Une des premières ministres de la Femme à avoir apporté des changements majeurs à la condition féminine à Maurice, a été Shirin Aumeeruddy-Cziffra, que nous avons interviewée à l'occasion de la Journée internationale de la femme.
Pour se rapprocher de la parité en politique, cette avocate n'en démord pas : il faut amender la loi électorale et ainsi respecter les engagements internationaux pris. Mais les femmes doivent aussi s'affirmer et imposer leurs idées au sein de leurs partis respectifs, souligne-t-elle.
Lors de la Journée internationale de la femme, en mars 2022, vous aviez lancé un livre intitulé «Femmes, de l'ombre à la lumière - L'évolution des droits de la femme à Maurice». Quel est votre constat deux ans après ?
Mon livre publié par les Éditions de l'océan Indien fait un tour d'horizon de la situation de la Mauricienne depuis le XIXe siècle en montrant comment, depuis les années 1970, nos combats ont permis une certaine évolution du statut des femmes, notamment sur le plan juridique. Mais il raconte aussi les embûches, les reculs et heureusement aussi les avancées. J'en ai aussi profité pour bien montrer comment la société civile a joué un rôle majeur. Je rappelle comment la solidarité entre femmes, toutes sensibilités confondues, a pu peser sur les décideurs de l'époque pour obtenir une réforme en profondeur de nos droits civils dans un premier temps, et par extension,de tous nos droits progressivement. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de défis à relever et les femmes continuent à être victimes de discrimination et subissent différentes sortes de violence.
Les enfants aussi sont victimes de harcèlement, et notamment à l'école. Comment peut-on enrayer toute cette violence ?
L'école est le lieu par excellence où tout peut changer positivement pour peu que l'on accepte que l'enseignement des valeurs et des droits humains fasse partie intégrante de la scolarité. Beaucoup de pays font face aux mêmes problèmes de société que nous. Voyons ce qui se passe notamment à La Réunion, qui suit ce qui se passe en métropole. Tous les jours, la télévision montre comment les très jeunes enfants sont éduqués de manière à comprendre ce qu'est le respect des autres pour ne pas participer au harcèlement par des groupes, ni être victime de harcèlement. De plus, les écoles françaises ont maintenant des boîtes à lettres où un enfant peut dénoncer ses agresseurs s'il n'ose pas en parler aux instituteurs/enseignants. À Maurice, la loi vient de changer et le bullying est désormais un délit. À nous de mettre en place des stratégies appropriées pour détecter les cas de violence à l'école. Quand j'étais Ombudsperson, j'avais préparé un kit, qui avait servi à la formation de tout le personnel des écoles et je pense que ce kit peut encore être amélioré avec le même objectif.
Et pour ce qui est des féminicides ?
Le gouvernement a pris certaines mesures. Mais ce qui est difficile dans un petit pays comme le nôtre, c'est de protéger les femmes avant que la situation ne dégénère. Comment faire comprendre aux familles qu'elles ont aussi la responsabilité de soutenir leurs enfants adultes, qui sont victimes de violence conjugale ? Il faut sensibiliser les femmes et les hommes au sujet de ce fléau qui perdure. Cette semaine, j'ai eu l'occasion de dialoguer avec des employés d'une grande entreprise, qui a décidé de jouer son rôle à ce niveau. Il faut que les autres suivent cet exemple.
On est encore loin de la parité en politique au niveau des élections. Que faire pour changer la donne et estimez-vous que cela aurait vraiment un impact sur la condition des femmes ?
Les femmes sortent un peu de l'ombre si l'on se base sur le fait que nous avons désormais cinq femmes ministres au lieu de trois. Mais ce nombre seul est insuffisant et on aimerait que ce progrès arithmétique se traduise par une plus grande prise en compte des problèmes des femmes. Il faut absolument que la loi soit amendée pour que les partis politiques présentent beaucoup de femmes candidates afin de voir un vrai changement. Il faut respecter nos engagements internationaux et régionaux sur ce point. La loi de 2011 sur les élections régionales est un bon modèle. Elle prévoit au minimum un tiers de candidats de chaque sexe dans chaque circonscription. On a vu comment les statistiques ont fait un bond en 2012, passant de 6,4 % à 28 %, puis 32 % en 2015. Encore faut-il que les candidates soient suffisamment fortes et indépendantes d'esprit pour avoir un impact sur les décisions à l'intérieur même de leurs partis politiques respectifs. Personnellement, j'ai toujours lutté pour imposer mes idées parce que je n'avais pas peur d'être exclue. Ainsi, Joceline Minerve et moi nous avions voté contre l'abaissement de l'âge du mariage pour les filles alors que notre parti avait décidé de voter pour.
