Gambie: Peine maximale pour Ousman Sonko

Des plaignants et accompagnateurs posant à l'entrée du Tribunal pénal fédéral suisse, le 8 janvier 2024 à Bellinzona, dans le sud de la Suisse, jour d'ouverture du procès d'Ousman Sonko, ancien ministre de l'Intérieur gambien sous le régime de Yahya Jammeh, inculpé de crimes contre l'humanité.

Le procès contre l'ancien ministre de l'Intérieur de la Gambie, Ousman Sonko, s'est achevé le 15 mai. Le tribunal fédéral suisse de Bellinzone lui a infligé une peine de 20 ans de prison pour crimes contre l'humanité. Il s'agit de la peine la plus lourde prévue par le droit suisse. Les avocats des plaignants et des militants ont qualifié cette décision de succès, tout en étant déçus que Sonko ait échappé à certains chefs d'accusation.

C'est un mercredi pluvieux, un temps inhabituel pour le Tessin, la partie italienne de la Suisse, à cette époque de l'année. Ousman Sonko est de retour au Tribunal fédéral suisse de Bellinzone. Mais cette fois, pour connaître son sort. Il y a plus de monde, y compris des journalistes suisses, une foule que l'on n'avait pas vue lors des phases précédentes du procès de l'ancien ministre de l'Intérieur de la Gambie, qui s'est ouvert début janvier. Les parties attendent anxieusement à l'extérieur, aucune n'étant en mesure de dire avec certitude quelle sera l'issue de ce dossier.

"J'ai fait mon travail. L'affaire n'est plus entre mes mains", confie Philippe Currat, l'avocat de Sonko. "Je ne sais pas à quoi m'attendre. Nous n'avons pas de précédent pour cette affaire. C'est la première fois que nous jugeons le ministre d'un autre pays, alors je ne sais pas." L'équipe de la défense et la famille de l'accusé sont presque au complet. La fille de Sonko, avocate basée au Royaume-Uni, a repris sa place sur le banc de la défense, et son ex-femme, Njemeh Bah, est également présente. Leur fils devait être là pour le verdict, explique son avocat, mais il n'a pas pu obtenir à temps l'autorisation de son école.

Sonko reprend sa place, après avoir échangé des plaisanteries avec le représentant permanent adjoint de la mission de la Gambie à Genève, Cherno Marenah. Cette fois, il porte des lunettes. Il possède un livre islamique qu'il est en train de lire lorsque les trois juges du panel entrent. Même après l'annonce du verdict, il gardera le visage droit, avec une expression difficile à lire, les yeux fixés sur les juges pendant que le président du tribunal lit le jugement en allemand.

Le verdict

Sonko est reconnu coupable de plusieurs chefs d'accusation d'homicide volontaire, de plusieurs chefs d'accusation de séquestration et de plusieurs chefs d'accusation de torture en tant que crimes contre l'humanité, pour des actes commis alors qu'il servait la dictature du président gambien Yahya Jammeh (1994-2017). Sonko a été l'un des plus durables fonctionnaires du régime de Jammeh. Il est condamné à 20 ans de prison, la peine la plus lourde en droit suisse, et à une expulsion du pays pour une durée de 12 ans.

Sonko est en prison en Suisse depuis janvier 2017. "Le temps passé en détention policière, provisoire et préventive avant la date du jugement, d'un total de 2667 jours, sera pris en compte dans l'exécution de la peine", déclare le tribunal. Selon le président de la cour, en temps cumulé, Sonko aurait passé 75 ans et 4 mois en prison (le meurtre de Baba Jobe étant passible de la peine la plus lourde dans le jugement, à savoir 15 ans). Mais selon le droit suisse, dit-il, la peine maximale est de 20 ans.

Le président du tribunal souligne que l'accusé n'a pas éprouvé de remords et n'était pas intéressé par la clarification des faits. Il décrit un "comportement obstructif" de l'accusé.

Sonko est également condamné à verser des indemnités aux plaignants et à la confédération suisse pour les frais encourus dans le cadre de ce procès. Cette somme s'élèverait à 3,9 millions de dollars. D'ores et déjà, 14 413,30 francs suisses (16,000 USD), confisqués à Sonko, ont été alloués aux plaignants pour couvrir les plaintes au civil.

