En cour, la Financial Crimes Commission a plaidé une enquête complexe et ardue pour justifier les trois ans pris dans l'enquête sur Shamshir Mukoon. À la presse, la FCC souligne que l'ex-DG du CEB n'a pas été blanchi. Tout en donnant des leçons de droit et de journalisme.
La Financial Crimes Commission (FCC) n'est pas contente qu'un titre de presse ait écrit que l'ex-General Manager du Central Electricity Board (CEB) a été «blanchi par le tribunal de Curepipe». C'est vrai, Shamshir Mukoon n'a vu que l'accusation provisoire de «public official using his position for gratification» rayée contre lui. Cependant, la FCC a jugé bon de justifier ce rappel à la presse concernant l'usage malheureux de ce mot «blanchi» en envoyant un communiqué de deux pleines pages, vendredi, qui a eu pour résultat d'apporter plus de questions.
Pour commencer, en soulignant que l'abandon (en fait une radiation par la cour) d'une charge provisoire «n'exclut pas la possibilité pour la FCC de déposer le "main case" à l'avenir», la FCC a tenu à ajouter que «cela a d'ailleurs été le cas dans plusieurs affaires précédentes, où l'ICAC avait vu les charges provisoires abandonnées par la justice, mais avait tout de même déposé les "main cases" qui ont été entendus.» Nous avons demandé à la FCC de nous communiquer quelques exemples de ces «plusieurs affaires précédentes». La FCC a promis de revenir vers nous, tout en nous signalant le cas de feu Siddick Chady. C'est vrai, ce dernier est un des cas pour lesquels l'Independent Commission against Corruption (ICAC) a «rouvert» l'enquête, pour les raisons et avec les conséquences que l'on sait.
Mais c'est en défendant les trois ans que prend l'enquête sur Shamshir Mukoon relative à l'affaire St-Louis que la FCC se met en mauvaise posture. Frisant le contempt of court, elle évoque une partie de la décision du magistrat Gavindren Coolen de la cour de Curepipe qui a reproduit ce que la FCC a plaidé pour justifier le retard dans l'enquête mais sans citer ce que le magistrat a eu à dire sur ces «justifications». Ainsi, si le magistrat a bien parlé des arguments habituels de la FCC et de l'ICAC, comme la complexité de l'enquête avec des investigations transnationales, des documents volumineux du dossier, etc., il a toutefois conclu que «The complexity of the case cannot be used as a mere rhetoric to justify an inordinate delay» et que «since the ICAC was used to enquiring in complex matters, such an issue can hardly be said to have considerably thwarted its enquiry». Et le Covid et le confinement dont usent la FCC et beaucoup d'autres ? Le magistrat : «Si la cour est disposée à croire que le confinement a retardé les investigations à un certain degré, cela ne peut constituer qu'une petite partie du retard de trois ans.» Tout en rappelant que le Temporary Restrictions of Movement Order n'a été imposé par le Premier ministre que pour «a few months». Et pan !
Jurez un affidavit plutôt !
Ce que ne cite pas non plus la FCC, c'est quand le magistrat Coolen souligne que «le Chief Investigator était incapable de relater les faits de l'affaire d'une manière chronologique pour justifier les trois ans pris par cette enquête». Le magistrat a aussi rappelé à la FCC que depuis 1990 les juges avaient recommandé aux enquêteurs, lorsqu'il y a allégations de délais excessifs, de jurer un affidavit faisant l'historique de l'affaire et donnant les raisons des retards de l'enquête. La FCC ne l'a pas fait pour le cas Mukoon, dit-il, et cela a inévitablement affaibli la position de la commission, avec son chef enquêteur qui n'a pu convaincre la cour que la FCC a judicieusement utilisé ces trois ans d'enquête.
Aussi, en jurant un affidavit, peut-être que la FCC et l'ICAC auraient pu éviter de s'entendre reprocher par le magistrat Coolen d'être représentées en cour par un enquêteur qui ne savait même pas que la suspension de Shamshir Mukoon par le CEB était en relation avec l'affaire St-Louis et non avec une autre affaire.
Nonobstant ces coups de semonce de la part du magistrat envers la FCC, cette dernière a quand même fait la leçon aux journalistes en lançant : «La FCC appelle la presse et le public à faire preuve de discernement et de retenue dans le rapportage (sic) et le partage des articles sur l'abandon des charges provisoires...»
Une montagne qui a accouché d'une souris
Une enquête complexe, plusieurs juridictions impliquées, 320 dossiers saisis, des téraoctets d'informations extraits, 500 000 pages de factures détaillées analysées, 480 déclarations enregistrées, 11 suspects provisoirement inculpés, 17 déclarations prises de Shamshir Mukoon, plus de 100 comptes bancaires épluchés, 600 000 pages d'informations financières reçues de 50 individus et entités, sans parler de 300 numéros de téléphone et CD et DVD reçus.
Combien de gel et saisie de biens ? Pas de chiffres exacts : «Ordonnances obtenues pour diverses propriétés ainsi que sur les comptes bancaires de divers protagonistes et leurs sociétés. Environ 50 comptes bancaires saisis.» Des appareils numériques examinés par le Forensic Laboratory de la FCC (oui, elle en a un), de l'aide reçue du Serious Fraud Office du Danemark, des suspects qui n'ont pas coopéré, mais Shamshir Mukoon si, sauf son mot de passe qu'il a oublié mais que «l'ICAC a dû trouver des moyens pour y accéder».
Il y a eu aussi l'indisponibilité des avocats et le... Covid-19. L'ICAC a dû diviser l'enquête en quatre volets, trois volets prêts à être renvoyés à la division juridique de l'ICAC. Il ne restait que le 4e volet et un dernier entretien. Un avocat qui a lu ce «ruling» se demande : «Tout ça pour ça ? C'est une montagne (de documents) qui a accouché d'une souris.» Et pour le magistrat Gavindren Coolen, après plus de trois ans d'enquête, il a décrété «ça suffit». «I therefore order that the provisional charge be struck out on the ground of inordinate delay.» D'autant plus que, a-t-il ajouté, «à ce jour, il n'y a aucune indication sur quand la charge formelle, s'il y en a, sera déposée en cour».