Nairobi — La Cour pénale spéciale représente une piste cruciale vers l'établissement des responsabilités
Les responsables d'une attaque particulièrement brutale commise il y a 10 ans contre une église en République centrafricaine qui servait de camp pour personnes déplacées doivent toujours être traduits en justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Cette attaque du 28 mai 2014 à l'église Notre-Dame de Fatima, dans le quartier du même nom de la capitale du pays, Bangui, a été commise à moins d'un kilomètre d'un cantonnement de forces de maintien de la paix de l'Union africaine (UA) et elle est emblématique de l'impunité qui a encouragé la continuation de la violence entre groupes armés rivaux dans le pays pendant plus d'une décennie.
Après l'attaque, Human Rights Watch avait confirmé que 17 personnes avaient été tuées dans le camp, apparemment par des combattants affiliés à la Séléka, une coalition de groupes armés à dominance musulmane. Cependant, le bilan exact était très probablement plus élevé car certaines victimes avaient été enterrées immédiatement. La mission de maintien de la paix de l'UA stationnée à proximité n'a pas assuré la sécurité du camp avant l'attaque.
« Le massacre de Fatima en 2014 a été une attaque délibérée contre des civils dans la capitale qui illustre les problèmes rencontrés par les soldats internationaux chargés du maintien de la paix en République centrafricaine », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Même des années plus tard, rendre justice maintenant constituerait pour tous un signal fort selon lequel même si la justice prend du temps, elle finit par rattraper ceux qui sont responsables de ces crimes ».
L'attaque s'inscrit dans un contexte plus large de violences dans le pays déclenchées par la Séléka il y a une décennie. Des milices chrétiennes surnommées anti-balaka se sont dressées dans tout le pays en réaction à la Séléka et ont rapidement commencé à cibler les civils musulmans, les associant à la coalition Séléka.
Le massacre de Fatima est en train d'être enquêté par la Cour pénale spéciale (CPS) établie à Bangui. En 2022, quatre chefs de groupes armés affiliés à la Séléka - Gary Hadiatou, Ali Abdel Kader, Oumar Al Bachir et Yalo Amadou - ont été arrêtés en lien avec cette affaire. Ils ont été inculpés de nombreux crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
En janvier 2023, le procureur adjoint de la Cour a déclaré aux médias qu'un procès pourrait s'ouvrir lors du premier trimestre de cette année-là. Le procès n'a jamais commencé et, en juin 2023, la Cour a informé les médias que l'un des accusés, Al Bachir, était décédé à l'hôpital. Ceci, combiné à l'exigence de la Cour que la détention préventive avant un procès ne dure pas plus de trois ans, souligne combien il est urgent que le procès démarre.
La Cour spéciale a été créée pour enquêter sur les crimes internationaux graves commis en République centrafricaine depuis 2003 et juger leurs auteurs présumés. Elle est dotée de juges et de personnels centrafricains et internationaux. Depuis le début de ses activités en 2018, elle a mené à bien l'instruction et le procès d'une affaire concernant des crimes commis dans le nord-ouest du pays en 2019. Un second procès, qui a débuté en décembre 2023, est en cours.
La Cour a récemment émis un mandat d'arrêt contre l'ancien président François Bozizé pour des crimes contre l'humanité présumés commis entre février 2009 et le 23 mars 2013 par la Garde présidentielle et d'autres services de sécurité sous sa responsabilité au centre de formation militaire de Bossembelé, parfois surnommé « Guantanamo », au nord de Bangui.
Un membre de la famille d'une victime du massacre de Fatima a récemment déclaré à Human Rights Watch: « Dix ans plus tard, nous attendons toujours que justice soit rendue, nous espérons que cela viendra bientôt ».
L'église Notre-Dame de Fatima servait de camp pour des milliers d'habitants de Bangui deplacés après que les anti-balaka eurent attaqué la capitale le 5 décembre 2013, déclenchant des vagues de violence et de représailles meurtrières. Au moins 7 000 personnes se trouvaient dans le camp le jour de l'attaque.
Celle-ci est survenue après des mois de meurtres de représailles entre les anti-balaka et des musulmans armés, dont certains étaient affiliés à des groupes appartenant à la Séléka, du quartier du Kilomètre 5, qui jouxte celui de Fatima.
Le 28 mai 2014, les attaquants de la Séléka en provenance du Kilomètre 5 sont arrivés à l'église. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch : « J'ai vu plus de 30 hommes avec des armes à feu dans la rue, qui venaient vers nous en courant. Comme il faisait jour, j'ai pu voir qu'ils attaquaient. Ils ne masquaient même pas leurs visages. »
Des témoins et des survivants ont décrit une scène de chaos total, alors que des milliers de personnes tentaient de s'enfuir ou de se cacher. Des survivants se sont entassés dans des bancs de béton à l'extérieur, derrière l'église.
Les assaillants sont entrés dans l'église de plusieurs côtés. De nombreux survivants et témoins ont affirmé qu'ils étaient armés de fusils d'assaut de type kalachnikov, de grenades et de machettes. De nombreuses personnes ont reconnu certains des assaillants comme étant des combattants de la Séléka du Kilomètre 5.
Un proche d'Héritier Moket, un garçon de 15 ans qui a été tué, a déclaré : « J'étais encore devant l'église avec Héritier ; ma femme et mes enfants s'étaient déjà refugiés derrière l'église. J'ai vu venir les attaquants et je lui ai dit de courir. Nous courions dans tous les sens pour essayer de leur échapper, mais il a été atteint par des tirs ».
Un autre survivant, qui a été gravement blessé au visage et au bras à coups de machette, a indiqué qu'il avait été encerclé par environ neuf hommes. Il a déclaré : « J'ai levé les mains mais ils étaient déjà en train de m'attaquer. Ils m'ont demandé en arabe si j'étais un anti-balaka. Je parle un peu arabe [donc je leur ai répondu que non]. Ils n'ont rien dit mais ils ont commencé à me frapper à coups de machette. Je suis tombé au sol et j'ai été frappé à la tête jusqu'à perdre connaissance, et ils ont cru que j'étais mort ».
Un autre survivant, qui a reçu une balle dans le ventre, a déclaré : « Je me suis précipité dans les toilettes pour me cacher et quelques secondes plus tard, ils ont tiré dessus. Une balle m'a traversé le bras et est allée se loger dans mon ventre du côté gauche ».
L'impunité dont bénéficient les responsables de crimes graves en République centrafricaine a alimenté les cycles de violence successifs et encouragé les groupes armés à continuer de commettre des atrocités, semant sur leur passage la mort, le déplacement et la pauvreté, a déclaré Human Rights Watch.
L'attaque à Fatima a été l'une des premières d'une long série d'attaques de camps pour personnes déplacées à l'intérieur du pays. L'église Notre-Dame a continué de servir de camp pour déplacés et a subi une nouvelle attaque en 2018, lors de laquelle au moins 16 personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées.
« Les Centrafricains attendent depuis une décennie que justice soit rendue pour les meurtres particulièrement brutaux commis à Fatima et la Cour pénale spéciale devrait permettre d'y parvenir », a affirmé Lewis Mudge. « Le gouvernement et les partenaires internationaux de la Cour devraient redoubler d'efforts pour la soutenir, afin d'assurer qu'elle puisse s'acquitter effectivement de son mandat crucial capital. »