Récemment, lors de l'adoption de la Children's Act, une majorité de députés a voté pour porter l'âge minimum du mariage à 18 ans. Pourquoi les progrès sont si difficiles et si lents ?
Même dans les pays démocratiques, le patriarcat est très ancré. Ailleurs, c'est tout simplement l'horreur. Les hommes contrôlent encore totalement les leviers du pouvoir. Chez nous, il n'y a qu'au niveau de la justice que nous avons constaté un changement avec deux femmes à la tête du pouvoir judiciaire et beaucoup de magistrates et de femmes juges. Nous sommes encore victimes des stéréotypes et des conditionnements millénaires, qui imposent un certain type de comportement aux femmes, même celles qui ont fait des études très poussées et qui arrivent tant bien que mal à gravir les échelons. En tant qu'avocate, je rencontre de plus en plus de femmes qui sont victimes de violence conjugale ou de harcèlement au travail alors qu'elles sont brillantes et placées assez haut dans la hiérarchie. Mais elles peinent à s'imposer et certains hommes machistes sont encore persuadés de leur supériorité intrinsèque. D'autres croient que leur virilité doit être sans cesse prouvée à l'aune d'une forme de violence verbale ou physique à l'encontre des femmes ou des hommes plus doux.
Comment changer cette situation ?
Sur le plan individuel, par l'accompagnement, à condition qu'elles osent en parler et dénoncer les abus. Dans certaines entreprises où j'ai fait de la sensibilisation, la direction prend des mesures pour permettre aux employés hommes ou femmes de s'exprimer et même de consulter des thérapeutes ou d'autres spécialistes. Mais plus généralement, il faut une sensibilisation à tous les niveaux, avec l'aide de la presse écrite et parlée. C'est ainsi que j'ai écrit une série d'articles sous le titre «Les droits des femmes sont des droits humains», publiés dans vos propres colonnes.
Vous êtes active avec Fam Ape Zwenn (FAZ). N'est-ce pas ce que fait ce Collectif ?
FAZ est une plate-forme qui regroupe des femmes de tous les bords et horizons. Nous militons pour que les droits des femmes soient respectés. Nous sommes en pleine réflexion sur la meilleure approche pour obtenir des changements conséquents qui favoriseront une avancée significative permettant aux femmes de jouir de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Mes amies ont été très actives sur le terrain dans différentes régions de Maurice où elles ont écouté les femmes et recueilli leur parole. Ensuite, nous avons organisé des rencontres pour échanger avec un maximum de femmes autour de tables rondes thématiques. Nous avons transcrit tout cela dans des rapports destinés à nourrir notre réflexion et notre action. Et bien sûr, nous travaillons avec d'autres associations de femmes et des femmes leaders dans différents domaines, en particulier des syndicalistes, des femmes entrepreneures, celles qui accueillent les femmes battues, celles qui accompagnent les femmes à la recherche d'un logement social, les Chagossiennes et les Agaléennes, etc.
Le Muvman Liberasyon Fam (MLF) a organisé une marche en faveur de la paix le 1er mars dernier. On ne vous a pas vue alors que vous militiez aux côtés du MLF pendant vos jeunes années...
Ma santé ne me permet plus de participer à des marches. Mais elles savent que depuis 1975, je suis bien là dans tous les combats importants, y compris en 1978 pour le premier meeting des femmes au Jardin de la Compagnie. Quand j'étais ministre, j'ai marché lors de la torchlight march, organisée dans la soirée du 8 mars 1983, afin de réclamer la sécurité pour les femmes qui devaient sortir la nuit. Le fameux «dan nou pena sa!» était bien sûr faux puisque les femmes commençaient à travailler très tôt dans les champs de canne. Celles qui étaient employées dans les usines de la zone franche travaillaient aussi la nuit.
Vous avez aussi longtemps milité pour que les femmes soient activement incluses dans les pourparlers de paix en Afrique.
Oui, j'ai été cofondatrice en 1996 de l'organisation non gouvernementale Femmes Afrique Solidarité, qui a beaucoup travaillé pour accroître le rôle des femmes à la table des négociations après les conflits dans plusieurs pays d'Afrique. Les femmes sont des victimes collatérales de guerres décidées par les hommes. Au Moyen-Orient, ce qui se passe ne peut laisser personne insensible. On voit tous les jours à Gaza les horreurs de la guerre qui frappent les populations civiles en toute impunité. Depuis la création de l'État d'Israël, les Palestiniens, qui ne sont pas chassés de chez eux, vivent dans des territoires occupés. Ce peuple est affamé et ne se sait plus où trouver refuge. Les tentatives de résolution pacifique de ce conflit ont malheureusement toujours échoué. Je félicite mes amies du MLF pour leur solidarité, sans faille depuis des années, envers les Palestiniens.