Assemblées annuelles 2024 / La résolution de la dette, antienne des pays africains, pierre angulaire de la réforme de l'architecture financière mondiale

Le président de la Banque mondiale, Ajay Banga (à gauche) souhaite développer un partenariat solide avec le Groupe de la Banque africaine de développement dirigé par Akinwumi Adesina afin d’obtenir des résultats transformateurs.
15 Mai 2024
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African Development Bank (Abidjan)
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Alors que les pays membres du Groupe de la Banque africaine de développement se retrouveront du 27 au 31 mai prochains à Nairobi, au Kenya, pour ses Assemblées annuelles 2024, la question de la dette africaine figurera parmi les points clés des discussions qui se tiendront sur le thème : « La transformation de l'Afrique, le Groupe de la Banque africaine de développement et la réforme de l'architecture financière mondiale ».

La Banque africaine de développement estime que la dette extérieure totale de l'Afrique, qui s'établissait à 1 120 milliards de dollars américains en 2022, a atteint 1 152 milliards de dollars à la fin 2023. Avec des taux d'intérêt mondiaux à leur plus haut niveau depuis 40 ans et l'arrivée à maturité, cette année, de nombreux titres de dette obligataire émis par les pays africains, les défis ne manquent pas en 2024. L'Afrique paiera 163 milliards de dollars au titre du service de la dette rien que pour cette année 2024, ce qui constitue une forte augmentation par rapport aux 61 milliards de dollars de 2010.

Le poids grandissant du service de la dette pourrait obérer les objectifs de développement durable sur le continent, notamment dans la santé, l'éducation et les infrastructures.

Une base créancière qui complique tout

Bien que la dette publique médiane ait été ramenée à 65 % du PIB par rapport à 68 % en 2021 - en raison des effets positifs des mesures d'allègement de la dette, notamment l'Initiative de suspension du service de la dette -, le niveau d'endettement des pays africains est toujours plus élevé qu'avant la pandémie de Covid-19, qui s'élevait alors à 61 %. Vingt-cinq pays d'Afrique sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement.

« Une approche multilatérale exige que nous comprenions la structure de la dette elle-même, ce qui change et comment nous pouvons y répondre », relevait le président du Groupe de la Banque africaine de développement Akinwumi Adesina, en décembre 2023 lors du Forum de Doha, sur le thème : « Décrypter la dette - dévoiler les solutions multilatérales ».

Selon la Banque, la structure de la dette africaine a changé de façon spectaculaire. Alors que la dette bilatérale représente désormais 27 % de l'endettement, contre 52 % en 2000, la dette commerciale compte pour 43 % de l'endettement total (20 % en 2000).

« L'expansion et la fragmentation de la base créancière compliquent le règlement de la dette par les institutions de Bretton Woods », s'inquiète le président de la Banque.

Lenteur en matière de règlement

L'une des difficultés de la résolution de la dette réside aussi dans son extrême lenteur. Des quatre pays africains - Tchad, Éthiopie, Zambie et Ghana - à solliciter un traitement de la dette au titre du Cadre commun du G20, seule la Zambie a achevé en 2023 le processus qui lui permet de bénéficier de cette facilité.

« Il est urgent de réformer l'architecture mondiale du système financier et de la dette afin de réduire les coûts, les délais et les complications juridiques de la restructuration de la dette des pays africains », insistait M. Adesina aux Assemblées annuelles 2023 de la Banque à Charm el Cheikh, en Égypte. Et pour éviter des coûts élevés et limiter la probabilité d'une nouvelle crise de l'endettement, l'Afrique devrait faire pression en faveur d'une transparence accrue et d'une coordination mondiale entre les créanciers, insistait M. Adesina.

Le risque

L'autre problème de la dette réside dans la « prime à l'Afrique » que les pays du continent doivent payer lorsqu'ils accèdent aux marchés des capitaux, malgré des données montrant que les taux de défaut en l'Afrique sont inférieurs à ceux d'autres régions du monde. Une analyse de Moody's sur les taux de défaillance des infrastructures mondiales montre par exemple, que le continent africain se classe mieux, avec 5,5 %, que l'Asie, avec 8,5 %, et l'Amérique latine, avec 13 %.

Or, la perception du risque en Afrique, reflétées par les institutions de notation mondiales, entraîne une hausse très souvent injustifiée des coûts d'emprunt pour les pays africains.

Les délais de remboursement

Les délais courts de remboursement de la dette restent aussi une épine.

L'ancien président sénégalais, Macky Sall, lorsqu'il était président en exercice de l'Union africaine, déplorait, lors du 2e Sommet sur le financement des infrastructures en Afrique [lien externe], les délais courts de remboursement de la dette. « Pour des financements aussi lourds et des infrastructures de longue durée, nos pays sont souvent tenus de rembourser leurs dettes dans des délais souvent courts, à quelques exceptions près », soulignait-il en février 2023. Cette remarque pour les infrastructures est aussi valable pour des prêts pour l'éducation. Des prêts destinés à la construction d'écoles doivent être remboursés avant même que les sortants de ces écoles ne deviennent productifs.

