Nairobi — Trente ans après, les efforts pour permettre la justice devraient être accélérés
Human Rights Watch a annoncé aujourd'hui la publication d'une série d'archives témoignant des efforts extraordinaires déployés par des défenseurs des droits humains au Rwanda et à l'étranger pour lancer l'alerte au sujet du génocide planifié de 1994, et tenter d'arrêter les massacres. Les documents illustrent tristement le refus des principaux acteurs étrangers de reconnaître le massacre de plus d'un demi-million de personnes et d'agir pour y mettre fin.
Un nombre important de personnes responsables du génocide, y compris d'anciens hauts responsables du gouvernement rwandais et d'autres figures clés à l'origine des massacres, ont depuis été traduites en justice, et plus d'une dizaine de poursuites pénales contre des auteurs présumés du génocide sont en cours devant des tribunaux nationaux en Europe en vertu du principe de compétence universelle. Pourtant, ces dernières années, plusieurs cerveaux présumés du génocide qui occupaient des fonctions de haut niveau sont décédés ou, dans le cas d'un planificateur présumé, ont été déclarés inaptes à être jugés - soulignant l'urgence de poursuivre la quête de justice.
« Le génocide au Rwanda a laissé une marque indélébile sur notre conscience collective, et trente ans plus tard, des leçons peuvent encore être tirées des actions - ou en l'occurrence de l'inaction - des dirigeants mondiaux face aux atrocités », a expliqué Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Il est urgent d'accélérer la quête de justice pour s'assurer que les derniers architectes du génocide encore en vie rendent des comptes pour leurs actes avant qu'il ne soit trop tard. »
Le 6 avril 1994, un avion transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu au-dessus de la capitale rwandaise, Kigali. Le crash a marqué le début de trois mois de massacres à caractère ethnique dans tout le Rwanda à une échelle sans précédent.
Des extrémistes politiques et militaires hutus ont orchestré le meurtre d'environ trois quarts de la population tutsie du Rwanda, faisant plus d'un demi-million de morts. De nombreux Hutus qui ont tenté de cacher ou protéger des Tutsis, ou qui s'opposaient au génocide, ont aussi été tués.
À la mi-juillet 1994, le Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle principalement tutsi basé en Ouganda qui luttait pour renverser le gouvernement rwandais depuis 1990, a pris le contrôle du Rwanda et mis fin au génocide. Les troupes du FPR ont tué des milliers de civils essentiellement hutus, bien que l'ampleur et la nature de ces meurtres n'étaient pas comparables à celles du génocide.
Human Rights Watch a documenté le génocide et les crimes du FPR de 1994 en détail. Alison Des Forges, conseillère senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch pendant près d'une vingtaine d'années, a publié un ouvrage de référence sur le génocide rwandais intitulé « Aucun témoin ne doit survivre » et a documenté l'indifférence et l'absence d'action de la part de la communauté internationale.
Malgré les avertissements répétés des organisations rwandaises et internationales de défense des droits humains, de diplomates, de membres du personnel des Nations Unies et d'autres acteurs concernant la planification d'un génocide en amont du mois d'avril 1994, les gouvernements et les organismes intergouvernementaux, y compris les Nations Unies et l'Organisation de l'unité africaine (devenue l'Union africaine), n'ont pas agi pour le stopper alors qu'il était en cours. La force de maintien de la paix de l'ONU au Rwanda a retiré la plupart de ses troupes au plus fort des massacres, laissant la population civile rwandaise sans défense.
Trente ans plus tard, Human Rights Watch met en ligne une partie de ses archives datant de mars 1993 à décembre 1994. Ces documents, présentés dans une chronologie des actions menées au cours de cette période, illustrent les efforts de plaidoyer considérables déployés par l'organisation, sous la direction d'Alison Des Forges, et par ses alliés, d'abord pour tenter de prévenir les massacres, puis pour y mettre un terme. Cette chronologie ne prétend pas être une compilation exhaustive de toutes les actions entreprises par les organisations de la société civile et d'autres acteurs en 1993 et 1994. Il s'agit plutôt d'une partie de la documentation compilée à une époque sans Internet et conservée par Human Rights Watch après le décès soudain d'Alison Des Forges en 2009 dans un accident d'avion aux États-Unis, et que l'organisation considère comme étant d'intérêt public.
Stopper les dirigeants et les meurtriers au Rwanda aurait requis le déploiement d'une force militaire, mais de taille relativement limitée lors de la phase initiale du génocide. Une intervention internationale rapide et efficace aurait pu permettre d'arrêter le génocide et d'empêcher certains des pires massacres. Les archives montrent que les dirigeants internationaux ont non seulement rejeté cette option, mais ont également refusé pendant des semaines d'user de leur autorité politique et morale pour contester la légitimité du gouvernement génocidaire. Les documents de stratégie, les déclarations et les courriers aujourd'hui publiés révèlent que les dirigeants internationaux de l'époque ont refusé de déclarer qu'un gouvernement qui exterminait ses citoyens ne recevrait jamais d'aide internationale et n'ont rien fait pour faire taire les émissions de radio qui incitaient les Rwandais à commettre des massacres. Des mesures aussi simples que celles-ci auraient pu saper le pouvoir des autorités alors déterminées à commettre des tueries de masse et encourager la résistance des Rwandais à la campagne d'extermination.
