Il y a un an, le 15 avril 2023, la guerre éclatait au Soudan avec des combats entre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhan et les forces paramilitaires du général Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemedti. Dans ce contexte difficile, les Soudanais se sont organisés et ont mis en place un système d'entraide communautaire. On les appelle les « Salles d'Intervention d'Urgence », des petits groupes de jeunes volontaires organisés par quartier. Ils ont notamment mis en place des cuisines communautaires pour nourrir la population de Khartoum coincée par les combats. Adam Alsanosi est l'un des porte-paroles de ce réseau d'entraide.
Les différentes organisations internationales parlent de crise alimentaire aiguë au Soudan. Quelle est la situation alimentaire à Khartoum ?
La situation dans le grand Khartoum - Khartoum Centre, Omdourman, Bahri - empire de jour en jour. L'accès à la nourriture devient très difficile, ainsi que l'accès aux soins. Les gens ont perdu leur travail, leur source de revenus, et souffrent terriblement.
Dans les zones contrôlées par les Forces de Soutien Rapide [FSR, les groupes paramilitaires du général Hemedti, NDLR], la situation est pire. Les habitants sont coincés et dépendent entièrement de nos cuisines communautaires. Quand celles-ci ne peuvent plus fonctionner - par exemple si elles n'ont plus d'argent -, une grande partie de la population n'a plus rien à manger, y compris des enfants.
Pourquoi la situation est-elle si difficile à Khartoum ?
La capitale est complètement encerclée et coupée de toute source d'approvisionnement. À l'est, Khartoum est coupée de villes comme Al Qadarif et Madani par les paramilitaires. Et Omdourman est coupée de Port-Soudan par l'armée régulière. Les militaires ne laissent pas les denrées alimentaires entrer dans les zones contrôlées par les paramilitaires et vice-versa. La ville est en état de siège, et donc les produits deviennent de plus en plus rares et chers.
Aujourd'hui, combien y a-t-il de cuisines communautaires dans la capitale ?
Nous avons 290 cuisines communautaires dans Khartoum, Bahri et Omdourman réparties dans des quartiers qui sont toujours habités. Le nombre de personnes qui viennent manger dans ces cuisines ne cesse d'augmenter, surtout depuis que ceux qui avaient fui Khartoum au début de la guerre pour se réfugier à Wad Madani ont commencé à revenir.
Quand ces cuisines ont commencé, il s'agissait simplement d'une aide mutuelle. Ceux qui avaient un peu d'argent se rassemblaient par quartier pour acheter à manger, cuisiner et proposer la nourriture aux gens autour d'eux qui n'avaient rien. Comme il y a eu de plus en plus de monde qui venait dans ces cuisines et qu'il n'y avait plus d'argent, nous avons commencé à faire appel à l'étranger, à la diaspora, à des organisations internationales.
Nous avons commencé à Khartoum et, petit à petit, nous avons élargi nos activités aux États voisins. Aujourd'hui, nous sommes présents dans les États d'Al-Jazirah, de Sannar, du Kordofan. Nous commençons dans le Nil Blanc et les cinq États du Darfour.
Quand la guerre a éclaté, toutes les organisations internationales sont parties, laissant les habitants de Khartoum sans aucune aide. C'est comme ça que cela a commencé. Et maintenant, nous travaillons dans ces zones que personnes ne peut atteindre.
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Comment fonctionnent ces cuisines communautaires ?
La plupart des cuisines communautaires proposent un à deux repas par jour. Elles sont toutes différentes. Dans certaines, par exemple, vous mangez sur place. Ce sont des endroits où les gens se réunissent et peuvent parler. Quand la sécurité ne le permet pas, un membre de la famille vient chercher à manger pour les autres.
Selon les quartiers, ces cuisines sont installées dans des écoles, des maisons ou des bâtiments publics abandonnés ; elles sont devenues des lieux d'échange. Pendant le ramadan, les gens venaient et rompaient le jeune tous ensemble. Les repas que nous offrons permettent juste aux gens d'avoir de quoi survivre : du riz, des lentilles... C'est très basique. Vous venez chercher ce dont vous avez besoin et vous mangez.
Mais comment faites-vous pour trouver de quoi nourrir tous ces gens ?
