Le 30 novembre 2023, le jugement de la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) était attendu dans l'affaire Mohamed Bazoum.
En rappel, l'ex-président nigérien, qui est toujours aux mains de ses tombeurs, avait saisi, le 20 septembre dernier, l'instance judiciaire communautaire d'une plainte pour « séquestration et détention arbitraire », suite au coup d'Etat militaire qui l'a renversé le 26 juillet dernier. A l'appui, son Conseil avait demandé « sa libération immédiate » avec les membres de sa famille détenus avec lui, en l'occurrence son épouse et son fils.
Ainsi que « le rétablissement de l'ordre constitutionnel au Niger par la remise du pouvoir sans délai au président Mohamed Bazoum afin qu'il puisse terminer son mandat ». Mais au-delà du verdict, la question qui se pose est de savoir quel impact cette décision de la Cour, pourrait avoir sur le sort du président déchu.
On ne voit pas comment les militaires au pouvoir à Niamey, pourraient se soumettre à une décision de justice qui les condamnerait à libérer Mohamed Bazoum
Autrement dit, qu'est-ce que cela va changer fondamentalement dans sa situation ? La question est d'autant plus fondée qu'au regard du contexte et de l'évolution de la situation, on ne voit pas comment, après quatre mois de résistance aux pressions internationales dans les conditions que l'on sait, les militaires au pouvoir à Niamey, pourraient se soumettre à une décision de justice qui les condamnerait à libérer Mohamed Bazoum.
Ou à le rétablir dans ses fonctions, là où ni la menace d'intervention militaire de la CEDEAO, ni les lourdes sanctions internationales dont le poids se fait durement sentir sur les épaules des Nigériens, n'ont pas produit les effets escomptés. On est d'autant plus fondé à le croire que d'Abidjan à Dakar en passant, entre autres, par Ouagadougou et Lomé, ce ne serait pas la première fois que des décisions d'instances judiciaires supranationales seraient snobées par des gouvernements d 'Etats-membres.
On en veut pour preuve l'affaire Kpatcha Gnassingbé, du nom du demi-frère du chef de l'Etat togolais accusé de « complot contre la sûreté de l'Etat » et jeté au gnouf en 2009. Jugeant la « détention arbitraire », la Cour de Justice de la CEDEAO avait rendu, en 2013, un arrêt demandant la libération de l'illustre prisonnier. Une décision qui avait laissé de marbre le pouvoir de Lomé qui ne s'est résolu à élargir le capitaine « putschiste » qu'au moment voulu. Précisément en mars 2023, officiellement pour des raisons médicales assorties de ce qui s'apparenterait à une déportation au Gabon.
Il y a aussi les affaires Karim Wade au Sénégal, Guillaume Soro en Côte d'Ivoire ou encore Djibrill Bassolé au Burkina Faso, dans lesquelles ces pays concernés de la sous-région ouest-africaine ont refusé de se laisser dicter la conduite à tenir dans différentes affaires par des institutions judiciaires internationales comme la même Cour de Justice de la CEDEAO, la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples ou encore le Haut-commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies.
C'est toute la problématique du poids juridique de la Cour de Justice de la CEDEAO sur les Etats-membres, qui est une fois de plus posée
Des précédents qui constituent autant de raisons de croire que la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO dans l'affaire Mohamed Bazoum, sera une décision pour l'histoire, qui ne changera pas grand-chose à la situation du président déchu. Autant dire que s'il est encore dans les nuages en nourrissant le secret espoir de recouvrer de sitôt la liberté et la plénitude de ses pouvoirs, Mohamed Bazoum doit redescendre sur terre.
Car, en portant l'affaire devant la juridiction communautaire, sans doute espère-t-il donner plus d'écho à sa situation en vue d'être rétabli le plus vite possible dans ses droits. Mais à quoi sert une décision de justice si elle ne peut pas être appliquée ? Cela dit, avec le spectre de l'intervention militaire de la CEDEAO qui s'éloigne de plus en plus, tout porte à croire qu'il faudra plus qu'une décision de justice pour sortir l'ex-maître de Niamey des serres des putschistes qui, chaque jour qui passe, voient leur pouvoir s'enraciner davantage au Niger. Au-delà, c'est toute la problématique du poids juridique de la Cour de Justice de la CEDEAO sur les Etats-membres, qui est une fois de plus posée.
Car, si, en principe, ses décisions s'imposent aux Etats-membres qui ont le devoir de s'y soumettre, dans les faits, cela est loin d'être toujours le cas. Comment peut-il en être autrement quand ceux-là mêmes qui sont installés à la tête de nos Etats et qui sont censés donner du poids aux décisions de la Cour, sont les premiers à ne pas les respecter, quand cela ne va pas dans le sens de leurs intérêts ? C'est dire si dans le fonctionnement de cette institution judiciaire communautaire, il y a quelque chose à revoir pour la rendre plus efficiente. Il y va de l'intérêt de tous.