Le 10 mai 1994, Alison Des Forges a adressé un courrier au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme de l'époque, José Ayala Lasso, l'informant que le régime qui commettait le génocide était soucieux de la façon dont il était perçu à l'échelle internationale et qu'à la veille de sa visite au Rwanda, « le comité national des milices Interahamwe [...] a diffusé un communiqué appelant leurs membres à cesser de tuer les Tutsis et les membres de l'opposition politique. Il leur a aussi demandé d'aider à mettre fin aux meurtres commis par des personnes qui n'étaient pas membres de leurs groupes. »
Les documents mettent également en lumière le rôle vital joué par les défenseurs des droits humains dans la prévention des atrocités. Dès le début, Human Rights Watch et d'autres organisations ont tiré la sonnette d'alarme face au ciblage des défenseurs des droits humains au Rwanda.
Dans les mois et les années qui ont suivi, alors que l'on prenait la mesure de l'horreur du génocide, le « plus jamais ça » est devenu un refrain courant. Les dirigeants de certains pays ont reconnu leur inaction pour mettre fin au génocide, et certains s'en sont excusés. Cela a constitué l'un des éléments déclencheurs de la doctrine de la « responsabilité de protéger », que différents gouvernements ont adoptée en 2005 pour protéger les personnes faisant face à des atrocités de masse.
Le sentiment de culpabilité écrasant lié à l'absence d'actions, au niveau individuel et collectif, qui auraient pu stopper le génocide, a aussi été un facteur déterminant dans la politique étrangère de nombreux gouvernements envers le Rwanda depuis cette période. Ce sentiment continue de façonner les perceptions et les réactions internationales face aux événements qui ont lieu au Rwanda et dans la région des Grands Lacs, notamment en ce qui concerne le bilan du Rwanda en matière de droits humains depuis le génocide ainsi que ses incursions répétées en République démocratique du Congo. Le Rwanda a soutenu des groupes armés congolais responsables de meurtres de civils, de viols et d'autres violations graves des droits humains.
La majorité des poursuites pénales liées au génocide ont eu lieu devant des tribunaux rwandais. D'autres se sont déroulées devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ou des tribunaux nationaux en Europe et en Amérique du Nord.
Les tribunaux communautaires rwandais, appelés « gacaca », ont achevé leur travail en 2012 ; le TPIR a officiellement fermé ses portes en 2015, transférant un certain nombre de fonctions à un mécanisme résiduel. Après des années de retards, depuis 2001, des dizaines de génocidaires présumés ont fait l'objet d'enquêtes, d'arrestations ou de poursuites en vertu du principe de compétence universelle en Allemagne, en Belgique, en France, au Royaume-Uni et dans d'autres pays d'Europe et d'Amérique du Nord.
Le trentième anniversaire du génocide rwandais constitue une occasion propice et opportune de mesurer les progrès qui ont été réalisés, tant au niveau national qu'international, pour faire rendre des comptes aux suspects qui ont planifié, ordonné et perpétré ces crimes atroces. Il est d'autant plus urgent de le faire, et de redoubler d'efforts pour poursuivre les suspects du génocide toujours en vie, que plusieurs planificateurs et cerveaux du génocide sont déjà décédés et que l'un d'entre eux - Félicien Kabuga - a été déclaré inapte à être jugé.
« L'un des enseignements durables du génocide est que la communauté internationale n'a pas tenu compte des signes clairs indiquant que des atrocités de masse étaient en cours de préparation, notamment les avertissements des défenseurs des droits humains qui ont risqué leur vie pour tirer la sonnette d'alarme », a conclu Tirana Hassan. « Malgré le temps écoulé, les victimes méritent de voir les responsables du génocide et d'autres crimes arrêtés et jugés dans le cadre de procès équitables et crédibles. »
Pour plus d'informations sur la justice après le génocide depuis 2019, veuillez voir ci-dessous.
Justice depuis le génocide
Le génocide au Rwanda ainsi que les guerres dans les Balkans ont marqué un tournant dans l'engagement international visant à intégrer la reddition des comptes et les procès pénaux dans les réponses aux crimes graves relevant du droit international. La création du TPIR en 1994 et du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) l'année précédente a ouvert la voie à la justice internationale. Un héritage important du génocide au Rwanda a été l'instauration, en 1998, de la Cour pénale internationale (CPI).
La CPI est la première cour pénale internationale permanente dont le mandat ne se limite pas à une situation spécifique, mais qui a une portée mondiale potentielle ayant compétence sur le crime d'agression, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. La CPI compte actuellement 124 États parties et a ouvert 17 enquêtes sur des crimes internationaux graves dans toutes les régions du monde. Elle agit comme un tribunal de dernier ressort, n'intervenant que lorsque les autorités nationales ne mènent pas d'enquêtes appropriées et, le cas échéant, de poursuites pénales. La Cour s'inscrit dans un système de justice plus large pour les crimes internationaux graves qui s'appuie sur les tribunaux nationaux de ses pays membres.
