Afrique: Décentraliser le diagnostic améliore le dépistage chez l'enfant

Un agent de santé à Madagascar administre le vaccin BCG lors d'une séance de vaccination en plein air. (archives)
3 Juin 2024

YAOUNDE — La décentralisation du diagnostic de la tuberculose (TB) dans les hôpitaux de district et les centres de santé primaires contribue à améliorer la détection de cette maladie infectieuse chez l'enfant.

C'est ce que révèle une des études menées dans le cadre du projet TB-Speed dans six pays (Cambodge, Cameroun, Côte d'Ivoire, Mozambique, Sierra Leone et Ouganda) connaissant une forte incidence de la tuberculose.

Selon Olivier Marcy, directeur du projet TB-Speed, le diagnostic de la tuberculose chez l'enfant est très difficile, en raison du peu de bactéries dans les poumons et la difficulté de faire des prélèvements d'expectoration (crachat).

"La décentralisation du diagnostic de la tuberculose permet d'améliorer l'accès des enfants à des services de dépistage et de traitement plus proches de leur domicile, ce qui facilite la prise en charge précoce des cas de tuberculose"Steve Olivier Oba, Plan International Cameroon

De plus, ce diagnostic reste centralisé dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les hôpitaux régionaux. « L'idée de cette étude était de regarder si ça fonctionnait de décentraliser un certain nombre de tests diagnostiques jusqu'au niveau des centres de santé primaires et dans les hôpitaux de district », explique-t-il.

Les auteurs de cette étude sont issus de l'Institut de recherche ougandais MU-JHU, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l'université de Bordeaux. Ils ont comparé la proportion d'enfants et jeunes adolescents de moins de 15 ans diagnostiqués avec une tuberculose dans 12 hôpitaux de district et 47 centres de santé primaires de 12 districts, entre une période avant intervention (aout 2018 à novembre 2019) et une période pendant l'intervention (mars 2020 à septembre 2021).

%

D'après l'étude, deux modèles de décentralisation ont été retenus. L'un renforce la capacité de diagnostic au niveau des hôpitaux de district où les enfants ayant présenté des symptômes de tuberculose au niveau des centres de santé primaires étaient orientés pour une évaluation diagnostique. L'autre modèle renforce la capacité de diagnostic au niveau des centres de santé primaires,.

« [...] On a été en mesure de dépister 180 mille enfants sur six pays. Parmi ces enfants, il y en a 411 qui ont été diagnostiqués avec une tuberculose, ça fait un taux de 0,23-0,24 %, alors que dans la période de contrôle, sur 255 mille enfants vus dans ces centres, il y en avait eu que 217 qui avaient été diagnostiqués pour une tuberculose, donc ça faisait 0,08 %. Du coup, ça montre que la détection des cas a été multipliée quasiment par 3, de 0,08 à 0,24 », soutient Olivier Marcy.

L'étude, publiée dans le journal eClinicalMedicine, confirme que « la décentralisation des choses qui paraissent complexes comme des prélèvements nasopharyngés, de selles, pour les tester sur la plateforme GeneXpert, outil de diagnostic de la tuberculose, est faisable et très acceptable dans des centres de santé primaires et les hôpitaux de district », indique-t-il.

Selon ses explications, les infirmiers, les assistants sanitaires... qui travaillent au niveau des centres de santé primaires peuvent mettre en oeuvre des méthodes de prélèvements complexes comme l'aspiration nasopharyngée qui consiste à aspirer le retropharynx avec un petit tube inséré dans la narine pendant quelques secondes, ensuite effectuer le test GeneExpert sur place.

« [...] On a mis en place aussi la radiographie digitale dans les hôpitaux de district et on a renforcé les compétences cliniques du personnel par la formation, la supervision, le mentorat clinique. On a montré que ça augmente globalement la détection des cas de tuberculose », précise-t-il.

Leçon

Aussi, l'étude a permis de montrer l'impact budgétaire de cette décentralisation. À en croire Jean-Voisin Taguebue, principal investigateur de l'étude pour le Cameroun, former au dépistage, référer vers l'hôpital de district où il y avait déjà du matériel était beaucoup plus facile et moins couteux, notamment au Cameroun.

Cependant, « décentraliser au niveau des centres de santé était faisable, mais plus couteux parce qu'il fallait former le personnel à manipuler la machine de GeneXpert, entretenir cette machine... », affirme le chercheur.

Environ 10 millions de cas de tuberculose sont enregistrés par an dans le monde et un peu plus de 10 % de ces cas sont des cas de tuberculose chez l'enfant. La mortalité liée à cette maladie reste élevée avec 1,3 à 1,5 million de décès par an. Ces décès surviennent parce que la maladie est grave, mais surtout chez l'enfant parce que la maladie n'est pas diagnostiquée, soutient Olivier Marcy.

Cette étude nous a donné « une leçon », confie Krystel Kelly Ebo, cheffe de l'unité Tuberculose/VIH, Tuberculose pédiatrique et prisons au Programme national de lutte contre la tuberculose du Cameroun (PNLT).

« Lorsqu'on équipe les formations sanitaires satellites qui ne sont pas forcément des CDT (centres de détection et de traitement de la tuberculose) pour la détection des cas, et lorsqu'un enfant vient en consultation, le personnel de santé doit rechercher systématiquement les signes et symptômes de la tuberculose. Si c'est un cas suspect, on le réfère à l'hôpital de district », déclare la cheffe d'unité qui révèle que ce modèle de décentralisation du diagnostic a été adopté par le PNLT.

Pour Steve Olivier Oba, conseiller technique-tuberculose à l'ONG Plan International Cameroon, les résultats de cette étude sont essentiels pour comprendre comment mieux orienter et rendre plus efficace le diagnostic de la tuberculose pédiatrique.

« La décentralisation du diagnostic de la tuberculose permet d'améliorer l'accès des enfants à des services de dépistage et de traitement plus proches de leur domicile, ce qui facilite la prise en charge précoce des cas de tuberculose », dit-il.

Il relève qu'un diagnostic précoce est essentiel pour un traitement efficace et pour prévenir la propagation de la maladie. « La décentralisation permet aussi de renforcer les compétences des professionnels de santé au niveau des centres de santé primaires et de réduire les coûts liés aux déplacements des patients vers les hôpitaux de district », précise-t-il.

Formation

Toutefois, la mise en place de la décentralisation du diagnostic de la tuberculose ne peut être effective et efficace que si cette approche est intégrée par les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose, estime Olivier Marcy.

« Ça ne doit pas être une approche d'un projet, mais d'un système... Mieux, décentraliser le diagnostic de la tuberculose va probablement aussi avoir un impact favorable sur d'autres aspects dans le système de santé. Mettre à la disposition des radiographies digitales va améliorer les choses sur d'autres aspects. (...) Je crois que ça contribue au renforcement du système de santé», commente-il.

Steve Olivier Oba souligne la nécessité de doter les centres de santé primaires d'équipements pour effectuer des tests de diagnostic. « La formation adéquate des professionnels de santé est également essentielle pour garantir des diagnostics précis », suggère-t-il.

Abondant dans le même sens, Jean-Voisin Taguebue précise que « il faudrait bien former au niveau des centres de santé primaires, que ce soit pour le diagnostic complet ou pour le dépistage et la référence ».

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