Soudan: «Les gens choisissent Port-Soudan pour éviter la guerre»

Une mère soudanaise et ses enfants se réfugient dans une ville du Tchad, de l'autre côté de la frontière avec le Darfour, au Soudan.
interview

Ce lundi 15 avril, cela fait un an que la guerre civile a commencé au Soudan. Alors qu'après quelques mois, les paramilitaires FSR du général Hemetti ont conquis la capitale Khartoum, le gouvernement et l'administration centrale ont fui la ville. Ils se sont installés à 800 km au Nord-Est, à Port-Soudan, grand carrefour commercial donnant sur la mer Rouge. Des milliers de déplacés sont également venus y trouver refuge. Certains utilisent Port-Soudan comme point de départ pour fuir le pays.

RFI a pu joindre un habitant. Il raconte la situation sur place.

On parle d'un afflux constant à Port-Soudan de Soudanais déplacés par la guerre, quelle est la situation ?

Il y a beaucoup de gens qui sont déplacés vers la région de la mer Rouge en général, précisément à Port-Soudan. Ils viennent de Khartoum ou Wad Madani. Les gens qui ont beaucoup d'argent, ils louent des maisons ou bien des appartements, malheureusement, il y a une augmentation extraordinaire des loyers : pour un mois, c'est environ 1 300 dollars, c'est très très très cher. Les salaires, c'est 300 dollars. Les gens qui sont pauvres, ils vivent dans des écoles, dans des résidences universitaires et leur situation est très très difficile. Il y a quatre ou cinq familles dans une classe. Il y a de l'aide, mais elle est faible, très faible, et les organisations ne travaillent pas bien ici. Il n'y a presque rien. Les gens ne sont pas bien nourris, il y a des problèmes sanitaires. La situation sanitaire est très difficile, les hôpitaux gouvernementaux n'acceptent pas tout le monde, parce qu'il n'y a pas beaucoup de médecins, il n'y a pas beaucoup d'infirmiers et tout ça, et les hôpitaux privés, c'est très très très cher.

Pourquoi les gens choisissent Port-Soudan ?

Pour éviter la guerre. Il y a des gens qui viennent à Port-Soudan pour voyager à l'extérieur, parce que les procédures administratives sont ici, à Port-Soudan : le service de passeport, de visa, de numéro national... Ils peuvent les faire ici. Et aussi, pour faire les procédures pour voyager à l'extérieur, par exemple.

Et donc ils fuient en bateau, c'est ça ?

Le bateau, c'est pour aller en Arabie saoudite, mais la plupart des gens voyagent en Égypte, en Ouganda, en Libye, parce qu'ils pensent que l'Ouganda, c'est bien. Et il y a des gens qui vont en Égypte. Il y a des gens qui prennent l'avion, il y a des gens qui prennent le bus, qui passent en utilisant des manières irrégulières.

Donc Port-Soudan, aujourd'hui, est surpeuplé ?

Il y a beaucoup, beaucoup [de personnes]. La population de Port-Soudan a été multipliée par trois.

Est-ce que ça crée des tensions entre les habitants et les déplacés qui arrivent de l'extérieur ?

Non, ils sont bien acceptés, ils sont bien accueillis, les Soudanais sont hospitaliers. Il y a des gens qui prennent leurs proches pour habiter chez eux. Moi, j'habite à Port-Soudan, il y a trois familles qui habitent chez moi, ce sont des proches. Presque tout le monde a des proches qui habitent chez eux.

Est-ce que les habitants vivent en sécurité à Port-Soudan aujourd'hui ?

Ils sont rassurés ici. La ville de Port-Soudan est entourée par des montagnes et il y a beaucoup de militaires. Mais les gens pensent toujours à ceux qui sont restés au Darfour, au Kordofan, parce qu'ils y ont des proches. C'est pour ça que la plupart des Soudanais ne sont pas bien avec la guerre. Ils réclament que la guerre s'arrête.

Il n'y a pas de violence à Port-Soudan ?

Port-Soudan, c'est calme. Ces jours-là, il y a un grave problème avec l'eau, il n'y a pas d'eau et on pense à l'été, ce problème-là va s'aggraver à cause des gens qui viennent de Khartoum et de Wad Madani. Il y a beaucoup de gens. Port-Soudan dépend de l'eau d'une rivière qui est surtout alimentée par la saison des pluies et cette eau-là se termine avant l'été. Par exemple, aujourd'hui, j'ai cherché de l'eau depuis ce matin jusqu'à maintenant. Ça fait huit heures que je cherche de l'eau pour boire.

On dit que le gouvernement opère désormais depuis Port-Soudan, est-ce que c'est vrai ?

Tout le gouvernement est ici parce que c'est la capitale du Soudan maintenant. Il y a des militaires qui entourent toute la ville, il y a beaucoup d'hommes qui ont des voitures qui ont des fusées, des bombes et tout ça, et qui entourent tout Port-Soudan.

Mais les services fonctionnent ?

Oui, ça fonctionne, ils font toutes les procédures, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Haute Éducation, et tout ça, ils sont ici. Si vous voulez faire une procédure, vous pouvez aller à n'importe quelle organisation. Il y a beaucoup de monde, c'est très fatigant. Moi, je suis allé au ministère des Affaires étrangères pour faire un timbre de ce ministère, ça prend deux ou trois jours. De 6h du matin jusqu'à la fermeture, à 15h30, je n'ai eu aucune information, je [suis revenu] le lendemain, et le lendemain... Trois jours pour faire un seul papier.

Mais est-ce que les services arrivent à répondre aux demandes ?

Il y a trop de monde, mais je pense qu'ils ne sont pas bien organisés. Il faut avoir beaucoup de fonctionnaires pour faire les procédures pour les citoyens. Voilà, il manque des fonctionnaires.

Et les gens qui arrivent cherchent du travail ?

Oui, ils cherchent du travail, mais il n'y a pas beaucoup d'opportunités pour travailler. Il y a beaucoup de gens qui [travaillent dans] des restaurants, des cafés ou bien, ils travaillent au marché, ils [vendent] des marchandises dans la rue et tout ça.

Et les salaires sont suffisants ?

Non, on ne fait rien avec l'augmentation [des prix], on a besoin d'avoir deux ou trois emplois. Par exemple, moi, ici, je suis employé, je suis professeur, mais quand je termine mon travail, je dois travailler dans un café ou bien dans un restaurant, pour acheter de la nourriture, pour acheter de l'eau, pour faire tout ça. Il n'y a pas de vacances, il n'y a pas de week-end, il n'y a pas tout ça... Travail, travail, travail, travail.

Le conflit ne baisse pas en intensité, comment vous imaginez l'avenir ?

C'est catastrophique. Toutes les choses sont difficiles et si [la guerre] ne s'est pas arrêtée pour le mois prochain, je n'imagine pas comment on va vivre.

Les gens se réfugient donc à Port-Soudan, mais ils rêvent de partir, en fait, c'est ça ?

La plupart des gens cherchent une solution pour quitter le Soudan ou bien pour trouver une solution, parce que la vie, ici, c'est mortel. Il y a de la sécurité et tout ça, mais avec l'augmentation des prix, on ne peut pas vivre comme ça. J'ai pensé à partir pour chercher une ville un peu calme, parce que c'est le stress ici, ça fait un an ou bien deux ans, sans vacances, sans week-end, sans... C'est travail, travail, travail.

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