Justice internationale pour le génocide rwandais (2019-2024)
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994 en réponse au génocide. Le tribunal a inculpé 93 personnes, a reconnu coupables et condamné 62 d'entre elles et en a acquitté 14. Les affaires concernant les autres accusés ont été transférées devant des juridictions nationales, tandis que d'autres suspects sont décédés avant d'avoir été présentés à un juge ou sont toujours en fuite. Le tribunal a contribué de manière significative à l'établissement de la vérité sur l'organisation du génocide et à ce que justice soit rendue pour les victimes. Alison Des Forges a comparu comme témoin expert dans 11 procès sur le génocide au TPIR.
Cependant, le tribunal n'a finalement jugé qu'un petit nombre de cas et n'a pas voulu engager de poursuites pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par le Front patriotique rwandais (FPR). Le TPIR a officiellement fermé ses portes le 31 décembre 2015.
Alors qu'il mettait progressivement fin à son travail entre 2011 et 2015, le TPIR a transféré plusieurs affaires liées au génocide devant les tribunaux rwandais. Pour assurer le bon déroulement de ce transfert ainsi que des extraditions de personnes suspectées de génocide depuis d'autres pays, le gouvernement rwandais a mis en oeuvre des réformes de son système judiciaire afin de l'adapter aux normes internationales de procès équitable. Toutefois, les avancées techniques et formelles des lois et de la structure administrative n'ont pas été accompagnées de gains en matière d'indépendance de la justice et de respect du droit à un procès équitable.
Plusieurs personnes condamnées par le TPIR sont depuis décédées ou ont purgé leur peine. Le 25 septembre 2021, les autorités maliennes ont annoncé le décès de Théoneste Bagosora, un ancien colonel de l'armée rwandaise condamné pour avoir orchestré des massacres pendant le génocide de 1994. Théoneste Bagosora, qui avait 80 ans, purgeait une peine de 35 ans de prison au Mali après avoir été reconnu coupable de crimes contre l'humanité par le tribunal.
Quand le TPIR a fermé, le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (« le Mécanisme », IRMCT), créé en 2010, a été chargé d'arrêter et de juger les neuf derniers fugitifs inculpés par le tribunal. Il a conservé la compétence sur les affaires d'Augustin Bizimana, de Félicien Kabuga et de Protais Mpiranya, tout en renvoyant les six affaires restantes aux autorités rwandaises (Fulgence Kayishema, Charles Sikubwabo, Aloys Ndimbati, Charles Ryandikayo, Phénéas Munyarugarama et Ladislas Ntaganzwa).
Ayant échappé à la justice depuis 2001, Fulgence Kayishema a finalement été arrêté en Afrique du Sud en mai 2023. Il est accusé d'avoir planifié le meurtre de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants le 15 avril 1994 dans une église dans l'ouest du Rwanda.
Félicien Kabuga, un cerveau présumé du génocide, a été arrêté en France en mai 2020. Son procès a débuté en septembre 2022 devant le Mécanisme, mais a été suspendu en mars 2023 alors que les juges examinaient s'il était mentalement apte à être jugé. En août 2023, les juges de la chambre d'appel du Mécanisme ont ordonné la suspension définitive du procès, confirmant en partie une décision de la chambre de première instance de juin déclarant Félicien Kabuga inapte à être jugé.
Quelques jours à peine après l'arrestation de Félicien Kabuga en 2020, le Mécanisme a annoncé que les restes d'Augustin Bizimana - ministre de la Défense au moment du génocide - avaient été identifiés dans une tombe en République du Congo. En mai 2022, le décès de Protais Mpiranya - commandant de la garde présidentielle de l'armée à l'époque du génocide - a été confirmé. Alison Des Forges avait documenté comment Protais Mpiranya avait été impliqué dans le commandement de membres de milices et de civils qui ont commis des meurtres. En mai 2022, le procureur du Mécanisme a également confirmé le décès d'un autre fugitif, Phénéas Munyarugarama, dans l'est de la République démocratique du Congo en 2002.
Du fait de ces décès, les rescapés du génocide ont été privés de la possibilité de voir certains de ses auteurs présumés faire face aux accusations portées contre eux devant un tribunal.
D'après des propos cités dans des médias, le ministère public rwandais a expliqué que Fulgence Kayishema devrait d'abord être transféré au Mécanisme à Arusha, en Tanzanie, puis au Rwanda pour y être jugé. Des autorités judiciaires sud-africaines ont indiqué à Human Rights Watch que Fulgence Kayishema conteste son transfert au Rwanda dans le cadre de son procès en Afrique du Sud.
