En 2022, la «variole du singe» (en anglais monkeypox), a fait brutalement irruption sur la scène internationale. Rebaptisée mpox par l'Organisation mondiale de la Santé, cette maladie est causée par un virus appartenant à la même famille que celui de la variole (officiellement déclarée éradiquée en 1979, grâce à la vaccination). Comme la variole, elle se traduit par de la fièvre et une éruption cutanée, quoique moins sévère.
Le premier cas humain de mpox a été détecté en 1970 en République Démocratique du Congo (RDC), dans le contexte des campagnes d'éradication de la variole. La maladie est depuis endémique en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest.
Longtemps resté relativement peu connu, voire négligé, le mpox (la variole du singe) s'est retrouvé sous la lumière des projecteurs suite à une dissémination mondiale de la maladie, en mai 2022.
Un an et demi plus tard, si l'épidémie s'est calmée dans les pays occidentaux, les deux souches connues du virus à l'origine de la maladie continuent à circuler en Afrique, et le nombre de cas humains est en augmentation. Avec quelles conséquences et quels risques, à l'échelle de ce continent et au-delà ?
Un virus zoonotique/d'origine animale
La maladie due au virus mpox est une zoonose, autrement dit une maladie qui circule entre les animaux et les humains. On soupçonne de petits écureuils arboricoles ou d'autres petits rongeurs d'être les réservoirs du virus. La maladie devait initialement son nom au fait que le virus qui la cause avait été isolé pour la première fois chez des primates captifs, en 1958 au Danemark.
La transmission secondaire entre êtres humains est connue pour se faire de plusieurs façons : par contact cutané ou muqueux, par contact avec l'environnement contaminé ou le linge, ou par contact respiratoire de types gouttelettes.
La sévérité clinique et la létalité de la maladie varient selon la souche de virus mpox impliquée (on parle de « clade viral »), ainsi qu'en fonction des capacités de soins du pays. Le clade I, qui sévit en Afrique centrale, est responsable d'une présentation clinique sévère et d'une létalité se situant aux environs de 10 %, tandis que la létalité associée au clade II, qui circule en Afrique de l'Ouest, est approximativement de 1 %.
Depuis les années 1990, on constate une majoration du nombre de cas humains de mpox en lien avec le clade I. Les cas impliquant le clade II sont quant à eux en augmentation en Afrique de l'Ouest depuis les années 2000.
En 2022, c'était d'ailleurs le clade II (plus précisément, le clade IIb) qui s'était propagé hors du continent africain. Ce n'était pas la première fois qu'il sortait de sa zone d'endémie (zone où le virus circule de façon permanente), mais jamais avec de telles conséquences.
Précédentes disséminations du mpox hors d'Afrique
En dehors du continent africain, des exportations de cas animaux ou humains de mpox ont été reportées à plusieurs reprises par le passé. Il s'agissait systématiquement du clade II.
Des cas humains étaient ainsi survenus aux USA en 2003. À l'époque, 47 cas confirmés avaient été rapportés. Les personnes concernées avaient été infectées par l'intermédiaire de chiens de prairie (Cynomys ludovicianus) achetés en animalerie, lesquels avaient eux-mêmes été contaminés par des rats de Gambie importés du Ghana.
En 2017, une épidémie de grande taille est survenue au Nigéria, marquant un changement épidémiologique. En effet, l'épidémie s'est alors installée en contexte urbain, a principalement touché des hommes, et sa présentation clinique s'est avérée quelque peu différente, puisqu'une forte proportion de lésions génitales avait été rapportée. Une des conséquences de cette majoration de la circulation de la maladie au Nigéria a été l'exportation de cas humains liés au clade II, entre 2018 et 2021 à Singapour, en Israël et en Angleterre.
C'est aussi à partir de l'épidémie du Nigéria que s'est propagé le virus en mai 2022, touchant cette fois l'ensemble des continents, ce qui a mené l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à déclarer une «urgence sanitaire de portée internationale» le 23 juillet 2022.
