Au Liberia, les victimes le réclament depuis plus de 20 ans : la création d'un tribunal spécial pour juger les auteurs des crimes des guerres civiles qui ont fait plus de 250 000 morts. Le Parlement libérien a voté une motion en ce sens, suscitant l'espoir des Libériens de pouvoir enfin être témoins de justice sur leur sol.
Jusqu'ici, ce sont les tribunaux étrangers qui se sont chargés de poursuivre les anciens chefs de guerre. Paris juge d'ailleurs actuellement l'ex-commandant rebelle Kunti Kamara en appel. Désormais, cette tâche pourrait revenir au Liberia lui-même, grâce à la motion adoptée mardi, qui alimente à la fois l'espoir et le doute.
La création d'une telle juridiction, Maxson Kpakio, militant des droits de l'homme, l'attend depuis 2009. En cette année, la Commission de vérité et réconciliation avait publié un rapport recommandant de poursuivre les auteurs de crimes contre l'humanité. Recommandation restée lettre morte. Avec la motion adoptée par le Parlement libérien, l'espoir de justice renaît pour Maxson Kpakio, qui a perdu son oncle durant la première guerre civile, dans la région de Lofa, l'une des régions les plus martyrisées.
« L'une des factions belligérantes a tenté de recruter mon oncle, mais il a refusé. Il a dit que sa religion ne lui permettait pas de tuer, raconte Maxson Kpakio. Ils l'ont attaché, lui ont bandé les yeux et l'ont torturé. Ils l'ont plongé dans de l'eau bouillante et c'est ainsi qu'il a été tué, simplement parce qu'il avait refusé de participer à la guerre. »
Il avait 16 ans lorsque son oncle a été torturé et tué par le groupe rebelle Ulimo. Il se dit prêt à aller jusqu'au bout pour obtenir justice : « Je ressens encore la douleur de la mort de mon oncle, aujourd'hui. Tant que je n'aurai pas obtenu justice, tant que je ne pourrai pas me tenir devant un tribunal et demander à la personne responsable "pourquoi vous avez fait ça ?", je ne connaîtrai pas la paix. Et beaucoup de gens ont été massacrés, dans mon district de Foya, dans la région de Lofa. Mon âme ne reposera pas en paix tant que les gens ne paieront pas le prix de leurs crimes. »
Un cadre juridique à préciser
Le Liberia n'a jamais condamné aucun de ses bourreaux. La plupart des anciens chefs de guerre occupent d'ailleurs des postes-clé, nourrissant le sentiment d'impunité. Si le Parlement fait un pas vers la justice, Oscar Bloh, avocat, a ses doutes : « La loi doit être claire : quelle sera la juridiction de ce tribunal ? Sera-t-il composé de juges libériens ou de juges internationaux ? Qu'en est-il de la protection des témoins ? Le Liberia est sur le point d'entreprendre une tâche énorme et nous devons nous assurer que le cadre juridique est conforme. »
La motion doit désormais être débattue par le Sénat avant d'être transmise au président Joseph Boakai. Ce dernier avait promis de lutter contre l'impunité durant sa campagne électorale. Une perspective mise en doute par les analystes, en raison de sa proximité avec le puissant chef de guerre et sénateur, Prince Johnson.