Les poursuites pour crimes internationaux tels que le génocide et les crimes contre l'humanité dans le pays où ils ont été commis, à proximité des victimes et de la population touchée, peuvent présenter un certain nombre d'avantages par rapport aux poursuites devant les tribunaux internationaux, à condition que des procès équitables puissent être garantis. Cependant, au Rwanda, le système judiciaire manque d'indépendance et le gouvernement peut influencer l'issue des procès, notamment dans les affaires sensibles sur le plan politique. Cela risque de porter atteinte aux droits des accusés, ainsi qu'aux droits des victimes à bénéficier d'une justice crédible.
Ladislas Ntaganzwa, dont l'affaire a également été transférée aux autorités rwandaises, a été arrêté en RD Congo en 2015 et a été extradé en mars 2016 vers le Rwanda où il a été jugé. Il a été condamné en mai 2020, puis sa culpabilité et sa condamnation à perpétuité ont été confirmées en appel en mars 2023. Toutefois, des préoccupations relatives au caractère équitable du procès ont été soulevées, notamment en ce qui concerne sa durée.
Dans son rapport de suivi de novembre 2018, le Mécanisme a indiqué que Ladislas Ntaganzwa avait déclaré au tribunal qu'il avait été placé à l'isolement pendant 25 jours et que les autorités pénitentiaires l'avaient harcelé et avaient menacé de le passer à tabac. Lors d'une réunion avec des observateurs en décembre, Ladislas Ntaganzwa a expliqué que les avocats chargés de sa défense n'avaient pas été autorisés à le voir pendant la durée de son placement à l'isolement et que les autorités avaient confisqué son ordinateur portable pendant une journée, et qu'il était inquiet qu'elles aient consulté les documents de sa défense.
En mars 2019, l'un des avocats de Ladislas Ntaganzwa a exprimé sa crainte que la transmission de la liste des témoins de la défense au début de la procédure ne conduise à leur subornation. Ladislas Ntaganzwa a réitéré ses préoccupations concernant les tentatives des autorités pénitentiaires de surveiller ses communications et d'examiner son ordinateur portable à plusieurs reprises.
Procès relevant de la compétence universelle
Une grande partie des informations ci-dessous sont issues de la base de données sur la compétence universelle de TRIAL International. Cette dernière fournit une vue d'ensemble des principales affaires pénales liées à la compétence universelle dans le monde.
Habituellement, les tribunaux nationaux sont uniquement habilités à enquêter sur un crime lorsqu'il existe un lien entre leur pays et le crime. Cependant, en vertu du principe de « compétence universelle », les systèmes judiciaires nationaux peuvent mener des enquêtes et des poursuites concernant certains des crimes les plus graves au regard du droit international, quel que soit le lieu où ils ont été commis et indépendamment de la nationalité des suspects ou de leurs victimes. Les affaires portées devant les tribunaux en vertu de ce principe constituent une part de plus en plus importante des efforts internationaux pour faire rendre des comptes aux auteurs d'atrocités, rendre justice aux victimes qui n'ont aucun autre recours, dissuader les crimes futurs et pour faire en sorte que certains pays ne deviennent pas des refuges pour les auteurs de violations des droits humains.
Certains pays ont créé des unités spécialisées dans les crimes de guerre au sein de leurs services d'application de la loi et de poursuites pénales, avec pour mission de traiter des crimes internationaux graves commis à l'étranger, y compris le génocide.
Dans certains de ces pays, de nombreuses années se sont écoulées avant que ne débutent les procès de suspects rwandais. Toutefois, depuis 2001, plusieurs pays ont jugé des Rwandais suspectés de génocide, dont l'Allemagne, la Belgique, le Canada, la Finlande, la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse. Pour certains d'entre eux, il s'agissait des premières affaires de génocide jugées dans leurs tribunaux nationaux. Des enquêtes pénales sont toujours en cours sur le cas d'autres Rwandais suspectés de génocide dans plusieurs pays, dont la France et la Belgique.
France
En France, pays vers lequel de nombreux génocidaires présumés connus ont fui après le génocide, les autorités judiciaires ont finalement redoublé d'efforts pour que justice soit rendue après des décennies de retards et de longues procédures judiciaires. Ce n'est que 20 ans après le génocide, en février 2014, que l'unité des crimes de guerre alors nouvellement créée en France a jugé le premier suspect - Pascal Simbikangwa, un ancien chef des services de renseignement sous le gouvernement de Juvénal Habyarimana. Ce fut un moment important, car la France avait appuyé l'ancien gouvernement du Rwanda et avait soutenu et entraîné certaines des forces qui ont commis le génocide. Le 14 mars 2014, un tribunal parisien a reconnu Pascal Simbikangwa coupable de génocide et de complicité de crimes contre l'humanité et l'a condamné à 25 ans de prison. Sa condamnation a été confirmée en appel en mai 2018.
En 2021, après des décennies de relations tendues entre la France et le Rwanda, une commission instaurée par le président Emmanuel Macron pour enquêter sur le rôle de l'État français dans le génocide de 1994, a publié un rapport de 1 200 pages qui a conclu que la France avait des responsabilités qualifiées de « lourdes et accablantes », notamment du fait de son aveuglement face à la préparation du génocide et de sa lenteur à retirer son soutien au gouvernement qui l'a orchestré.
