtout non prioritaires », relève l'opposition.
Secteur économique et industriel en souffrance
Depuis 2018, le niveau de vie des habitants a dégringolé, la pandémie n'ayant évidemment rien arrangé. La moyenne des taux d'inflation entre 2019 et 2023 s'élève à plus de 6 %. Les prix des biens de consommation ont augmenté d'au moins 30 % par rapport à 2019. Dans le Grand Sud et le Sud-Est, régions touchées par la famine et la malnutrition chronique, plus d'1 million de personnes souffrent actuellement d'insécurité alimentaire aigüe (chiffres IPC août 2023).
Côté agriculture, l'autosuffisance en riz promise est loin d'être atteinte : la Grande Île importe encore l'équivalent de 20 % de sa consommation annuelle.
Le secteur économique et industriel est en souffrance. « Les lois de finances successives n'ont été que très peu dynamiques pour l'économie du pays », rappelle un patron de groupement d'entreprises. « La plupart des projets d'infrastructures réalisés ne sont pas des investissements positifs pour le pays », poursuit-il. La délivrance des permis miniers est au point mort.
Le secteur de la vanille, en crise. Aucun des deux projets majeurs de production d'énergie hydroélectrique, dans les tuyaux depuis huit ans, n'a encore démarré, malgré plusieurs annonces faites en ce sens. L'un de ces deux projets de barrage est même complètement à l'arrêt depuis trois mois : le consortium de développement (NEHO) a demandé la rupture du contrat de concession, après d'interminables renégociations tarifaires par l'État.
Pourtant, ces deux projets s'annonçaient comme ceux qui auraient pu résoudre une partie des immenses problèmes d'approvisionnement en eau et électricité des industries du pays et de la population, soumises, ces dernières années plus encore que les précédentes, aux délestages massifs et coupures d'eau récurrentes.
La Jirama, société nationale de distribution d'eau et d'électricité, est plus que jamais à l'agonie. Le gouvernement a d'ailleurs consacré près de la moitié des Fonds Covid perçus, pour renflouer la compagnie et permettre à celle-ci de rembourser une partie de ses dettes aux entreprises pétrolières, selon l'enquête d'Ivorary. Le fonds routier, abondé par les transporteurs et prévu pour l'entretien des routes, a été durant tout le mandat de Rajoelina utilisé pour payer notamment la dette de l'État vis-à-vis de ces mêmes entreprises pétrolières. Seules quelques routes, à l'abandon depuis l'indépendance, ont été rénovées. Une demi-douzaine de zones pourtant hautement productives sur l'île s'enfoncent dans la misère, faute d'infrastructures routières permettant le transport des marchandises.
« Personne ne pourra m'ôter la victoire » affirme Andry Rajoelina
En matière d'éducation, le gouvernement Rajoelina a bien essayé de mettre en place un enseignement public obligatoire, comme l'impose la loi. « Mais tout reste encore à mettre en oeuvre » souligne un bailleur international, spécialisé dans le domaine.
En matière de lutte contre la corruption, entre 2019 et 2022, Madagascar a amélioré sa note de 2 points (indice de la perception de la corruption). « Un gain qui ne doit pas être considéré comme un progrès significatif tant la note de 26/100 est déjà basse », nuance l'ONG Transparency. Parmi les reculs enregistrés au cours du mandat, la société civile souligne deux faits majeurs : l'instrumentalisation de la politique de la justice au service des élites pro-pouvoir et l'utilisation régulière de l'immunité par les accusés. « C'est l'impunité qui a marqué ce mandat et le manque d'engagement dans la lutte anti-corruption », confie la société civile. De quoi ternir sérieusement la promesse « d'éradication de la corruption » faite par Rajoelina en 2018, lors d'un discours qui avait fait pourtant fait date.
Côté environnement, des efforts ont été faits par rapport aux politiques de reforestation. Mais les « stratégies employées sont mauvaises » confient les organismes spécialisés en la matière. Faute de sanctions et d'application de la loi, la Grande Île a perdu 500 000 hectares en cinq ans, soit plus de 6 % de sa couverture forestière.
Le tourisme aussi fait grise mine. Trois ans après la crise, le nombre de visiteurs est encore 25 % en deçà des chiffres de 2019.
Mais qu'importe son bilan, Andry Rajoelina est convaincu d'être réélu. « Personne ne pourra m'ôter la victoire », affirme-t-il à chacun de ses meetings. À la conquête d'un second mandat, le candidat à sa propre succession a d'ores et déjà promis « d'inaugurer ses réalisations » et de venir en aide aux plus démunis du pays, ces 5 prochaines années.