Une réponse internationale à deux vitesses
Lors de l'épidémie mondiale de 2022, les tableaux épidémiologique et clinique se sont avérés différents de ceux jusqu'alors majoritairement retrouvés en Afrique. Le mpox s'est en effet présenté sous la forme de lésions principalement génitales, anales ou orales, résultant d'une transmission interhumaine stricte, par contacts cutanéo-muqueux rapprochés lors des contacts sexuels, concernant alors principalement les communautés homosexuelles.
Après plus de 92 000 cas humains dans plus 110 pays, et 160 décès, l'épidémie a décru en Europe et aux États-Unis, à la suite de la mise en place de plusieurs mesures. La sensibilisation et la mobilisation massive des communautés touchées ont notamment participé à circonscrire l'épidémie, et les groupes à risque ont été rapidement vaccinés grâce au déblocage de vaccins antivarioliques de troisième génération. Ces vaccins procurent en effet une immunité croisée contre le virus mpox ; bien que la variole ait été éradiquée, divers gouvernements gardent des stocks, en prévision d'une potentielle utilisation du virus de cette maladie comme arme biologique.
Les choses se sont avérées différentes en Afrique. En effet, la vaccination n'a pas été rendue accessible dans les pays où le mpox était précédemment endémique, ni pour les populations concernées ni pour le personnel médical et paramédical de première ligne (à l'exception d'un essai clinique mené en RDC depuis 2017).
Aujourd'hui, le mpox poursuit sa progression sur le continent africain, malgré l'implication et l'important travail des équipes à l'oeuvre sur le terrain, dans les pays touchés. Le nombre de cas humains est en augmentation, tout comme la fréquence des épidémies. On constate par ailleurs une extension des zones géographiques concernées par la maladie. Cette inégalité d'accès au vaccin met en évidence les limites d'une réponse internationale à deux vitesses, comme le souligne le dernier rapport de l'OMS.
En Afrique, une extension des zones géographiques concernées
En parallèle de l'épidémie mondiale de 2022, plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest non préalablement touchés, ou ayant présenté très peu de cas jusque-là, ont déclaré l'apparition inhabituelle de cas humains de mpox. C'est par exemple le cas du Bénin ou du Cameroun.
Les autorités sanitaires des pays où le mpox était endémique ont par ailleurs constaté que l'aire de circulation du virus s'était étendue. Des épidémies surviennent désormais dans des zones moins typiques que les zones forestières initialement identifiées à risque (zones situées à la frontière forêt/savane en République centrafricaine, et dans des zones urbaines plus connectées que les villages initialement touchés).
En novembre 2023, le récent rapport de l'OMS rend compte de l'évolution préoccupante de l'épidémiologie du mpox en RDC, principal pays endémique pour le mpox (qui comptabilisait 95 % des cas humains de mpox avant l'épidémie mondiale de 2022).
Récent rapport de l'OMS : Une évolution préoccupante du mpox en RDC
Les autorités sanitaires de RDC ont rapporté une extension de la maladie vers de nouvelles provinces préalablement non concernées, telle que la province du sud Kivu, sujette à des troubles civils et militaires qui rendent complexes les interventions de santé publique.
Le rapport de l'OMS décrit également les premiers clusters (foyers) de cas humains de mpox à Kinshasa. Ceux-ci seraient survenus suite à plusieurs introductions différentes depuis des provinces touchées (des personnes infectées seraient venues de villages extérieurs jusqu'à Kinshasa).
L'atteinte d'une capitale africaine s'avère très préoccupante, car elle est synonyme d'un risque épidémique local important et d'une majoration du risque de dissémination du clade I au sein du pays, du continent ainsi que vers le reste du monde, en raison des nombreux échanges nationaux et internationaux qui s'y déroulent.