Lors d'une visite au Rwanda en mai 2021, le président Emmanuel Macron s'est engagé à veiller à ce qu'aucune personne soupçonnée de crimes de génocide n'échappe à la justice. Depuis lors, les gouvernements français et rwandais ont renforcé leur coopération et leurs efforts pour arrêter et juger les génocidaires présumés en France.
Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro à l'époque du génocide, s'est enfui en France en 1997. Il a été inculpé par le TPIR le 16 juin 2005 pour incitation au génocide, génocide et complicité de génocide, ainsi que pour crimes contre l'humanité, notamment extermination, meurtres et viols. Le TPIR a transféré l'affaire aux autorités françaises et Laurent Bucyibaruta a été arrêté le 5 septembre 2007 puis placé sous contrôle judiciaire. Plus de 10 ans plus tard, le 24 décembre 2018, les juges d'instruction ont renvoyé l'affaire devant la Cour d'assises de Paris pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité.
Le 21 janvier 2021, la Cour d'appel a confirmé le renvoi, elle a modifié les chefs d'accusation de complicité en perpétration directe de génocide pour certains faits criminels et a ajouté des chefs d'accusation que le juge avait précédemment rejetés. Au cours de son procès, qui s'est déroulé du 9 mai au 1er juillet 2022, Laurent Bucyibaruta a été acquitté de l'accusation d'avoir directement perpétré le génocide et les crimes contre l'humanité, mais a néanmoins été reconnu coupable de complicité dans ces crimes pour avoir encouragé plusieurs massacres. Il a été condamné à 20 ans de prison et incarcéré à l'issue du procès. Laurent Bucyibaruta est décédé le 6 décembre 2023.
Sosthène Munyemana, médecin bien connu à Butare, a été mis en examen à Paris pour génocide et crimes contre l'humanité le 14 décembre 2011 et placé sous contrôle judiciaire. Douze ans plus tard, en décembre 2023, il a été reconnu coupable de génocide, de crimes contre l'humanité, et de participation à une entente en vue de la préparation de ces crimes, bien qu'il ait été acquitté des accusations de complicité, et a été condamné à 24 ans de prison. Il a été accusé d'avoir incité les Hutus à exterminer la communauté tutsie de Tumba lors d'une allocution publique le 17 avril 1994 ; d'avoir participé à plusieurs massacres de Tutsis à Tumba et aux alentours ; d'avoir distribué des munitions ; d'avoir dressé des listes de Tutsis à éliminer ; d'avoir dirigé des patrouilles de nuit ; et d'avoir donné des instructions pour des enlèvements. Ses avocats ont annoncé que Sosthène Munyemana ferait appel.
Eugène Rwamucyo, médecin et directeur du Centre de santé publique de l'université de Butare au moment du génocide, a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire en 2013. En avril 2020, l'accusation a demandé à ce qu'il soit jugé pour génocide et crimes contre l'humanité. En octobre 2020, l'affaire a été renvoyée devant la Cour d'assises de Paris. Eugène Rwamucyo a fait appel et, en septembre 2022, la Cour d'appel de Paris a confirmé le renvoi de son affaire devant la cour d'assises. En janvier 2023, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi et confirmé le renvoi de son affaire pour la dernière fois. Il est incarcéré dans l'attente de son procès.
Philippe Hategekimana, un ancien gendarme, a été reconnu coupable par un tribunal français et condamné à la réclusion à perpétuité en juin 2023 pour génocide et crimes contre l'humanité. Il a été reconnu coupable de tous les chefs d'accusation retenus contre lui pour son implication dans les atrocités de masse commises à Nyanza, ainsi que le meurtre d'une religieuse et d'un maire. Philippe Hategekimana a fui vers la France en 1999, où il a obtenu le statut de réfugié, puis est devenu citoyen français en 2005. Après l'ouverture d'une enquête en France, suite à une plainte déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Philippe Hategekimana a fui au Cameroun en 2017. En 2019, il a été extradé vers la France, mis en examen et son procès s'est ouvert le 10 mai 2023. Il a fait appel de la condamnation.
En février 2014, les autorités françaises ont rejeté une demande d'extradition des autorités rwandaises concernant Claude Muhayimana, qui a obtenu la nationalité française en 2010, mais l'ont arrêté deux mois plus tard à la suite d'une plainte déposée en 2013 par le CPCR. En novembre 2017, un juge a renvoyé son affaire devant la Cour d'assises de Paris pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité. Le procès s'est tenu entre novembre et décembre 2021. Claude Muhayimana a été reconnu coupable de complicité de génocide et de crimes contre l'humanité pour avoir transporté des miliciens sur des sites de meurtres pendant le génocide et a été condamné à 14 ans de prison. Le 21 décembre 2022, la cour d'appel a libéré Claude Muhayimana dans l'attente de son procès en appel.
