Au Tchad, au nom de la réconciliation nationale, tous les civils ou militaires poursuivis ou condamnés pour la répression du 20 octobre 2022 vont être amnistiés.
Au Tchad, le Conseil national de transition, qui fait office de Parlement provisoire, a voté ce jeudi en faveur d'uneloi d'amnistie générale pour les crimes commis pendant les événements du 20 octobre 2022.
La loi prévoit, au nom de la réconciliation nationale, d'amnistier tous les Tchadiens, civils ou militaires, impliqués, poursuivis ou condamnés à la suite des violences survenues lors des manifestations contre la prolongation de la transition.
La répression de la police avait alors fait officiellement 73 morts, plus de 300 selon les organisations de défense des droits humains.
Cette loi a provoqué la colère des organisations de la société civile, de l'opposition politique et des victimes de la répression qui dénoncent l'impunité des criminels.
Sentiment d'impunité chez les victimes
Pour les victimes, des vies humaines se retrouvent sacrifiées au profit des intérêts politiques.
Rencontré non loin du quartier général de l'opposant Succès Masra, Bertrand est plus que remonté. Arrêté à la suite de la manifestation du 20 octobre 2022, il a passé plus de six mois en prison, avant d'être libéré à la suite d'une grâce présidentielle.
"C'est triste cette histoire d'amnistie, se désole-t-il. Donc comme ça on doit oublier qu'il y a eu des crimes au Tchad le 20 octobre 2022 et puis on tourne la page ? Nous exigeons de l'Etat la réparation des victimes et la poursuite des auteurs de ces crimes. Cette impunité ne passera pas."
L'opposant Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières, par ailleurs porte-parole de la Fédération de l'opposition crédible, appelle les victimes à se tourner vers des juridictions internationales pour faire entendre leur cause.
Selon lui, "cette forme d'amnistie vise à gommer la traçabilité de la répression sanglante du 20 octobre 2022. Nous invitons toutes les forces vives de la nation à se mobiliser afin que les auteurs de ces actes soient identifiés et conduits devant les juridictions crédibles, afin qu'ils soient condamnés avec toute la vigueur du droit international. Que toutes les victimes des séquestrations, traitements inhumains, ainsi que tous les ayants droit des proches tués soient dédommagés à juste titre. Nous rejetons toute démarche de politisation des crimes humains sur l'autel des intérêts personnels des acteurs politiques".
Des poursuites devant la CPI semblent peu réalistes
Pour le juriste et activiste des droits humains, Jean-Bosco Manga, les chances de voir une procédure aboutir devant la Cour pénale internationale (CPI) sont très minces.
Pour lui "l'amnistie ne peut pas empêcher la mise en oeuvre des poursuites au niveau international. Mais il faut aussi préciser que la CPI ressemble un peu à une justice des vainqueurs. Et cela dépend de la collaboration de l'Etat des juridictions internes dans lesquelles les faits incriminés se sont produits. Tant que le régime actuel sera en place, avec le soutien de la France ou des Etats-Unis, il n'y a pas d'espoir que les responsables des événements du 20 octobre soient traduits et jugés par la Cour pénale internationale."
La loi d'amnistie fait suite à l'accord de réconciliation signé entre les autorités de transition et l'opposant Succès Masra, grâce à la médiation de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale, fin octobre dernier à Kinshasa.