Dans son rapport, l'OMS précise que «du 1er janvier au 12 novembre 2023, un total de 12 569 cas suspects de variole simienne, dont 581 mortels (taux de létalité : 4,6 %), ont été signalés dans 156 zones de santé dans 22 des 26 provinces (85 %) en RDC. [...] Parmi les cas suspects, 1106 ont été testés par réaction en chaîne par polymérase en temps réel (PCR en temps réel ou qPCR) et 714 étaient positifs pour le MPXV (taux de positivité de 65 %)».
Que nous apprennent ces chiffres ? L'OMS souligne qu'«il s'agit du nombre de cas le plus élevé jamais signalé pour une année» en RDC et que, comme souligné plus haut, «certains cas ont été recensés dans des zones géographiques qui n'avaient jamais fait état de cas de mpox auparavant».
La majoration du nombre et de la fréquence des cas humains mise en évidence s'intègre dans l'évolution générale de l'épidémiologie du mpox en Afrique, et sur laquelle les pays concernés tentent d'attirer l'attention internationale depuis un moment. Mais la transformation récente de l'épidémiologie est préoccupante.
Transformation préoccupante de l'épidémiologie du mpox en RDC
Cette évolution est inquiétante à plusieurs niveaux. D'une part dans les zones endémiques, l'évolution vers une transmission interhumaine renforce et amplifie le problème de santé publique chronique posé par le mpox. D'autre part, le risque de dissémination du clade I au sein du continent et au-delà est important, comme en témoigne la précédente dissémination du clade IIb lors de l'épidémie mondiale de 2022.
Or comme mentionné précédemment, le clade I présente un taux de létalité plus important que le clade II. En RDC, la létalité liée au clade I est actuellement de 4,6 %, mais elle est difficile à évaluer, car tous les cas ne sont pas détectés.
La situation actuelle révèle néanmoins une transformation de l'épidémiologie du mpox en RDC. En effet, l'important taux de positivité des échantillons prélevés indique que les cas suspects ont une forte probabilité d'être de vrais cas de mpox (et non des cas de varicelles ou d'autres maladies éruptives).
Au sud Kivu, l'épidémie se présente sous une forme totalement nouvelle pour la RDC : avec une prédominance de cas chez des femmes (et non chez des enfants comme précédemment dans les pays endémiques), une forte prédominance de lésions génitales, et des clusters de cas localisés autour de bars, ce qui pourrait suggérer un lien avec des pratiques de prostitution. Le séquençage des souches virales impliquées est en cours, afin de déterminer s'il s'agit bien du clade I endémique en RDC.
Rappelons que, jusqu'à présent, aucun cas humain d'infection par le clade II b n'a été identifié en RDC (qui est une zone endémique pour le clade I d'Afrique centrale). Par ailleurs, hors d'Afrique, aucune infection humaine par le clade I n'a jamais été mise en évidence.
Un autre point est particulièrement préoccupant : selon l'OMS, une première «transmission sexuelle» (transmission par contact cutanéo-muqueux rapprochés lors des rapports sexuels) du clade I a été objectivée, à Kenge (à environ 200 km de Kinshasa).
Mise en évidence d'une transmission par contacts sexuels en zone d'endémie du clade I
La capacité du clade II du mpox à se transmettre lors des contacts cutanéo-muqueux lors des rapports sexuels avait été suspectée depuis l'épidémie de 2017 au Nigéria. On avait alors constaté la prédominance du virus chez des personnes présentant des comportements sexuels à haut risque (sexe transactionnel, multipartenariat et absence d'utilisation de préservatif), et une importante présence de lésions génitales au Nigéria (retrouvées chez 68 % des cas). L'épidémie mondiale de 2022 avait ensuite objectivé et confirmé l'existence de ce mode de transmission pour le clade IIb du mpox.
Concernant le clade I, en septembre 2023, 80 cas suspects, incluant 20 travailleurs et travailleuses du sexe avaient été reportés lors d'une épidémie dans l'est de la RDC.
