Intelligence Durable - Collaboration pour un dialogue sur l'IA et la RSE. Meriam Ben Boubaker, Directrice de contrôle de gestion et 1ère vice-présidente ICFOA - INTERNATIONAL CFO ALLIANCE & Vice-Présidente COGEREF et Jérôme Ribeiro, Président Fondateur Human AI ont abordé la question dans cette interview croisée accordée à allafrica.com. Ils expliquent comment l'IA peut être utile pour le développement de secteurs essentiels comme la RSE, l'éducation, le secteur privé, entre autres, en Afrique.
Quels sont les principaux avantages que l'IA peut apporter aux initiatives de RSE sur le continent africain ?
Jérôme Ribeiro : Les principaux avantages que l'intelligence artificielle (IA) peut apporter aux initiatives de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) sur le continent africain sont multiples et significatifs. Tout d'abord, l'IA peut aider à analyser de grandes quantités de données pour identifier les besoins spécifiques des communautés locales, ce qui permet une allocation plus ciblée et efficace des ressources. Ensuite, elle peut optimiser les chaînes d'approvisionnement pour les projets de RSE, réduisant ainsi les coûts et augmentant l'efficacité. L'IA offre également des solutions innovantes dans le domaine de l'éducation et de la formation professionnelle, en personnalisant les programmes d'apprentissage pour répondre aux besoins spécifiques des individus et des communautés.
L'IA joue un rôle clé dans les initiatives environnementales, en aidant à surveiller et à gérer les ressources naturelles de manière durable. Elle peut également contribuer à améliorer les systèmes de santé grâce à des diagnostics plus précis et une meilleure gestion des informations sur la santé. Enfin, l'IA peut favoriser l'inclusion financière en facilitant l'accès aux services financiers pour les populations non bancarisées, un enjeu majeur dans de nombreuses régions africaines. Ainsi, l'intégration de l'IA dans les stratégies de RSE en Afrique offre des opportunités considérables pour améliorer le bien-être économique, social et environnemental sur le continent.
Quels défis spécifiques l'Afrique doit-elle surmonter pour intégrer efficacement l'IA dans les stratégies de RSE des entreprises ?
Meriam Ben Boubaker : Pour réussir l'intégration de l'intelligence artificielle (IA) dans les stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE) en Afrique, il faut relever divers défis spécifiques. Tout d'abord, assurer une connectivité et un accès aux technologies de pointe joue un rôle fondamental. Selon l'Union internationale des télécommunications (UIT), en Afrique, seulement 33% de la population a accès à Internet, par comparaison à 87% en Europe et 81% aux États-Unis, malgré un déploiement massif de fibre optique couvrant environ 2,5 millions de kilomètres. Seulement 1% de la population a accès à une connexion haut débit fixe à domicile, en raison des obstacles tels que le coût élevé des services à haut débit d'entrée de gamme, dépassant souvent les seuils établis par les autorités, et le coût des smartphones et des ordinateurs adaptés à l'internet mobile, constituant un frein supplémentaire.
Il est donc indispensable d'améliorer l'infrastructure technologique pour permettre une adoption généralisée de l'IA, bien que cela représente des défis financiers nécessitant des investissements importants. De plus, former et éduquer les talents locaux dans le domaine de l'IA est essentiel, pour relever le défi des compétences, accompagné du défi de mener un changement profond dans la manière dont les entreprises intègrent la RSE aux processus existants, sensibilisent les parties prenantes à l'importance de l'IA dans la RSE, et encouragent une culture d'innovation et de durabilité au sein des entreprises.
En outre, exploiter l'IA dans la démarche de RSE comporte également des défis, exigent notamment des algorithmes et des modèles prédictifs précis pour évaluer l'impact des entreprises sur l'environnement et la société, tout en respectant les normes éthiques et engageant un dialogue ouvert sur son utilisation responsable.
Il existe également des disparités entre les pays africains, nécessitant une collaboration régionale afin de garantir que tous les pays bénéficient des avancées technologiques liées à l'IA. Pour relever ces défis, les pays africains pourraient établir des programmes de collaboration régionaux visant à renforcer les compétences en matière d'IA, partager des campagnes de sensibilisation pour promouvoir une culture d'innovation et de durabilité, et envisager la création d'une plateforme régionale pour définir des orientations communes pour l'utilisation éthique de l'IA dans le contexte de la RSE.
Il faut donc adopter une approche collaborative et en partageant ressources et expertises, les pays africains pourraient travailler ensemble pour surmonter ces disparités et intégrer de manière efficace l'IA dans les stratégies de RSE des entreprises de la région. Ce faisant, l'Afrique peut non seulement jouer un rôle prépondérant dans la définition des normes mondiales en matière d'IA et de durabilité et contribuer ainsi aux objectifs de développement durable.
