Nairobi — La répression de la liberté d'association et d'expression se renforce à l'approche des élections de 2025
La récente déclaration du ministre de l'Administration territoriale du Cameroun visant à rendre illégales deux coalitions de l'opposition s'inscrit dans la lignée d'une répression gouvernementale récente vis-à-vis de l'opposition et de la dissidence, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le 12 mars 2024, le ministre, Paul Atanga Nji, a annoncé dans un communiqué que l'Alliance politique pour le changement (APC), dirigée par Jean-Michel Nintcheu, et l'Alliance politique pour la transition (APT), dirigée par Olivier Bile, sont « illégales », les qualifiant de « mouvements clandestins ». Le ministre a également fait mention d'une récente rencontre dans une prison de Yaoundé entre Jean-Michel Nintcheu et Sisiku Julius Ayuk Tabe, un dirigeant du groupe séparatiste anglophone Gouvernement par intérim de l'Ambazonie, avancée comme une des raisons de la décision d'interdire la coalition.
« La mesure prise par le gouvernement contre ces coalitions montre comment les autorités camerounaises agissent pour fermer l'espace à l'opposition et au débat public à l'approche des élections présidentielles de 2025 », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement lever l'interdiction et permettre aux partis d'opposition de continuer à travailler sans subir de harcèlement. »
En décembre 2023, un éminent dirigeant de l'opposition, Maurice Kamto, a été réélu à la tête du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), l'un des groupes d'opposition les plus importants du pays. Maurice Kamto a profité de sa réélection pour annoncer la création de l'Alliance politique pour le changement.
Le président actuel, Paul Biya, est au pouvoir depuis 1982 et effectue son septième mandat. Paul Biya, âgé de 91 ans, a été réélu pour la dernière fois en 2018 après un processus de dépouillement des votes contesté. Maurice Kamto a remis en question les résultats officiels et s'est déclaré vainqueur de l'élection.
L'élection de Paul Biya en 2018 a déclenché une vague de répression politique. Après le scrutin de 2018, des manifestations conduites par l'opposition ont eu lieu dans tout le pays, et le gouvernement a réagi par une répression sévère et le recours à une force excessive par la police, l'armée et la gendarmerie. En janvier 2019, Maurice Kamto et plus de 200 de ses partisans ont été arrêtés et détenus. Maurice Kamto a été accusé d'insurrection, d'hostilité envers la patrie, d'association de malfaiteurs, de troubles à l'ordre public, de rébellion et d'incitation à l'insurrection - des crimes passibles de la peine de mort. Il a été libéré le 5 octobre 2019 et les poursuites ont été abandonnées, même si la répression contre l'opposition a continué.
Début septembre 2020, les autorités camerounaises ont interdit les manifestations dans le pays après que le MRC de Maurice Kamto a incité la population à descendre dans la rue suite à la décision du gouvernement de convoquer des élections régionales en décembre 2020. Les partis de l'opposition avaient exprimé leurs préoccupations quant au fait que les élections ne pourraient pas se dérouler de manière libre et équitable sans réformer le code électoral et remédier au manque de sécurité dans les régions anglophones minoritaires du pays, où les groupes séparatistes et les forces de sécurité se sont affrontés à plusieurs reprises.
Le 22 septembre 2020, les forces de sécurité camerounaises ont lancé des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau et ont arrêté plus de 550 personnes, principalement des membres et des partisans de partis de l'opposition, pour disperser des manifestations pacifiques dans tout le pays. De nombreux manifestants pacifiques ont été battus et maltraités pendant leur arrestation et leur détention.
Alors que la majorité des partisans de Maurice Kamto qui ont été arrêtés en 2019 ont finalement été libérés, 41, dont Olivier Bibou Nissack et Alain Fogue Tedom, deux des dirigeants du groupe, sont toujours incarcérés après avoir été condamnés à sept ans de prison.
Lors du lancement de l'Alliance politique pour le changement en décembre 2023, Maurice Kamto a indiqué que l'opposition devrait se rallier derrière un seul candidat pour les prochaines élections présidentielles, prévues à la fin de l'année 2025. Paul Biya n'a pas annoncé s'il briguerait un nouveau mandat.
Des groupes de l'opposition coordonnant leurs activités et créant des alliances ne doivent pas être considérés comme des « mouvements clandestins » ; au contraire, cette coordination devrait plutôt être considérée comme une caractéristique normale et importante du processus démocratique, a expliqué Human Rights Watch.
Des activistes ont exprimé des doutes quant à la légalité de l'interdiction du gouvernement. « Cette décision n'est fondée sur aucun texte juridique », a indiqué Emmanuel Simh, éminent défenseur des droits humains et avocat du MRC, à Human Rights Watch. « Aucune loi au Cameroun n'empêche des partis légalement établis de se réunir pour former une coalition. Il s'agit d'une répression et d'une nouvelle tentative de museler l'opposition, de l'empêcher de s'organiser avant les prochaines élections présidentielles. »
La décision du gouvernement d'interdire les deux coalitions politiques viole les droits à la liberté d'expression, d'association, de réunion pacifique et de participation à la vie politique. Ces droits sont garantis par le droit international relatif aux droits humains, y compris expressément par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, qui ont tous deux été ratifiés par le Cameroun.
« Les Camerounais ont vu Paul Biya affaiblir toute opposition politique significative au cours des quatre dernières décennies et cette interdiction est un nouvel exemple de la répression menée par le gouvernement », a conclu Carine Kaneza Nantulya. « Paul Biya devrait tenir compte de son héritage et inciter les autorités à faciliter et à mettre en oeuvre un processus électoral crédible dans le plein respect des libertés et des droits fondamentaux. »