LES POINTS MARQUANTS
- Les conséquences de la crise post-électorale de 2010-2011 ont fait des conflits fonciers ruraux la toile de fond de tragédies humaines et de profondes divisions menaçant la paix et la sécurité de la Côte d'Ivoire. La terre, autrefois généreuse, était devenue une source de discorde.
- Avec un soutien technique et une enveloppe de 50 millions de dollars de la Banque mondiale par l'intermédiaire de l'Association internationale de développement (IDA), le PAMOFOR introduit l'approche « quatre en un » et supprime les frais. Plus de 10 000 acteurs du foncier rural sont formés et les populations concernées sont informées et sensibilisées sur l'importance de sécuriser leurs terres.
- Entre 2018 et juin 2023, période de la phase pilote du projet PAMOFOR, environ 41 000 propriétaires terriens et exploitants agricoles ont obtenu un document officiel pour leurs terres : le certificat foncier pour le propriétaire, et le contrat pour l'exploitant agricole.
« L'Eldorado Ouest Africain », « mini-CEDEAO », « pays d'hospitalité », « la deuxième patrie », « le pays de tous », « le pays où tout pousse » : toutes ces appellations décrivent la Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao, de noix de cajou, de noix cola. Elles tirent leur origine de la générosité de sa terre. Cette terre, autrefois offerte en symbole d'hospitalité aux « frères » des pays voisins et aux migrants jusqu'aux années 90, et devenue source de discorde après la crise post-électorale de 2010-2011, avec des conflits fonciers ruraux menaçant désormais la paix et la sécurité nationales.
À Bécédi-Brignan, village cosmopolite à environ 140 km au nord d'Abidjan, « on recevait et jugeait en moyenne trois à cinq cas de litiges fonciers par semaine », rappelle son chef, Adou Yapi Félix. La situation est encore plus complexe dans l'ouest du pays, frontalier de la Guinée et du Libéria, durement touché par la crise, où les disputes foncières ont entraîné des violences et des morts. "Le feu couve sous la cendre", avertit Bamba Cheick Daniel, directeur de l'Agence foncière rurale, soulignant les germes d'un conflit aux conséquences dévastatrices.
41 000 certificats fonciers et contrats signés
Jusqu'en 2018, seuls 4 627 certificats fonciers, soit 1%, étaient délivrés pour des centaines de millions d'hectares de terre. Pour remédier à cela, quelques mois après l'opérationnalisation de l'agence foncière rurale, la Côte d'Ivoire lance le Projet d'Amélioration de la Mise en OEuvre de la Politique Foncière Rurale (PAMOFOR). L'objectif est ambitieux : délivrer 53 400 certificats fonciers, délimiter 400 villages, et favoriser la signature de 10 000 contrats d'exploitation entre propriétaires terriens et exploitants agricoles non-propriétaires.
Cependant, deux obstacles se dressent : la procédure existante à quatre étapes s'avère limitée et coûteuse ; et la question épineuse des exploitants agricoles, étrangers ou Ivoiriens venus du Centre ou du Nord, exploitant des terres sans en être propriétaires depuis plusieurs années, complique davantage la situation.
Avec un soutien technique et une enveloppe de 50 millions de dollars de la Banque mondiale par l'intermédiaire de l'Association internationale de développement (IDA), le PAMOFOR introduit l'approche « quatre en un » et supprime les frais. Plus de 10 000 acteurs du foncier rural sont formés et les populations concernées sont informées et sensibilisées sur l'importance de sécuriser leurs terres. Entre 2018 et juin 2023, période de la phase pilote du projet PAMOFOR, environ 41 000 propriétaires terriens et exploitants agricoles ont obtenu un document officiel pour leurs terres : le certificat foncier pour le propriétaire, et le contrat pour l'exploitant agricole. Au-delà de la simple sécurisation des terres, le PAMOFOR devient un instrument de « cohésion sociale », selon Zorro Armelle Yougone, sous-préfet de Yakassé-Attobrou, contribuant à régler de nombreux conflits au sein des familles et entre les communautés.
Avant, la femme n'avait pas droit d'hériter des terres de ses parents et même lorsque nos maris mourraient, nous n'avions pas le droit d'hériter de leurs plantations. Leurs petits frères nous les arrachaient et laissaient nos enfants sans assistance.
Kouadio Brou Lucie, Propriétaire terrienne
Le contrat agraire : gage de sécurité et de cohésion
Malgré les réticences initiales en raison des coûts élevés, un engouement se crée dans le centre du pays. Nguessan Kouassi, président du comité villageois de gestion foncière rurale de Bocanda, explique que « beaucoup de gens se disent prêts et se bousculent pour obtenir un certificat foncier », grâce à l'aide rapide et gratuite du PAMOFOR. Ouedraogo Mahamadi, propriétaire terrien issu de la migration burkinabé, témoigne : « Les parents avaient essayé, mais quand on nous a dit le montant à débourser, tout le monde a laissé tomber, Maintenant avec l'aide de la Banque mondiale, on a pu le faire, donc nous sommes très heureux. »
Le contrat agraire promu par le PAMOFOR permet de mettre un terme aux conflits entre autochtones et exploitants agricoles étrangers : « Faire une plantation, ce n'est pas une affaire de 2 ou 3 jours, plutôt un investissement d'au moins 10 à 20 ans, qu'il faut absolument sécuriser, » explique Kotia Kotia, exploitant agricole.
Une mini-révolution aussi pour les femmes.
« Avant, la femme n'avait pas droit d'hériter des terres de ses parents et même lorsque nos maris mourraient, nous n'avions pas le droit d'hériter de leurs plantations. Leurs petits frères nous les arrachaient et laissaient nos enfants sans assistance ». Désormais propriétaires terriennes, des femmes comme Kouadio Brou Lucie voient ces certificats fonciers comme un pouvoir économique, une autonomisation et une liberté retrouvée. « C'est ce papier que j'ai reçu qui me motive à travailler encore plus. En tout cas, je suis libre maintenant », déclare Kadje Solange. Comme Solange et Lucie, un tiers des 20 000 détenteurs de certificat foncier sont des femmes, soit 6 000 femmes.
Le Projet d'Amélioration de la Mise en OEuvre de la Politique Foncière Rurale en Côte d'Ivoire est une phase pilote dans six régions sur les 31 du pays : Bafing, la Mé, Agnéby-Tiassa, Indénié-Djuablin, N'Zi, et Sud-Comoé. Bien que limitée dans l'espace, cette initiative prometteuse offre un aperçu des transformations significatives en cours dans la Côte d'Ivoire rurale. Face à une forte demande exprimée à la fois par les populations des autres régions et les autorités ivoiriennes, la Banque mondiale financera à partir de 2024 un nouveau projet de sécurisation du foncier couvrant la moitié des régions du pays. Avec pour objectif d'établir plus de 500 000 nouveaux certificats fonciers et 250 000 contrats pour bénéficier à environ 6,2 millions de personnes.