«Nous plaidons pour une participation effective, car il n'y a pas de démocratie sans engagement citoyen»

Abdou Aziz Cissé, chargé de plaidoyer d’AfricTivistes
15 Octobre 2024
Contenu d'un Partenaire Premium
Civicus Lens (Johannesburg)
interview

CIVICUS échange avec Abdou Aziz Cissé, chargé de plaidoyer d'AfricTivistes, sur l'état de la démocratie en Afrique et le rôle de la société civile en cette année de nombreuses élections.

AfricTivistes est une organisation de la société civile (OSC) panafricaine qui promeut et défend les valeurs démocratiques, les droits humains et la bonne gouvernance à travers la Civic tech. Elle vise à autonomiser les citoyens africains afin qu'ils deviennent des acteurs actifs dans la construction de leurs sociétés et puissent demander des comptes à leurs gouvernements.

Quelle est votre évaluation de l'année électorale en Afrique jusqu'à présent ?

Au cours de l'année, l'Afrique verra se dérouler des élections dans 19 pays, chacun avec ses propres défis politiques, économiques et sociaux.

Dans de nombreux pays, les élections ont été précédées ou accompagnées de tensions , dues à une concurrence électorale accrue ou à la contestation des processus électoraux. Dans d'autres pays, comme le Sénégal , les élections ont été précédées ou suivies de manifestations et de péripéties socio-politiques, où la jeunesse et la société civile ont joué un rôle actif.

Dans tous ces scrutins, les jeunes et les femmes ont exprimé un fort désir d'être inclus dans les institutions politiques. À l'approche des élections de décembre 2024 au Ghana, par exemple, la mobilisation autour de la participation des jeunes et des femmes se poursuit, même si des défis structurels subsistent.

La perte de confiance du public dans les institutions électorales est une tendance notable dans l'ensemble. Les accusations de fraude électorale , de manipulation et d'influence politique ont constitué des obstacles majeurs à la crédibilité des résultats dans plusieurs pays, dont les Comores, Madagascar, la Mauritanie, le Rwanda et la Tunisie. Et on pourrait s'attendre à d'autres contestations dans le cas des élections générales à venir comme en Mozambique.

Dans l'ensemble, cette année électorale a donné lieu à un mélange d'avancées et de reculs et a été riche en leçons , surtout en ce qui concerne la participation citoyenne, l'inclusion et la transparence. Les élections restent une occasion de renforcer le multipartisme et de rétablir l'ordre constitutionnel dans les pays qui ont connu des coups d'État.

Est-ce que la démocratie est en déclin en Afrique ?

La démocratie est en déclin dans plusieurs parties du monde, y compris en Afrique. Parmi les indicateurs de ce déclin figurent l'augmentation du nombre de gouvernements autoritaires ou semi-autoritaires, les restrictions aux libertés civiles, la limitation de l'espace civique et les attaques contre les droits humains et les médias indépendants. Ce phénomène s'explique par divers facteurs, tels que la montée du populisme en Occident, la fragilité des institutions, l'inefficacité des systèmes politiques, ainsi que les tensions sociales et économiques exacerbées par des crises, comme celle de la pandémie de COVID-19.

En Afrique, certains pays comme le Botswana , qui aura ses élections générales le 30 octobre, le Cap-Vert et le Sénégal continuent de progresser en matière de gouvernance démocratique. Mais beaucoup d'autres, en particulier en Afrique de l'Ouest, ont connu des coups d'État , et nous avons assisté à des manipulations constitutionnelles et à des élections controversées dans de nombreux autres pays, dont les Comores, la Mauritanie et la Tunisie.

Dans l'ensemble, le public se méfie de plus en plus des institutions politiques et de leur capacité à faire face aux défis sociaux et économiques. La concentration du pouvoir dans les mains de quelques individus ou groupes limite également la participation citoyenne, en particulier celle des jeunes et des femmes.

Cependant, des efforts de renouvellement démocratique sont aussi en cours, notamment de la part de la société civile, des mouvements citoyens et des jeunes qui s'engagent de plus en plus dans la politique à travers internet et les technologies civiques.

Qu'est-ce qu'AfricTivistes et comment travaillez-vous pour défendre la démocratie ?

AfricTivistes est une organisation panafricaine composée de blogueurs, web-activistes et acteurs du changement du continent africain. À travers notre réseau, nous défendons la démocratie et les droits humains par des actions de plaidoyer et de formation ainsi que par l'implémentation de projets.

Nous faisons également partie des organisations qui appellent à une plus grande utilisation de la technologie pour rendre la démocratie plus inclusive. Depuis notre fondation en 2015, nous plaidons pour une participation effective, car il n'y a pas de démocratie sans engagement citoyen. Depuis trois ans, nous avons élargi notre catalogue de stratégies pour promouvoir la participation par le biais de production de films-documentaires et de publications open source .

Quel est le rôle de la société civile en Afrique par rapport aux processus électoraux ?

