Afrique: Textile - Quand l'Inde dicte sa loi... et Maurice ?

Traitement des textiles en cours à Rivatex et, à gauche, un marché local énorme pour les uniformes qui n'utilisent que des matériaux neufs. (photo d'archives)
28 Février 2024

À la faveur de Bharat Tex 2024 qui se tient actuellement à New Delhi, l'Inde veut montrer clairement sa détermination à devenir le nouveau hub mondial de l'industrie textile. Cela, en présentant au monde le meilleur de sa fabrication, de son design avant-gardiste, de sa technologie, mais aussi des pratiques durables développées dans cette industrie et des politiques de soutien mises en place pour propulser le textile indien dans une nouvelle ère.

Visiblement, l'industrie textile indienne affiche de fortes ambitions à l'horizon 2030 : elle prévoit de doubler son chiffre d'affaires pour atteindre USD 350 milliards. En 2022, le marché était évalué à USD 154 milliards, dont 44 milliards provenaient des exportations. Certes, cette industrie s'appuie sur une main-d'oeuvre abondante et à bon marché, actuellement 45 millions de personnes, dont 70 % sont des femmes. Elle devient du coup le deuxième plus grand employeur du pays.

Il va de soi que l'émergence de l'Inde dans cette industrie n'est pas le fruit du hasard. Pour soutenir cette croissance, le gouvernement indien a mis le paquet en s'appuyant notamment sur différents programmes. C'est le cas du Mega Integrated Textile Region and Apparel Parks Scheme visant à développer une infrastructure de classe mondiale ou encore de la Production Linked Incentive (PLI) qui entend stimuler la fabrication de tissus à base de fibres chimiques, de vêtements et de textiles techniques.

Mais il y a aussi le programme Samarth, ayant pour objectif de combler les lacunes en matière de compétences et le Kasturi Cotton, pour promouvoir la traçabilité et le coton indien de qualité premium au niveau mondial. Enfin, la National Technical Textile Mission est engagée dans la recherche et le développement de cette industrie. Un véritable chantier réunissant des compétences diverses et donnant à cette troisième puissance économique mondiale en devenir un tel rayonnement.

À en croire les spécialistes de ce secteur, ces initiatives audacieuses couplées à une croissance prévue de 10 % par an permettront à l'industrie textile indienne de bien se positionner pour jouer un rôle de premier plan sur la scène mondiale et d'offrir des opportunités d'emploi et de développement économique à des millions de personnes.

Bharat Tex 2024 veut être une vitrine de la chaîne de valeur textile de l'Inde, allant de la fabrication de matières premières à la conception de produits finis. Une opération de marketing auprès de visiteurs professionnels venant des quatre coins du monde pour découvrir le savoir-faire du textile indien. Une occasion d'explorer les dernières tendances, de nouer des partenariats stratégiques et de se plonger dans des innovations technologiques façonnant l'avenir d'une industrie qui explose.

C'est le cas des grandes multinationales comme H&M de la Suède, Fortum, Lenzing, Busana ou encore Hyosung, alors qu'à côté se dressent de grosses sociétés indiennes qui vont capitaliser sur cet événement-phare pour attirer des investissements étrangers dans ce secteur. Citons des groupes comme Aditya Birla, Reliance, Arvind Fashion, Welspun Living, Indorama et Trident, pour ne citer que ces quelques-uns.

Quid des opérateurs mauriciens ?

Le positionnement de l'Inde pour régner en maître sur ce créneau à l'échelle planétaire doit interpeller les opérateurs locaux et les faire s'interroger sur le chemin parcouru par le textile mauricien. Évidemment, l'Inde, c'est l'Inde et il faudra comparer ce qui est comparable. Pour autant, à un moment où tous les faits et gestes de Narendra Modi sont suivis de près par les dirigeants du pays et répercutés positivement par la télévision nationale, il faudra que les autorités locales s'inspirent et s'imprègnent de l'ambition indienne pour ce secteur afin d'en tirer avantage. Même si, à la fin de la journée, on sait très bien que ce sont les intérêts économiques et industriels de son pays que Modi va privilégier dans sa prise de décisions.

Présent en Inde depuis 2005, Ciel Textile s'associe à cet événement, une démarche somme toute logique, connaissant sans doute le potentiel de l'industrie du textile indienne et trouvant de nouveaux relais de croissance dans ce pays. Ses filiales, Aquarelle, Laguna et Tropic, sont impliquées sur le marché indien dans la fabrication de chemises haut de gamme, avec des clients de marques renommées telles que Hugo Boss et Polo Ralph Lauren. Le groupe réalise 40 % de sa production en Inde à travers les sept usines qu'il opère.

On ne cessera de souligner que les entreprises qui réussissent dans cette industrie sont celles qui ont su prendre à temps le pari régional et adopter le virage technologique. Aujourd'hui, on peut compter sur les doigts d'une main les opérateurs qui ont osé prendre des risques, même si on peut comprendre que certaines entreprises ont connu de mauvaises expériences et ont dû dans la foulée mettre fin à leur aventure régionale.

Qu'on ne se voile pas la face. Aujourd'hui, nombreux sont les experts qui se demandent si le textile mauricien n'est pas une sunset industry, tout au moins dans le modèle existant. Hier encore un modèle de résilience, moteur de croissance des années 80, enregistrant des taux moyens de 30 % de 1984 à 1987, atteignant même un pic de 34,9% en 1986, et employant jusqu'à 80 000 personnes dans ces années là, le secteur du textile habillement est à la croisée des chemins. Sa croissance est aujourd'hui assurée dans une grande mesure par des travailleurs étrangers, plus de 10 000, alors même que leurs traitements dans certaines entreprises ont été vivement dénoncés par Transparentem, un groupe d'investigation américain, dans un rapport rendu public en janvier. Entre-temps, les choses ont-elles changé ?

Au fil des années, on a assisté à une consolidation du secteur textile. Opérant sans véritable filet de protection avec le démantèlement de l'accord multifibre en 2005, bénéficiant aujourd'hui des avantages liés aux accords de libre-échange avec certains pays, force est de constater qu'une poignée d'entreprises dominent ce marché. Une analyse du secteur textile parue dans l'édition 2023 de Top 100 Companies montre que sur une liste de 25 sociétés, le groupe Ciel assure seul 44 % des chiffres combinés et 54 % de la totalité des profits.

De plus, seules neuf entreprises ont franchi la barre de Rs 1 milliard de chiffre d'affaires en 2022. «Hier encore, les T-shirts et polo-shirts confectionnés à Maurice envahissaient les magasins à Floréal. Aujourd'hui, signe des temps, c'est la Turquie qui domine ce créneau, du prêt-à-porter haut de gamme portant des griffes internationales, mais confectionnées dans ce pays et qu'on retrouve dans nos shopping malls. Ce qui explique la compétitivité de ce secteur en Turquie et un rapport qualitéprix qui intéresse les commerçants mauriciens», explique un observateur économique, analysant ce nouveau phénomène auquel est confronté le textile mauricien et critiquant l'absence d'une véritable stratégie pour donner à ce secteur un nouveau souffle.

Exit Sunil Bholah, il incombera à la nouvelle ministre, détentrice du portefeuille du textile, Naveena Ramyad, d'engager une réflexion avec les opérateurs du secteur, trop souvent obnubilés par la dépréciation de la roupie, pour dégager une nouvelle feuille de route et sauver ce qui peut être sauvé.

Oublions Big Brother, il ne fera pas de cadeaux.

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