Plus de peur que de mal hier au Nigeria où les principales villes, Lagos, Ibadan, Kano ou Abuja étaient sous haute surveillance policière. Plusieurs associations de défense des consommateurs et autres organisations de la société civile du pays avaient appelé les Nigérians à descendre dans la rue pour dénoncer la vie chère et la mal gouvernance.
Les réseaux sociaux et certains médias locaux avaient donné un large écho à cet appel à manifester qui s'est donné un nom ou un slogan de ralliement des mécontents : «End Bad governance ! », « stop à la mal gouvernance. »Il s'en est suivi un bouillonnement médiatique qui a donné des insomnies aux forces de maintien de l'ordre qui par anticipation avaient convié les organisateurs à surseoir à leur mouvement ou à se contenter d'itinéraires de rigueur à eux indiqués. Les autorités gouvernementales avaient pour leur part invité les populations " au calme, à la paix et à la collaboration" pour passer le cap difficile que traverse le Nigeria.
Elles ont été à moitié entendues car c'est simplement dans les villes de Kano et d'Abuja qu'il y a eu des débordements au premier jour des manifestations. La police a dû y faire usage de gaz lacrymogène pour disperser des centaines de manifestants qui n'ont pu accéder au gouvernorat et au siège du Parlement comme projeté. Qu'en sera-t-il aujourd'hui ? Les croquants vont-ils se dégonfler ou au contraire, ils vont revenir à la charge pour comme ils le disent contraindre le gouvernement à revoir sa politique économique et sa méthode de gestion des deniers publics.
En effet, le Nigeria fait face à l'une des pires crises économiques qui ait affecté le pays depuis 30 ans. Elle se caractérise par une inflation qui, selon plusieurs sources, frôle les 40%. Le prix des hydrocarbures notamment celui du pétrole et du gaz qui a été multiplié par 3 est particulièrement indexé par les mécontents. Mais les produits de première nécessité comme les céréales, l'huile, le sucre, le savon ont également vu leur coût renchérir au plus du double. Idem pour le transport et les produits pharmaceutiques.
Comment le Nigeria qui passe pour la 2e économie du continent en est arrivé à cette crise inflationniste qui pourrait conduire à une déflagration sociale majeure comme ce que vit le Kenya ? Des analystes indexent la suppression brutale des subventions aux hydrocarbures et les dévaluations successives du Naïra, la monnaie nationale.
La première mesure qui visait à faire des économies budgétaires pour dégager une épargne destinée aux investissements publics à haute intensité de main-d'oeuvre tarde à produire ses effets. La seconde, destinée à lutter contre la spéculation en matière de change, notamment face au dollar US devait stabiliser quelque peu le naïra, assainir le secteur bancaire, etc., mais elle a fait flop. Le naïra est aujourd'hui à son plus bas niveau face aux devises étrangères.
Le président Bola Tinubu, "faiseur de roi" qui, pour son élection disait aux Nigérians, "c'est mon tour" de gouverner dans "un engagement pour un espoir consolidé" est visiblement en panne. Il a certes fait voter une loi pour doubler le smig et décider d'une vaste distribution de céréales aux couches vulnérables de la population, l'inflation demeure intenable pour le panier de la ménagère.
Il faut craindre qu'après l'Ouganda et à l'exemple du Kenya, le Nigeria ne connaisse une détérioration de son climat social et du "stop corruption" en passant par "end bad gouvernance" on en arrive vite à "occupied Parlement" ou plus radicalement "out, mister president".
De là à dire qu'une décennie après le printemps arabe voici le printemps subsaharien avec un bouillonnement de la rue et des casernes pour la souveraineté, la refondation de l'Etat et la bonne gouvernance, il y a un pas.