D'autres affaires sont en cours. Marcel Hitayezu, ancien prêtre au sein de la paroisse de Mubuga, est sous contrôle judiciaire en France, suite à sa mise en examen pour génocide et complicité de crimes contre l'humanité en avril 2021. Isaac Kamali, ancien agent du ministère des Travaux publics et de l'Énergie, a été inculpé en septembre 2021 et placé sous contrôle judiciaire pour son implication présumée dans le génocide et des crimes contre l'humanité, selon TRIAL International. Il a été arrêté à Paris en juin 2007. Les autorités françaises ont rejeté une demande d'extradition émise par le Rwanda en 2008.
Laurent Serubuga était un officier haut gradé de l'armée rwandaise, chef d'état-major adjoint jusqu'en 1992, et aurait été associé à l'Akazu, une organisation informelle d'extrémistes hutus. Une note des services de renseignement français de septembre 1994, divulguée aux médias en 2019, le décrit comme l'un des principaux suspects de l'attaque du 6 avril 1994 contre l'avion de Juvénal Habyarimana. Plusieurs organisations non gouvernementales ont porté plainte contre lui devant les juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris et, en 2002, une enquête a été ouverte contre lui pour génocide et complicité de crimes contre l'humanité. Le Rwanda a émis un mandat d'arrêt et adressé une demande d'extradition à la France en 2013, et même si Laurent Serubuga a été arrêté la même année, la France a rejeté la demande d'extradition et il a été libéré. En 2017, l'enquête a été clôturée. Le bureau du procureur n'a pas encore publié ses conclusions finales indiquant sa position sur la suite de la procédure, selon TRIAL International.
Pierre Kayondo, un ancien préfet de Kibuye qui aurait été actionnaire de la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM), radio qui avait diffusé des incitations au génocide avant le 6 avril et communiqué les ordres d'exécution des massacres après cette date, a été arrêté en septembre 2023 et mis en examen pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité. La justice française avait ouvert une enquête en octobre 2021 contre Pierre Kayondo pour son implication dans des massacres, à la suite d'une plainte du CPCR.
Belgique
En Belgique, Pierre Basabose, retraité de l'armée rwandaise et actionnaire de la RTLM, ainsi que Séraphin Twahirwa, un membre de la famille de Juvénal Habyarimana accusé d'avoir dirigé les Interahamwe, ont été jugés pour génocide et crimes de guerre en octobre 2023. Tous deux ont été arrêtés pour la première fois en septembre 2020, puis libérés pendant l'enquête. En décembre 2023, Séraphin Twahirwa a été reconnu coupable d'avoir participé à des atrocités ou de les avoir supervisées, tandis que Pierre Basabose a été reconnu coupable d'avoir financé la milice, mais n'a pas été condamné à une peine de prison pour des raisons de santé. Le tribunal a également établi que Séraphin Twahirwa avait violé ou supervisé le viol de plusieurs femmes, et il a été condamné à la réclusion à perpétuité. Tous deux ont fait appel de leur condamnation, d'après TRIAL International.
Ernest Gakwaya et Emmanuel Nkunduwimye ont été arrêtés en mars 2011 à Bruxelles. Ernest Gakwaya est accusé d'avoir tué et violé des Tutsis et des Hutus modérés, et Emmanuel Nkunduwimye aurait commis des meurtres, des tentatives de meurtre et des viols. Tous deux auraient été membres des milices Interahamwe. En octobre 2019, la justice belge a séparé leurs affaires de celle concernant Fabien Neretsé. Les audiences prévues ont été reportées par la pandémie de Covid-19 et aucune date n'a encore été fixée pour l'ouverture de leur procès selon TRIAL International.
Après que les autorités belges et françaises ont émis des mandats d'arrêt à son encontre, en 2011, Fabien Neretsé a été arrêté en France et finalement remis à la Belgique, où son procès pour génocide et pour le crime de guerre de meurtre a eu lieu en 2019. La Cour d'assises de Bruxelles l'a reconnu coupable de génocide et de crimes de guerre et l'a condamné à 25 ans de prison. Le tribunal a fondé la condamnation de Fabien Neretsé sur son rôle en tant que fondateur d'une milice Interahamwe, à qui il fournissait des armes et de l'argent, et sur son rôle dans la planification des massacres. Fabien Neretsé a également été reconnu coupable de plusieurs meurtres, dont celui d'une ressortissante belge, Claire Beckers, de son mari rwandais tutsi, Isaïe Bucyana, et de leur fille.
Christophe Ndangali, chef de cabinet du ministère de l'Éducation au moment du génocide, été accusé de génocide et de crimes de guerre et arrêté en septembre 2020 en Belgique, car il aurait participé à l'exclusion des Tutsis du système scolaire et appelé à leur extermination. L'enquête est en cours.
Plusieurs autres affaires sont en cours en Belgique, même si les procès ont été lents à se concrétiser. Dans toute l'Europe, les enquêtes et les poursuites continuent avec un nouveau degré d'urgence.