« Le développement à long terme ne peut être basé sur des prêts à court terme. Les prêts accordés à l'Afrique devraient être d'une durée d'au moins 25 ans, voire plus. Les emprunts à court terme sont dangereux pour le développement à long terme », soutient vigoureusement, l'économiste, universitaire et analyste des politiques publiques américain, Jeffrey Sachs.

Partisan d'une annulation pure et simple de la dette africaine, Macky Sall assurait que cela n'était pas « insurmontable » pour les pays du G20.

Une place pour l'Afrique autour de la table

Depuis la crise de la dette des années 80, la communauté internationale alterne diverses options pour le traitement de la dette : restructuration, suspension, allègement et annulation ont permis, selon les cas, aux pays africains de réduire leur surendettement et de faire face aux crises de liquidité ou de solvabilité.

À Nairobi, les pays membres de la Banque africaine de développement sont appelés à identifier différentes pistes pour réformer le système financier mondial, car le traitement de la dette ne peut se faire sans une réforme approfondie de son architecture. Or, l'architecture financière mondiale, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne répond pas aux attentes de l'Afrique dont les pays ont sans exception la particularité d'être en développement et donc confrontés, à ce titre, à de nombreux défis mondialisés.

« Il est urgent de réformer l'architecture financière internationale actuelle pour la rendre apte à une restructuration ordonnée de la dette. Le règlement de la dette en Afrique, en particulier en dehors des processus du Club de Paris, a souvent connu des dysfonctionnements et des lenteurs, avec des conséquences économiques coûteuses », analysait le président Adesina aux Assemblées annuelles 2023 de l'institution. S'exprimant en septembre 2023 à une table ronde à la 78e Assemblée générale des Nations unies, il insistait sur la nécessité de modifier la structure pour la rendre performante. « Pour parvenir à un monde plus juste et équitable, nous devons [d'abord] modifier la structure, la conduite et la performance de l'architecture financière mondiale ».

D'ores et déjà, la Banque africaine de développement se dit prête à jouer un rôle prépondérant pour faire avancer cette cause. Pour y parvenir, elle renforce ses capacités institutionnelles, ainsi que la transparence et la responsabilité, et coordonne de mieux en mieux ses actions avec les autres institutions soeurs et les gouvernements pour résoudre le problème de la dette.

Avec la Banque interaméricaine de développement, elle a été le fer de lance d'innovations financières hardies qui devraient permettre au Fonds monétaire international d'acheminer les droits de tirage spéciaux (DTS) vers les pays qui en ont le plus besoin à travers les banques multilatérales de développement. Les deux ont développé un mécanisme innovant structuré comme un instrument de capital hybride qui pourra être comptabilisé comme des fonds propres dans leurs bilans. Elles s'appuient également sur un Accord de soutien à la liquidité conclu entre les actionnaires contributeurs, afin de garantir que les pays contributeurs de DTS puissent toujours les comptabiliser comme des réserves. « Les DTS passeront ainsi du statut d'actifs de réserve statiques à celui d'instruments de prêt dynamiques, à des coûts abordables, pour financer le développement, tout en préservant leur statut d'actifs de réserve, et sans frais pour les contribuables des pays riches en DTS », a ajouté M. Adesina.

Travailler ensemble

La Banque africaine de développement préconise un « partenariat rénové » pour permettre aux pays africains de bénéficier de financements adaptés à leurs besoins. « Cela va au-delà de l'aspect financier. Il s'agit davantage de la façon dont nous travaillons ensemble pour optimiser les ressources en engageant les gouvernements, le secteur privé et d'autres parties prenantes à apporter des changements significatifs », expliquait le président Adesina lors d'une rencontre à Abidjan avec Ajay Banga, alors candidat à la présidence de la Banque mondiale. M. Banga évoquait, de son côté, la nécessité pour le Groupe de la Banque mondiale - dont il a, depuis, pris les reines - de développer un partenariat solide avec le Groupe de la Banque africaine de développement afin d'obtenir des résultats transformateurs.

Que ce soit la nécessité pour l'Afrique d'être mieux représentée au sein des instances de financement du développement ou l'urgence de promouvoir une transparence accrue et une coordination mondiale entre les créanciers pour favoriser un traitement ordonné de la dette souveraine en Afrique, l'Afrique devra sortir de Nairobi avec des idées novatrices. Cela permettra au continent de mieux peser dans les discussions en cours ou à venir pour des réformes courageuses, efficaces ; capables de traiter la dette africaine de façon pérenne. Pour parvenir à ce résultat, « l'Afrique doit agir comme une seule entité » contre vents et marrées, comme le préconise Jeffrey Sachs. Comme en 1964.

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