Les volontaires sur le terrain sont très débrouillards. Nous avons des accords avec des commerçants, avec des marchands. Le problème n'a jamais été de trouver des produits, mais plutôt d'avoir assez d'argent pour les acheter. Parfois, nous avons eu des promesses d'aides financières, alors certains marchands nous ont fait crédit et nous avons pu les rembourser.
Au départ, il s'agissait de petites structures, et peu à peu, elles ont pris de l'ampleur. Maintenant, nous sommes partout. Les gens nous font confiance et comptent sur nous pour les aider.
Savez-vous combien de gens vous nourrissez ?
Non, nous ne savons pas, mais par exemple, dans le quartier de Jurayf chaque cuisine sert des centaines de familles. On fait ce qu'un gouvernement normal devrait faire, et surtout, ces initiatives viennent des gens eux-mêmes. On fait appel à des organisations internationales, on récolte de l'argent et on l'envoie aux comités de quartiers qui eux s'occupent de tout.
Et vous n'avez jamais eu de problème avec les belligérants ?
Désormais ça va, mais au début, on a eu beaucoup de problèmes. Des gens se faisaient arrêter, on était obligés de fermer les cuisines, car elles avaient été pillées. Au début, les paramilitaires nous accusaient d'être des espions pour les militaires et vice versa. Nos volontaires étaient constamment arrêtés et interrogés. Mais maintenant, ça va.
Pour l'instant, ça marche bien, on arrive à apporter de l'aide dans les zones contrôlées par les paramilitaires ainsi que celles contrôlées par l'armée. Ça n'est pas sans risque, mais si on ne le fait pas, personne ne le fera.
À Omdurman, comment la cuisine solidaire de Yassim et Mohanad vient en aide à des dizaines de Soudanais Face à la situation alimentaire catastrophique que traverse le pays, les Soudanais se mobilisent donc et ont lancé des « cuisines solidaires », dans certains quartiers de Khartoum, où il n'y a aucune aide humanitaire.
Yassim, lui, habite un quartier au nord d'Omdurman, ville-jumelle de la capitale. Il y a un mois, il a décidé, avec son cousin Mohanad, d'ouvrir une cuisine solidaire. Tous les matins, à bord de son tuk-tuk (une petite camionnette), il fait la tournée des marchés et négocie les prix des aliments.
« La guerre a complètement chamboulé notre vie, tout le monde essaye de survivre, déplore cet ancien gérant de magasin devenu conducteur de taxi, au micro d'Alexandra Brangeon. La situation est vraiment difficile. Autour de moi, je voyais des familles entières qui avaient faim, et qui passaient la journée à chercher de quoi manger. Les gens sont fatigués, affaiblis. Je trouve ça vraiment douloureux de voir cela dans mon quartier. C'est pour cela que j'ai décidé de faire quelque chose. Car l'aide humanitaire - s'il y en a une - n'arrive pas jusqu'ici. »
Avec l'aide d'une dizaine de volontaires, il fait mijoter 20 kilos de lentilles chaque jour dans deux grosses marmites installées dans la cour d'un local prêté par un voisin. Chaque famille reçoit environ un litre de soupe par jour et cinq morceaux de pains. C'est leur seul repas de la journée, explique le cousin de Yassim, Mohanad Elbalal.
« Ils commencent à servir à 15 heures, mais les gens arrivent bien avant pour réserver leur place, détaille-t-il. Ils posent leur gamelle devant la porte, alignée l'une dernière l'autre. Les lentilles font partie du repas traditionnel au Soudan. Mais elles n'apportent pas beaucoup d'énergie. Or, les gens ont besoin de calories. Alors, avec mon cousin, on a décidé de rajouter du beurre de cacahuète dans la soupe. Au départ, les gens étaient un peu surpris. Mais ils se sont habitués au goût. »
Mohanad habite en Grande-Bretagne. Il s'occupe de lever des fonds auprès de la diaspora soudanaise, notamment à travers une cagnotte en ligne, et d'envoyer l'argent à Yassim. Ce qui au départ était un projet pour le ramadan a rapidement pris de l'ampleur. Aujourd'hui, ils nourrissent plus de 150 familles dans ce quartier.