Autres affaires en Europe
Pierre-Claver Karangwa, ancien officier militaire rwandais soupçonné d'avoir joué un rôle clé dans le génocide, a été arrêté aux Pays-Bas en octobre 2023. Son arrestation est intervenue après que la Cour suprême néerlandaise a statué, en juin 2023, qu'il ne pourrait pas être extradé vers le Rwanda en raison du risque qu'il soit jugé lors d'un procès inéquitable. Les Pays-Bas ont extradé plusieurs autres génocidaires présumés dans le passé.
En décembre 2015, après avoir étudié les procès de suspects précédemment extradés et le cadre juridique actualisé au Rwanda, un juge de district au Royaume-Uni a finalement rejeté une demande d'extradition concernant cinq Rwandais suspectés de génocide en raison du risque qu'ils soient soumis à des procès inéquitables au Rwanda. Vincent Brown, aussi connu sous le nom de Vincent Bajinya, Charles Munyaneza, Emmanuel Nteziryayo, Célestin Ugirashebuja et Célestin Mutabaruka ont été détenus au Royaume-Uni en 2013 après une demande d'extradition de la part du gouvernement rwandais. L'enquête a été rouverte en 2018 à la demande de procureurs rwandais et la police britannique a confirmé que des enquêtes étaient en cours en avril 2019.
En janvier 2024, un homme rwandais de 69 ans a été arrêté à Gateshead, dans le nord de l'Angleterre, par la police menant une enquête pour génocide et crimes contre l'humanité. Il a été libéré sous caution.
En 2017, en Suède, Theodore Tabaro a été inculpé de meurtre, tentative de meurtre, viol, enlèvement, ainsi que pour avoir recruté des hommes et organisé, encouragé et exécuté des massacres contre les Tutsis. En 2018, il a été condamné à la réclusion à perpétuité pour génocide par meurtre, tentative de meurtre et enlèvement, mais il a été acquitté des chefs d'accusation de viol. La chambre d'appel a confirmé le verdict et la condamnation en avril 2019.
En Norvège, Jean Chrysostome Budengeri a été arrêté par le Service national d'enquête criminelle (connu sous le nom de « Kripos ») en juin 2018, du fait de soupçons selon lesquels il aurait participé à des massacres pendant le génocide. L'avocat chargé de sa défense a demandé un examen indépendant de l'enquête du Kripos par le procureur général en mai 2019, invoquant des incohérences dans les entretiens avec les témoins et leurs traductions. Le procureur général a rejeté cette demande. Jean Chrysostome Budengeri a été libéré de la détention provisoire en septembre 2019, mais a reçu l'ordre de se présenter à la police deux fois par semaine.
Procès au Rwanda
Au Rwanda, le travail de justice pour le génocide a été rendu encore plus difficile par le fait qu'un grand nombre de juges, d'avocats et d'autres membres du personnel judiciaire ont été tués pendant le génocide et qu'une grande partie de l'infrastructure du pays a été détruite. Malgré ces obstacles, le gouvernement rwandais a entrepris une démarche ambitieuse et sans précédent pour rendre la justice, en utilisant à la fois les juridictions nationales classiques et les tribunaux communautaires gacaca.
Les tribunaux gacaca laissent derrière eux un héritage mitigé. Parmi leurs réalisations positives, il convient de citer la rapidité avec laquelle ils ont traité un grand nombre de cas, la participation des communautés locales et la possibilité pour certains rescapés du génocide d'apprendre ce qui est arrivé à leurs proches. Les tribunaux gacaca ont également peut-être aidé certains rescapés à trouver comment vivre pacifiquement aux côtés des auteurs du génocide. Cependant, de nombreuses audiences gacaca ont donné lieu à des procès inéquitables. La capacité des accusés à se défendre efficacement a été limitée ; il y a eu de nombreux cas d'intimidation et de corruption des témoins de la défense, des juges et d'autres parties ; et la prise de décision a été entachée d'irrégularités en raison de la formation inadéquate des juges non professionnels qui étaient censés traiter des affaires complexes.
En mars 2024, le défenseur des droits humains François-Xavier Byuma a été libéré de prison après avoir purgé une peine de 17 ans à l'issue d'un procès gacaca entaché de graves erreurs de procédure. Le juge de première instance était connu pour avoir un conflit antérieur avec François-Xavier Byuma mais avait refusé de se récuser, comme la loi l'exigeait et comme François-Xavier Byuma l'avait demandé. Ce dernier, qui dirigeait une association de défense des droits de l'enfant, avait précédemment enquêté sur des allégations selon lesquelles le juge avait violé une mineure. Le juge n'a pas non plus accordé à François-Xavier Byuma le droit de se défendre pleinement.
Comparé à la plupart des autres pays sortant de crises marquées par des violences de masse, la détermination du Rwanda à faire en sorte que justice soit rendue et les progrès réalisés dans le jugement d'un si grand nombre d'auteurs présumés ont été impressionnants. Cependant, l'absence de garanties contre les poursuites abusives dans un système judiciaire défaillant a accru le risque de procès inéquitables.