Pouvez-vous décrire l'état actuel de l'adoption de l'intelligence artificielle dans les pratiques de RSE en Afrique ?
J.R : Son adoption dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) varie significativement à travers les différentes régions et secteurs industriels en Afrique. Malgré tout, il est possible d'observer une tendance positive vers une intégration croissante et progressive.
Et l'Afrique montre une prise de conscience et un engagement croissants envers l'intelligence artificielle, comme en témoignent les investissements en éducation STEM, les partenariats stratégiques, l'émergence de startups innovantes, l'élaboration de politiques adaptées et l'organisation de forums dédiés, posant ainsi les jalons d'une intégration réfléchie de l'IA dans le développement socio-économique et les initiatives de responsabilité sociale des entreprises sur le continent.
L'intelligence artificielle offre donc des opportunités de surmonter certains des défis les plus pressants du continent en termes de développement durable, d'accès à l'éducation, et de santé publique. Par exemple, des startups africaines utilisent l'IA pour optimiser l'agriculture, surveiller l'environnement, et améliorer l'accès aux services financiers pour les populations non bancarisées. L'adoption de telles technologies est souvent pilotée par des partenariats public-privé, des initiatives entrepreneuriales locales, et le soutien d'organisations internationales qui reconnaissent le potentiel de l'IA pour catalyser le développement socio-économique.
Comment l'IA peut-elle être utilisée pour promouvoir le développement durable et l'inclusion sociale en Afrique ?
M.B.B: L'intégration de l'intelligence artificielle en Afrique offre des opportunités pour promouvoir les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies dans la région. En effet, l'IA peut contribuer de manière spécifique à plusieurs de ces objectifs.
Dans le domaine de l'éradication de la pauvreté, l'IA peut créer des opportunités économiques significatives grâce à l'automatisation des tâches répétitives, l'amélioration de l'accès au microcrédit et le développement d'outils d'apprentissage en ligne.
Pour lutter contre la faim, l'IA peut renforcer les rendements agricoles, optimiser les calendriers de plantation et identifier les zones à risque de pénurie alimentaire.
Dans le domaine de la santé, l'IA peut permettre un suivi personnalisé des patients, identifier les épidémies potentielles plus rapidement et prédire les besoins en fournitures médicales dans les zones reculées.
L'intégration de l'IA dans l'éducation peut permettre la création de systèmes d'apprentissage personnalisés, identifier les lacunes et les besoins en matière d'éducation, tout en fournissant un accès à distance à des programmes éducatifs de qualité.
En ce qui concerne l'eau, l'assainissement et l'énergie propres, l'IA peut contribuer à la détection rapide de la contamination de l'eau, à une meilleure gestion des ressources en eau, et à la prévision de la demande énergétique, l'optimisation des réseaux de distribution d'énergie ainsi que la facilitation de l'adoption de sources d'énergie renouvelable dans la région.
Pour réussir cette intégration, il est crucial de renforcer les capacités locales en matière d'IA grâce à des programmes de formation ciblés, de créer un écosystème favorable à l'innovation et à la recherche en IA, de mettre en place des politiques et réglementations adaptées, et de favoriser la collaboration et le partage des connaissances à l'échelle régionale et internationale.
Quelles méthodologies d'IA peuvent aider à mesurer et améliorer l'impact social des entreprises ?
J. R : L'intelligence artificielle améliore et mesure l'impact social des entreprises en analysant les grandes données pour identifier les tendances et l'efficacité des programmes de RSE, en utilisant l'apprentissage automatique pour prédire les résultats et affiner les stratégies, en exploitant le traitement du langage naturel pour comprendre les perceptions des parties prenantes à partir des communications écrites, en intégrant les systèmes d'information géographique pour une analyse spatiale précise de l'impact, en appliquant l'analyse d'images pour surveiller les changements environnementaux, et même en combinant l'IA avec la blockchain pour une traçabilité transparente, tout cela contribuant à une représentation claire et actionnable de l'influence sociale d'une entreprise.
Comment l'IA change-t-elle la manière dont les entreprises s'engagent avec leurs parties prenantes sur des sujets de RSE ?
M.B.B : Avec l'intégration de l'intelligence artificielle, nos interactions avec différentes parties prenantes ressemblent un peu à un dîner où l'IA est le chef cuisinier, concoctant des plats sur mesure pour satisfaire les goûts de chacun. Cette innovation joue un rôle clé dans la manière dont les entreprises gèrent la responsabilité sociétale, en offrant une approche plus personnalisée et efficace pour répondre aux besoins et préoccupations de chaque acteur.
