Le 6 avril 2024 marque le 30e anniversaire du génocide le plus rapide de l'histoire, perpétré au Rwanda d'avril à juillet 1994, et ayant fait le plus grand nombre de victimes par jour, selon les chiffres de la comptabilité macabre sortis après la commission de ces crimes de masse.
La phase des tueries à grande échelle dans ce petit pays des Grands Lacs a débuté donc au petit matin du 7 avril 1994, quelques heures seulement après l'attentat qui a pulvérisé au missile sol-air, le Falcon 50 du président rwandais d'alors, Juvénal Habyarimana, qui revenait d'Arusha avec son homologue burundais Cyprien Ntaryamira.
Aucun survivant dans cette attaque qui a touché de plein fouet l'appareil transportant les deux chefs d'Etat, dont les débris et les corps des passagers se sont, extraordinaire ironie du destin, éparpillés dans le jardin de la résidence présidentielle qui était contigu à l'aéroport international de Kigali au moment des faits.
Dès cet instant et ce, jusqu'au 4 juillet 1994, environ un million de personnes, principalement de la tribu Tutsi ont été méthodiquement massacrées par des Hutus extrémistes de la même ethnie que le président assassiné, toutes accusées, à tort bien sûr, d'être directement ou indirectement derrière l'attaque. Dès le 7 avril 1994, Kigali est quadrillée par les forces armées rwandaises et les milices créées par le régime d'Habyarimana, et le pays devient rapidement un gigantesque abattoir d'êtres humains à ciel ouvert.
La France a flirté pendant longtemps avec les génocidaires
Maisons après maisons, les quartiers sont passés au peigne fin, les rues sont hérissées de barrières dans le but de massacrer à l'aveuglette les Tutsis et Hutus modérés. Même ceux qui, parmi eux et par instinct de survie, se sont tapis dans les plafonds des maisons, sous les corps déjà abimés par les armes blanches ou létales, sous les grottes ou dans les abris de fortune, n'ont pas échappé à la fureur des tueurs déchainés.
Ces assassins, rassurés et encouragés par la surdité du monde, ont poursuivi leur oeuvre démoniaque jusqu'au 4 juillet 1994 et l'entrée des troupes de Paul Kagame à Kigali. Ils pensaient même avoir reçu le quitus de la communauté internationale qui, le 21 avril 1994, a commis l'infamie de retirer du pays la quasi-totalité de son contingent suite à une résolution du Conseil de sécurité votée à l'unanimité.
Les Etats-unis sont restés, pour ainsi dire, indifférents à ces massacres pourtant considérés comme les plus horribles du 20e siècle, probablement parce qu'ils venaient juste de subir une véritable déculottée militaire en Somalie, dans la corne de l'Afrique. Quant à la France amie du président assassiné, et à la Belgique puissance colonisatrice du Rwanda, elles sont aujourd'hui taraudées par le remords d'avoir, dès le 9 avril, évacué en catastrophe leurs ressortissants alors que des milliers de Rwandais étaient sous la menace des « tueurs en série » qui fuyaient éperdument comme du bétail en débandade, vers le Zaïre voisin.
Pour se donner bonne conscience, la communauté internationale a, pendant des années, davantage parlé de génocide improvisé que de génocide prémédité, comme pour justifier le fait qu'elle ait été incapable de prévenir la tragédie, alors que tout le monde savait qu'avec les peurs et les haines des uns vis-à-vis des autres transmises de génération en génération au Rwanda, les « portes de l'enfer » allaient s'ouvrir sur ce pays un jour ou l'autre.
Ce 30e anniversaire sera peut-être l'occasion de tourner la page de l'acrimonie entre le Rwanda et la France
Le rôle le plus controversé dans ces tueries de masse, est celui de la France, qui a flirté pendant longtemps avec les génocidaires, et qui a organisé une opération militaire en juin 1994 censée mettre fin aux massacres, mais qui s'est révélée finalement être une opération de sauvetage des extrémistes Hutus qui en ont profité pour prendre la poudre d'escampette au moment où il était clair aux yeux de tous que les troupes de Paul Kagamé allaient prendre le contrôle total du pays. C'est justement cette ambiguïté de la politique africaine de la France que le président Emmanuel Macron, a remise en lumière.
D'abord en 2021 à l'occasion de son voyage à Kigali quand il a pointé la « responsabilité accablante » de Paris dans « l'engrenage qui a abouti au pire », puis le 4 avril dernier quand il a estimé que la France « aurait pu arrêter le génocide », mais n'en a « pas eu la volonté ». Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, on peut dire que les lignes diplomatiques entre Paris et Kigali ont bougé, et le Rwanda n'en attendait pas plus pour renouer avec son ancien partenaire. C'est vrai qu'il y a eu des manquements de la part des autorités françaises dans la gestion de cette crise d'une extrême gravité, mais le mea culpa du président français, même s'il ne répare pas tous les torts dont ont été victimes des milliers de Rwandais pendant le deuxième trimestre de l'année 1994, pourrait servir de catharsis à ce passé douloureux.
On imagine le soupir de soulagement qu'a poussé l'homme fort de Kigali quand il a entendu les dernières sorties d'Emmanuel Macron sur ce sujet ultra-sensible, et la satisfaction des autorités rwandaises qui sont restées dans leurs bottes et vent debout contre les présumés complices occidentaux des génocidaires, trente ans durant. Ce trentième anniversaire sera peut-être l'occasion de tourner la page de l'acrimonie entre le Rwanda et la France notamment, et pour toutes les victimes de faire le deuil trois décennies après le génocide.