Extraditions vers le Rwanda
Jusqu'à la première décision de transfert du TPIR, la plupart des pays ont rejeté les demandes d'extradition du Rwanda. En vertu du droit international relatif aux droits humains, le pays qui extrade pourrait être tenu pour responsable de violations prévisibles des droits humains du suspect au Rwanda.
En octobre 2011, une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a conclu que l'extradition de Sylvère Ahorugeze, un Rwandais suspecté de génocide arrêté en Suède, n'enfreindrait pas les obligations de la Suède en matière de protection contre la torture ou les traitements inhumains ou de garantie du droit à un procès équitable. Cette décision a conforté les gouvernements cherchant à extrader des suspects pour qu'ils soient jugés au Rwanda. Les procureurs et les juges dans les affaires d'extradition dans divers pays ont cité les décisions du TPIR et de la CEDH comme précédents pour plaider en faveur des extraditions. Même si de nombreux pays extradent ou ont extradé des personnes suspectées de génocide pour qu'elles soient jugées au Rwanda, certains refusent toujours de le faire.
Les autorités rwandaises ont amélioré plusieurs aspects de l'administration de la justice au cours des trente dernières années, une avancée notable étant donné les défis rencontrés après le génocide. D'importants progrès ont également été réalisés au regard du fonctionnement du système judiciaire et des conditions carcérales. Mais alors que les lois ont considérablement changé, la politisation sous-jacente du système judiciaire subsiste, entravant la pleine mise en oeuvre des réformes et il n'y a toujours pas de garantie pour que les procès soient équitables dans les tribunaux rwandais, en particulier dans les affaires sensibles du point de vue politique.
Le Rwanda a adopté plusieurs lois qui ont certainement été destinées à prévenir et punir les discours de haine similaires à ceux qui ont conduit au génocide de 1994, mais ces lois ont conduit à de graves violations du droit à la liberté d'expression en imposant de strictes limites à la façon dont il est possible de parler du génocide et d'autres événements advenus en 1994 et après. Les accusations et les chefs d'inculpation d'idéologie du génocide ont été utilisés pour faire taire des détracteurs de premier plan du gouvernement. Le gouvernement a également manipulé les accusations de génocide pour discréditer et cibler les détracteurs et les dissidents.
Certains pays ont extradé des suspects vers le Rwanda malgré ces préoccupations. Depuis que le TPIR a transféré une première affaire au Rwanda en 2011, l'Allemagne, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Norvège et les Pays-Bas, ont extradé des suspects.
Leopold Munyakazi a été expulsé des États-Unis vers le Rwanda en 2016 sur la base d'un mandat d'arrêt international l'accusant de génocide, de conspiration pour commettre un génocide et de négation du génocide. Un rapport du Bureau fédéral d'investigation des États-Unis (Federal Bureau of Investigation, FBI) de 2015 qui a fuité indiquait que l'enquête était « presque certainement » compromise par un agent du renseignement rwandais et jetait le doute sur les allégations contre Leopold Munyakazi. Un tribunal de première instance au Rwanda l'a reconnu coupable d'implication directe dans le génocide et l'a condamné à la réclusion à perpétuité en 2017.
La Chambre pour les crimes internationaux du Rwanda a annulé la condamnation à perpétuité de Leopold Munyakazi en juillet 2018, mais a confirmé une peine de neuf ans pour négation du génocide. Le 18 février 2021, la Chambre de la Haute Cour de Nyanza pour les crimes internationaux et transnationaux a reconnu Leopold Munyakazi coupable de nouveaux chefs d'inculpation de négation du génocide et a ajouté cinq ans à sa peine. La condamnation s'appuie sur les déclarations qu'il a faites avant les commémorations du génocide en avril 2017, à la prison de Muhanga. D'après le verdict, Leopold Munyakazi a déclaré que le génocide était une conséquence de la tentative d'invasion du Rwanda par le FPR en octobre 1990 et que si l'avion du président Juvénal Habyarimana ne s'était pas écrasé, il n'y aurait pas eu de génocide.
En janvier 2024, Wenceslas Twagirayezu, un Rwandais de nationalité danoise qui a été extradé vers le Rwanda en décembre 2018, a été acquitté de génocide et de crimes contre l'humanité pendant le génocide de 1994. Les chefs d'accusation étaient liées à son rôle présumé dans des attaques contre les Tutsis dans l'ancienne préfecture de Gisenyi dans le nord. L'acquittement de Wenceslas Twagirayezu a fait suite à des déclarations de témoins et des preuves contradictoires démontrant qu'il n'était pas au Rwanda au moment des événements dans lesquels il aurait été impliqué. Le ministère public a fait appel de l'acquittement.
En avril 2021, Beatrice Munyenyezi a été expulsée par les États-Unis vers le Rwanda après avoir purgé une peine de prison pour avoir menti lors de sa demande de naturalisation, et a été arrêtée à son arrivée au Rwanda. Elle fait face à sept chefs d'accusation liés au génocide de 1994, y compris le viol. Son procès est en cours.