Les organisations et les activistes de la société civile jouent un rôle crucial dans les processus électoraux en Afrique. Ils participent à chaque étape du processus électoral – avant, pendant et après le vote. Ils conduisent des missions d'observation neutres dont le seul intérêt est le déroulement équitable et transparent des processus électoraux et des scrutins.

Mais depuis plus de 20 ans, les OSC ne se limitent pas au rôle d'observateurs électoraux indépendants. Face à la propagation fulgurante de la désinformation, et dans un contexte où celle-ci peut influencer les comportements électoraux, elles s'engagent à la vérification de l'information et à fournir des informations vérifiées, objectives et équidistantes des différentes parties prenantes.

Le rôle le plus important de la société civile est donc de sensibiliser et d'éduquer les citoyens sur leurs droits électoraux, en les encourageant à participer activement aux élections pour s'exprimer et exercer leur droit de vote.

Depuis 2006, elles participent aussi à la mise en place de systèmes électoraux digitaux efficaces. Cependant, ce n'est qu'en 2012 que les civic techs promouvant la participation citoyenne, notamment dans les processus électoraux, sont apparues dans la plupart des pays. En 2012, c'était Sunu2012 au Sénégal, puis en 2015 c'était Benin Vote, en 2016 GambiaHasDecided, et en 2017 NotTooYoungToRun au Nigéria visant à réduire l'âge de vote, et Senegal Vote, qui surveille les processus électoraux sénégalais depuis lors.

Enfin, les OSC assurent également le suivi des résultats, contribuent à apaiser les tensions et peuvent jouer un rôle de médiateur en cas de contestations ou de violences post-électorales, comme l'a fait Ushahidi au Kenya en 2007.

Bien qu'elles contribuent de manière significative au renforcement des processus électoraux en Afrique, les initiatives citoyennes font souvent l'objet de répression. L' exemple d'I Watch et de Mourakiboun lors de la récente élection présidentielle en Tunisie en est la preuve factuelle.

Quelles sont les initiatives en cours de la société civile autour des élections que vous avez identifiées ?

Ces dernières années, les processus électoraux en Afrique ont été confrontés à un certain nombre de dysfonctionnements et de tensions qui ont souvent débouché sur des crises. Dans ce contexte, nous créons une base de données des initiatives et de leurs domaines d'intervention tout au long du cycle électoral.

À ce jour, nous avons enregistré plus de 30 initiatives de ce type qui reflètent un engagement fort en faveur de l'intégrité électorale, de l'observation des élections à l'éducation des électeurs, en passant par la lutte contre la désinformation et la promotion de la participation des groupes exclus.

Parmi elles, on peut citer Takara2021, qui a décortiqué les programmes des candidats lors de sessions live avant l'élection présidentielle de 2020 au Niger. À travers leurs plateformes de réseaux sociaux, ils ont atteint plus de 20.000 personnes et en ont fait participer plus de 800 à la discussion. Ils ont ainsi participé à la première alternance démocratique de leur pays.

Cette liste non exhaustive comprend également Your Vote Counts au Cameroun, Congo Témoin en République démocratique du Congo et Enhancing Students' Participation in Electoral Processes en Ouganda. Toutes ces initiatives sont des réussites et témoignent l'importance de la participation citoyenne dans la transparence des élections. Nous les publierons sur notre plateforme d'ici quelques mois afin de démontrer leur travail significatif.

De quel soutien les militants africains de la démocratie ont-ils besoin de la part de la communauté internationale ?

Chez AfricTivistes, nous mettons l'accent sur le partenariat et la solidarité entre les organisations et mouvements de la société civile africaine et internationale dans le contexte actuel de recul démocratique. C'est dans cet esprit que nous avons organisé la conférence Bâtir la Solidarité en juillet avec Yiaga Africa, basée au Nigeria, et récemment le Forum sur la liberté d'Internet en Afrique ( FIFAfrica24 ) avec Cipesa, basé en Ouganda.

L'objectif était de réfléchir à la manière de construire la solidarité, qui nécessite d'ouvrir un canal pour favoriser la communication afin de surmonter les différences et les désaccords. Mais il faut également réfléchir aux conditions de fond de la solidarité. Les militants et les organisations de la société civile africaines disposent souvent de ressources limitées. Ils ont besoin d'un financement plus stable pour soutenir leurs projets et établir des partenariats.

Dans de nombreux pays africains, les militants pour la démocratie font l'objet de menaces avec souvent pour but de censurer leurs libertés fondamentales, de harcèlement, voire d'arrestations. Un soutien international pour leur protection est nécessaire, tout comme un soutien à la construction de résidences pour les activistes dans plusieurs villes du continent. Le mouvement Y'en A Marre en a d'ailleurs construit une à Dakar, au Sénégal, pour accueillir des activistes pro démocratie en danger dans leurs pays.

Enfin, les activistes doivent avoir la possibilité de participer à des événements, des conférences et des forums internationaux afin de relayer leurs causes au niveau international. En les aidant à le faire, la communauté internationale offrirait une plateforme pour tisser des réseaux de solidarité au-delà des frontières.

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