Cameroun: Alain Mazda - « La promotion de la culture passe par différentes formes »

Vue aérienne de la Lukenye et de ses méandres à travers la forêt de plaines dans la Cuvette-Centrale (archive)
interview

Prévue le 20 décembre à Ngaoundéré, chef-lieu de la région de l'Amadoua, au Cameroun, la première édition du Festival itinérant du livre et du patrimoine se tiendra finalement le 17 janvier 2024. Au menu, plusieurs activités. Mais avant, son promoteur, Alain Mazda, a bien tenu nous conter la genèse et les ambitions de ce projet culturel qui lui tient tant à cœur. Entretien.

Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.) : Pouvez-vous décliner votre identité à nos lecteurs ?

Alain Mazda (A.M.) : Je suis Alain Mazda, journaliste camerounais et épris des lettres, de la culture. J'ai un livre en cours d'édition intitulé « Sa Majesté et écartelée » et cinq autres qui attendent. Le livre en cours d'édition est un drame qui traite un peu de l'histoire des chefferies traditionnelles dans la dévolution du pouvoir légitime. Depuis 2020, j'organise un festival culturel qui se tient tous les deux ans à Tokombéré, anciennement appelé Kudumbar, au Nord Cameroun.

Le Festi Kudumbar est un rendez-vous de danses traditionnelles des peuples de la montagne visant à remettre au goût du jour la pratique et les usages de la danse traditionnelle dans les us et coutumes des peuples de la montagne, que ce soit en termes de vertu, de cohésion sociale, d'apports dans le vivre-ensemble, mais surtout dans la vision et la construction de l'homme africain comme étant une identité à part entière dans ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le village planétaire.

L.D.B.C. : Comment et pourquoi est né votre festival littéraire qui tiendra sa première édition en janvier 2024 ?

A.M. : Dans le prolongement de ma casquette d'entrepreneur culturel, je me suis dit qu'il y avait quelque chose qui manquait en ce qui concerne les livres et la littérature. De ce fait, j'ai pensé qu'il fallait que je mette sur pied quelque chose dans ce sens, qui soit non seulement pour les Camerounais, mais aussi pour les amoureux des lettres et de la littérature à travers le monde. Je sais par expérience que jusqu'aujourd'hui, tous les savoirs se transmettent par les livres.

Et tous les documents anciens, scripturaux, sont là pour le témoigner. C'est vrai qu'en Afrique, on a toujours dit que la civilisation a été orale. Mais aussi scripturale, il n'y a qu'à voir les gravures rupestres. Et d'autres formes d'écriture qu'on observe également aujourd'hui, même sur les visages. Les balafres, par exemple, sont une forme d'écriture pour faire passer des messages. Que ce soit chez les Haoussa ou chez le Muzgoum au Cameroun, ou ailleurs en Afrique et dans le monde. Et on n'a pas fini de découvrir cette richesse.

Aussi, on lit de moins en moins parce que nous sommes happés par internet. J'ai pris peur pour les générations à venir. Et donc, j'estime qu'il faut remettre au goût du jour la culture du livre. Au lieu d'offrir uniquement des jouets à nos enfants, nous pouvons leur réapprendre à aimer la lecture et leurs cultures en leur offrant des bandes dessinées, mais surtout de bons livres. Et, quand on lit un livre, on n'apprend pas qu'une histoire ou des savoirs, on apprend aussi l'orthographe, la grammaire, la syntaxe...

L.D.B.C. : Quel peut être son apport dans l'univers littéraire africain et plus largement mondial ?

A.M. : Son apport est d'abord du point de vue historique, parce que je ne souhaiterais pas que ce festival soit un lieu de fête où on vient danser, faire le paon ou se faire voir. Je souhaite que cet événement soit un lieu de réflexion pour lequel les acteurs de la chaîne du livre et donc ceux qui sont en quête des savoirs puissent réfléchir et essayer de penser ce que les livres ou la littérature peuvent apporter dans le développement personnel, mais surtout dans le développement de nos terroirs. Vous savez qu'aujourd'hui on parle du village planétaire.

Le festival des livres tient sa raison d'être, pour essayer d'éveiller et interpeller les écrivains afin qu'ils se remettent au travail en vue de montrer au grand jour ce que sont leurs terroirs et leurs particularités. Lorsque le Chinois parlera de la modernisation à la chinoise ou bien du karaté, que le Camerounais, originaire de Tokombéré, puisse parler également du poulet au « mitoueche » sans complexe, une recette locale de poulet faite à base d'épices locales ou bien que celui de Belel puisse parler, par exemple, du « gouddali », une race bovine locale typique.

Le festival des livres apporte également à l'univers littéraire africain une occasion de véhiculer des savoir-faire ancrés dans les traditions et dans les coutumes, qui ont constitué des empires, des civilisations et bien de pays aujourd'hui. C'est une rencontre qui permettra aux uns et aux autres de pouvoir remettre au goût du jour ce qui a fait la richesse des terroirs et des territoires. Le Festival itinérant du livre et du patrimoine se veut itinérant. La deuxième édition pourrait se tenir dans un autre pays du continent ou une autre partie du monde car cette culture du livre n'est pas seulement un besoin pour l'Afrique, mais un besoin pour tous les peuples du monde de reprendre langue avec les connaissances, surtout livresques.

L.D.B.C. : Qu'en est-il de la programmation de cette première édition ?

A.M. : La première édition comme les autres que nous allons améliorer sera articulée autour des ateliers avec les enfants, les écrivains en herbe. Toujours sur le volet atelier, nous aurons les rencontres de lecture une fois par mois. Nous mettons à contribution à cette occasion des écoles et bien d'autres. Nous aurons également les débats avec des écrivains affirmés, notamment autour d'un nouveau concept « l'écrivaintologie » ; des expositions-ventes de livres avec différents acteurs de la chaîne des livres ; des expositions photos et de patrimoines avec des photographes, graphistes, dessinateurs, caricaturistes ou des peintres.

Nous aurons également des spectacles, lectures poésies avec la participation des joueurs de xylophone, cet instrument à vent qu'on retrouve dans bon nombre de chefferies traditionnelles en Afrique. Je souhaite associer ces acteurs là également parce qu'ils ont été pendant longtemps les acteurs de la littérature orale, on les a catalogués des griots, mais c'était eux les littérateurs de l'Afrique ancienne. À travers ce croisement entre la littérature aujourd'hui écrite, moderne et cette littérature ancienne là, je voudrais mettre face à face l'avenir du livre, qui est aujourd'hui également digital.

L.D.B.C. : Un message pour clore cet entretien...

A.M. : La promotion de la culture passe par différentes formes. Ça peut être sous la forme du festival, du concours littéraire, des ateliers d'écriture, de la photographie, des arts contemporains... Je continuerai toujours à promouvoir la culture et donc les cultures d'Afrique pour qu'on n'oublie pas que l'Afrique n'est pas que le berceau de l'Humanité, parce qu'elle a vu le premier Homme. L'Afrique est ce qu'elle est parce qu'en son sein est née, a grandi et a prospéré une façon d'être, une façon d'être africaine avec son humanité et son humanisme, qui mérite aujourd'hui, comme je l'ai dit plus haut, dans le village planétaire, d'être mise en vitrine afin que les autres puissent prendre en compte cette donnée.

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