"Un puissant précédent"

"Les roues de la justice tournent peut-être lentement, mais ce verdict indique clairement qu'elles tournent et qu'en temps voulu, tous les responsables de tels crimes devront rendre des comptes. Il s'agit d'un puissant précédent en matière de responsabilité, indépendamment de la position ou du lieu où l'on se trouve. Les implications vont bien au-delà de cette affaire, signalant aux auteurs de crimes dans le monde entier que la justice finira par les rattraper", déclare Isatou Jammeh, une militante gambienne des droits de l'homme. "Je pense que cela augmentera les chances que d'autres poursuites soient engagées en Gambie, mais aussi dans d'autres parties du monde. C'est donc un bon jour pour la justice", appuie Philip Grant, directeur de Trial International, l'ONG suisse à l'origine de l'affaire Sonko.

"La condamnation d'Ousman Sonko, l'un des piliers du régime brutal de Yahya Jammeh, est une étape importante sur le long chemin qui mène à la justice pour les victimes de Jammeh", ajoute Reed Brody, avocat américain des droits de l'homme venu assister au verdict, qui a engagé une campagne pour que Jammeh soit extradé de Guinée équatoriale, où il a trouvé asile après son départ forcé, et qu'il soit traduit en justice. Brody estime que le procès "montre les difficultés rencontrées par les juges qui siègent à des milliers de kilomètres du lieu où les crimes se sont ou se seraient produits, alors que la plupart des preuves, en fait toutes les preuves, reposent sur des témoignages et qu'il y a très peu de documents corroborant les faits". Mais il souligne que la Commission gambienne pour la vérité, la réconciliation et les réparations (TRRC) - qui a travaillé pendant trois ans pour enquêter sur les crimes commis sous le régime de Jammeh - "a fait un travail très important pour établir le contexte. Les autorités suisses ont fait de leur mieux et les témoins ont été très convaincants".

Un revers pour les victimes de violences sexuelles

Sonko n'a pas été condamné pour tous les crimes pour lesquels il était poursuivi. Le tribunal a rejeté les accusations de viols pour des raisons juridiques, affirmant que les cas de viols allégués contre Sonko ne présentaient aucun lien avec une attaque systématique contre une population civile et ne pouvaient donc pas être qualifiés de crimes contre l'humanité. Elle les a considérés comme des incidents isolés.

"Nous sommes très déçus de voir que le tribunal a décidé de classer l'affaire concernant les accusations liées aux violences sexuelles et de genre. S'il est important de souligner que l'accusé n'a pas été acquitté mais que des raisons procédurales ont conduit les juges à cette conclusion, cette décision n'en constitue pas moins un nouvel exemple du mépris généralisé de la violence sexuelle et de genre. Plutôt que de reconnaître les aspects structurels et systématiques de [cette] violence en Gambie sous le régime de Yahya Jammeh, la Cour considère les accusations portées par ma cliente contre l'accusé comme des actes isolés ne relevant pas des crimes contre l'humanité - une position que nous désapprouvons fermement", déclare Anninna Mullis, l'avocate de Binta Jamba, qui a accusé Sonko de l'avoir violée à plusieurs reprises après la mort de son mari, Almamo Manneh (meurtre pour lequel Sonko a été condamné).

"Si Ousman Sonko n'est pas reconnu coupable de violences sexuelles après toutes les preuves fournies par la TRRC, où il est nommé et mentionné, c'est vraiment inquiétant", ajoute Fatou Baldeh, fondatrice et directrice exécutive de Women in Liberation and Leadership (WILL), une ONG gambienne. "Mais aussi, je pense que cela va vraiment retenir les femmes, les femmes victimes de violences sexuelles, alors que nous avançons dans les poursuites contre d'autres auteurs."

Un appel probable

Le jugement est néanmoins un coup dur pour la défense. "Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un procès équitable, car s'il y a procès, il devrait y avoir des témoins des deux côtés. Il semble que tous les témoins n'étaient là que pour les victimes. Il n'y avait aucun témoin pour nous. Je ne comprends donc pas vraiment comment cela fonctionne", déclare la fille de Sonko, qui fait partie de l'équipe juridique de son père. Me Currat se dit déçu que la Cour ait rejeté la demande de son client d'enquêter sur ses conditions de détention "illégales", alors qu'il a passé sept ans en détention provisoire. Il confirme qu'il est fort probable qu'il fasse appel du jugement.

Sadibou Badjie, un partisan de l'ancien président Jammeh, trouve ce verdict choquant. "Je n'en ai encore parlé à personne", déclare-t-il au téléphone, faisant référence aux habitants de Foni, la ville natale de Jammeh, "mais je suis sûr qu'aucun d'entre eux ne se réjouira de la nouvelle de l'emprisonnement [de Sonko]".

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