L'immense potentiel économique de l'Afrique est mis à mal par des prêts opaques adossés à des ressources naturelles, qui compliquent la résolution de la dette et compromettent la croissance future des pays du continent, a alerté, jeudi, le président de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina.
« Je pense qu'il est temps pour nous de rendre des comptes en matière de transparence de la dette et de veiller à ce que toute cette histoire de prêts opaques adossés à des ressources naturelles prenne fin, car elle complique la question de la dette et de sa résolution », a déclaré M. Adesina au journaliste Yinka Adegoke lors du Sommet Semafor Africa, qui se tient en marge des réunions de printemps 2024 du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
M. Adesina a pointé les défis posés par l'explosion de la dette extérieure de l'Afrique, qui a atteint 824 milliards de dollars en 2021, le poids de la dette publique des pays africains représentant 65 % de leur PIB. Il a indiqué que le continent paierait 74 milliards de dollars au titre du service de la dette rien que pour cette année, ce qui constitue une forte augmentation par rapport aux 17 milliards de dollars de 2010.
Tout en reconnaissant les pressions budgétaires auxquelles sont confrontés les pays africains en raison de la pandémie de Covid-19, des besoins en infrastructures et de la hausse de l'inflation, M. Adesina a insisté sur la nécessité de s'attaquer aux problèmes structurels de la dette africaine. Il a souligné le passage d'un financement concessionnel à une dette commerciale plus coûteuse et à court terme, la dette en euro-obligations représentant aujourd'hui 44 % de la dette totale de l'Afrique, contre 14 à 17 % auparavant.
Le président de la Banque africaine de développement a également critiqué la « prime à l'Afrique » que les pays du continent doivent payer lorsqu'ils accèdent aux marchés des capitaux, malgré des données montrant que les taux de défaut en l'Afrique sont inférieurs à ceux d'autres régions. Il a appelé à mettre fin à cette perception du risque qui, selon lui, entraîne une hausse des coûts d'emprunt pour les pays africains.
M. Adesina a souligné l'importance de mettre en place une méthode ordonnée et prévisible pour le traitement de la dette de l'Afrique, appelant à une mise en oeuvre plus rapide du cadre commun du G20.
Il a également souligné la nécessité d'accroître les financements concessionnels, en particulier pour les pays à faible revenu. « Ce qui est particulièrement frappant en Afrique, c'est que le niveau des financements concessionnels proprement dits a en fait baissé, s'est réduit de manière significative », a-t-il déclaré, ajoutant que le Fonds africain de développement -- le guichet de prêts à taux concessionnels du Groupe de la Banque africaine de développement -- fournit des financements à long terme à des taux d'intérêt peu élevés aux 37 pays les plus vulnérables.
M. Adesina a évoqué divers instruments et initiatives employés par la Banque pour dérisquer les projets et attirer les investisseurs institutionnels, tels que les garanties partielles de crédit, le capital hybride et la titrisation synthétique.
Pour l'avenir, Akinwumi Adesina s'est montré optimiste quant aux opportunités offertes à l'Afrique, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables, compte tenu du vaste potentiel solaire du continent. Il a également mis en avant l'Africa Investment Forum, une plateforme créée par la Banque et ses partenaires, qui réunit des investisseurs du monde entier dans le but de faciliter les investissements à grande échelle dans des secteurs clés tels que les infrastructures, le numérique et les énergies renouvelables.
« L'Afrique est la meilleure destination d'investissement au monde », a conclu M. Adesina, soulignant l'engagement de la Banque africaine de développement à créer un environnement propice à la prospérité des investissements.
Le sommet Semafor, intitulé « Rising Global Middle Class : Is Rising Developing Nation Debt a Blessing or a Curse? » (Essor mondial des classes moyennes : l'accroissement de la dette des pays en développement est-il une bénédiction ou une malédiction ?) a réuni un large éventail de participants pour discuter du fardeau croissant de la dette auquel sont confrontés les pays en développement en raison de l'augmentation des coûts d'emprunt.
Parmi les autres participants notables figuraient Xavier Becerra, secrétaire américain à la Santé et aux Services sociaux, Raj Shah, président de la Fondation Rockefeller, Andrew Steer, président-directeur général du Bezos Earth Fund, et Brent Neiman, secrétaire adjoint aux Finances internationales du Trésor américain.
M. Shah a souligné l'importance de trouver un équilibre entre les besoins économiques des pays en développement et la nécessité d'agir pour le climat. Il a expliqué que pour soutenir le gouvernement sud-africain dans ses efforts de démantèlement de la centrale électrique au charbon de Komati, la Fondation Rockefeller, par l'intermédiaire de l'Alliance mondiale pour l'énergie au service des populations et de la planète, avait élaboré un plan qui permettrait de recycler les travailleurs de la centrale, tout en créant de nouveaux emplois et en modernisant l'infrastructure de transport de manière à ce que les énergies renouvelables puissent renforcer les entreprises locales. « Il est irréaliste de simplement demander aux gens de fermer leur seule véritable source de prospérité et de provoquer des pertes d'emplois », a-t-il affirmé.
M. Neiman a évoqué, pour sa part, les efforts déployés par le gouvernement américain afin d'aider les pays africains à réduire leur endettement. Il a indiqué que la Côte d'Ivoire, le Bénin et le Kenya avaient émis près de cinq milliards de dollars d'obligations depuis le début de l'année 2024, à des taux d'intérêt compris entre 8 et 10 %. Selon lui, c'est la preuve que les économies émergentes restent en mesure d'exploiter les marchés de capitaux. Il a également cité la table ronde mondiale sur la dette souveraine comme étant déterminante pour réunir les créanciers et les débiteurs afin de s'attaquer au fardeau de la dette croissante dans les pays en développement.
M. Adesina est à Washington pour assister aux réunions de printemps 2024 du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.