En effet, les entreprises interagissent avec différentes parties prenantes telles que les clients, les fournisseurs, les investisseurs, les employés et les actionnaires. L'intégration de l'intelligence artificielle influe sur ces interactions.
Par exemple, les entreprises utilisent l'IA pour analyser les comportements des clients, les retours d'expérience et les préférences d'achat, afin de personnaliser leurs offres et améliorer l'expérience client.
Les entreprises peuvent également utiliser l'IA pour personnaliser les interactions avec les fournisseurs en fonction de leurs besoins spécifiques, établissant ainsi des relations de travail plus collaboratives et efficaces.
Quant aux investisseurs, ces derniers peuvent bénéficier de l'IA pour évaluer les risques liés à certains investissements, afin de prendre des décisions plus éclairées et durables.
En ce qui concerne les employés, l'IA peut aider les entreprises à anticiper les préoccupations en matière de bien-être au travail, en identifiant les tendances ou les problèmes potentiels et en élaborant des plans d'action proactifs.
Enfin, pour les actionnaires, l'IA peut être utilisée pour analyser et prédire les performances financières de l'entreprise, permettant ainsi une communication proactive sur la durabilité des opérations et des investissements.
En tenant compte de la nouvelle directive CSRD (les Obligation de reporting extra-financier) en Europe, quelle influence cette réglementation pourrait-elle avoir sur les entreprises africaines, en particulier celles qui entretiennent des partenariats commerciaux avec l'Europe ?
M.B.B : Les entreprises et multinationales du continent, collaborant avec des partenaires européens, se trouvent indirectement soumises à cette réglementation qui détermine des normes de reporting contraignantes pour les entreprises européennes. Cette influence significative résulte de la nature mondialisée des relations commerciales, créant ainsi une demande implicite de conformité aux normes de la CSRD. Ainsi, les entreprises africaines sont incitées à adopter des pratiques de reporting extra-financier conformes aux normes européennes, mêmes en l'absence d'une application directe de la CSRD en Afrique.
L'impact de la CSRD réside donc dans son pouvoir indirect, dicté par les dynamiques économiques et les exigences des partenaires européens. Il en découle une nécessité pour les entreprises africaines d'intégrer les critères ESG dans leur reporting, alignant ainsi leurs pratiques avec les normes internationales pour garantir la continuité de leurs relations commerciales avec l'Europe.
En parallèle, l'intégration de l'intelligence artificielle dans le processus de reporting extra-financier pourrait les aider à répondre aux exigences émergentes de la CSRD. Grâce à l'IA, l'analyse des données ESG, la collecte d'informations pertinentes et la génération de rapports précis et complets sont facilitées, contribuant à renforcer la transparence et la conformité aux normes internationales. Ainsi, en adoptant des solutions basées sur l'intelligence artificielle pour le reporting extra-financier, ces entreprises peuvent mieux répondre aux attentes de leurs partenaires européens tout en renforçant leur propre position sur le marché mondial.
Étant donné que certaines entreprises européennes considèrent l'application de la CSRD comme onéreuse et risquée en termes de divulgation d'informations, pensez-vous que l'IA puisse offrir des solutions pour alléger cette charge tout en assurant la conformité ? Si oui, de quelle manière ?
J.R : En effet, l'intelligence artificielle peut offrir des solutions pour alléger cette charge tout en assurant sa conformité. Car IA peut simplifier la conformité à la Directive sur la communication de l'information en matière de durabilité des entreprises en automatisant la collecte et l'analyse des données, en utilisant le traitement du langage pour extraire des informations des textes, en prévoyant les risques de non-conformité, en fournissant des tableaux de bord pour une visualisation claire de la performance en durabilité, en évaluant et gérant les risques de divulgation, en s'assurant que les systèmes restent à jour avec les dernières réglementations, et en générant des rapports personnalisés, rendant ainsi le processus de conformité plus efficace et moins onéreux pour les entreprises.
Notre discussion, très chère Meriam, a clairement démontré l'immense potentiel de l'intelligence artificielle en tant qu'outil puissant pour renforcer les initiatives de Responsabilité Sociale des Entreprises en Afrique. L'IA, en synergie avec les principes de durabilité et d'inclusion sociale, peut transformer significativement des secteurs clés tels que l'éducation, la santé et l'environnement, tout en respectant notre credo : « L'Intelligence Artificielle au service de l'humanité ».
Les défis, bien que conséquents, notamment en matière d'infrastructure et de formation, ne diminuent en rien les opportunités offertes par l'IA pour un avenir plus équitable et durable. Cette conversation souligne l'urgence et l'importance d'une collaboration étroite entre tous les acteurs concernés pour intégrer efficacement l'IA dans nos démarches de RSE, et ainsi favoriser un développement plus harmonieux et inclusif sur le continent africain.