Pour le cluster de cas récent à Kenge, les outils de biologie moléculaire ont confirmé la transmission de la même souche virale (issue du clade I) entre un «cas index» (le cas index est le premier cas suspecté d'une maladie contagieuse au sein d'une population donnée) et 5 de ses contacts sexuels (4 hommes et 1 femme). Ce type de transmission interhumaine lors des contacts cutanéo-muqueux lors des rapports sexuels du clade I était potentiellement déjà préexistante, mais probablement plus épisodique, et jamais formellement reconnue jusqu'à présent.
Ceci peut s'expliquer du fait du manque d'enquête épidémiologique systématique, et de la difficulté à discriminer le mode de transmission lors d'épidémies survenant au sein d'un même foyer (la transmission pouvant aussi se faire par contact cutané avec les lésions, par contact avec le linge ou l'environnement, etc.). Par ailleurs, le manque de séquençage systématique des souches isolées en Afrique ne permet pas d'identifier précisément les circulations virales.
Il est intéressant d'évoquer que, lors des investigations sur le mpox réalisées en République centrafricaine, l'existence d'une transmission interhumaine lors des contacts cutanéo-muqueux rapprochés lors des rapports sexuels était parfois soupçonnée.
En effet, des souches virales très proches avaient été retrouvées chez un marchand ambulant et chez ses deux partenaires sexuelles féminines, vivant au sein de deux foyers différents dans des villes éloignées. Cependant, ces transmissions interhumaines restaient limitées à l'échelle de la famille, sans jamais atteindre des réseaux d'amplification. L'évidence d'une accentuation de la transmission interhumaine et notamment lors des contacts cutanéo-muqueux, rapprochés lors des rapports sexuels, pourraient changer la donne.
Le mpox : une énigme épidémiologique ?
Le rapport de l'OMS révèle une évolution inquiétante de l'épidémiologie du mpox en RDC, ainsi que l'urgence et l'importance d'une réponse adaptée et coordonnée face à l'accentuation du problème de santé publique que représente cette maladie en RDC.
Un point important est la confirmation de l'existence d'une transmission du clade I du virus mpox lors des contacts cutanéo-muqueux durant les rapports sexuels.
Cette situation met en évidence une potentielle transformation de cette maladie, jusqu'à présent considérée en Afrique centrale comme principalement zoonotique, en une maladie à transmission majoritairement interhumaine. Si les mesures de prévention du mpox en Afrique centrale étaient essentiellement basées sur des conseils visant à prendre des précautions lors de la chasse et de la découpe de viande de brousse, il devient donc désormais nécessaire de revoir les recommandations à l'aune de ces connaissances scientifiques actualisées (ce que fait l'OMS).
En parallèle des recherches biomédicales et vaccinales, des recherches interdisciplinaires sur ce virus sont indispensables. En effet, malgré 20 ans de travaux sur le mpox, un certain nombre d'énigmes épidémiologiques demeurent. Quel est précisément le réservoir du virus ? Quels sont les modes de transmission de la maladie dans les zones endémiques (transmission zoonotique ou transmission interhumaine ? et dans ce dernier cas, quelle participation d'une transmission lors des rapports sexuels) ? Quel est le rôle de la transmission indirecte par contact avec l'environnement partagé ? Quels sont les facteurs écologiques et sociaux impliqués dans ces épidémies ? Quels sont les contextes qui ont présidé à l'émergence du mpox dans les années 1970, puis à sa réémergence dans les années 1990-2000 ?
Enfin, plus largement, quelle est l'implication, dans l'émergence du mpox en Afrique, de la mise en place généralisée de dégradations environnementales et d'écologies simplifiées ? Dans quelle mesure les modifications majeures subies par les socioécosystèmes forestiers africains, en contexte colonial et post-colonial, ravivent-elles notre responsabilité collective globale ?
Répondre à ces questions permettra de mieux prévenir et circonscrire le mpox. Un problème de santé publique qui n'est pas seulement localisé, mais concerne l'ensemble de la communauté internationale, si l'on en doutait encore...
Médecin infectiologue - Epidémiologie - Unité d'épidémiologie des maladies émergentes, Sciences Po