La Banque africaine de développement a organisé, le 24 septembre, un séminaire en virtuel et en présentiel, rassemblant des experts en lutte contre la corruption, sous le thème : « Tirer parti de l'intégrité : capitaliser sur les mesures anti-corruption en Afrique ». Ce séminaire, organisé par le département de la Gouvernance et des Réformes économiques (ECGF) en collaboration avec le Bureau de l'Intégrité et de la Lutte contre la Corruption (PIAC), et a mis en avant l'importance de la lutte contre la corruption comme levier économique pour le continent.
Dès l'entame de la rencontre le lien a été fait entre l'éradication de la corruption et la réalisation des objectifs de développement en Afrique. Selon Mariame Krauer-Diaby, experte principale anti-corruption et gouvernance à ECGF, l'objectif du séminaire n'est pas seulement de souligner « l'importance morale de la lutte contre la corruption, mais également d'évoquer ses avantages économiques concrets pour les pays africains ».
Eric Ogunleye, directeur de l'Institut africain de développement, au nom du vice-président, économiste en chef, Kevin Urama, a affirmé que « la corruption est un cancer qui étouffe la croissance économique et saborde l'État de droit dans un contexte où les besoins de financement du développement sont énormes ».
Abdoulaye Coulibaly, directeur du département ECGF, a poursuivi en soulignant que « la lutte contre la corruption n'est pas seulement une affaire de bonne gouvernance mais permet surtout de tirer la croissance économique à l'échelle du continent », et en insistant sur le rôle qu'elle joue dans l'atteinte des objectifs stratégiques de la Banque, les High 5, et les Objectifs de développement durable des Nations unies. Il a ajouté que la corruption détourne des ressources précieuses, destinées à financer des secteurs essentiels tels que la santé, l'éducation, tout en érodant la confiance des investisseurs. Il a insisté sur le fait que la lutte contre la corruption doit être au centre des stratégies de développement pour l'Afrique.
Coopération au niveau international
Le séminaire a abordé les enjeux de la coopération judiciaire internationale pour le recouvrement des avoirs criminels. Les intervenants ont souligné que les mécanismes de recouvrement d'avoirs criminels manquent encore d'efficacité malgré les instruments existant : Convention des Nations unies contre la corruption, Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption, des stratégies nationales.
Deux panels ont tenté de cerner les problématiques de la lutte contre la corruption. Le premier, modéré par Paula Santos-Da Costa, directrice du PIAC, a abordé les succès et défis rencontrés dans le recouvrement des avoirs en Afrique. Les intervenants, dont Martha Chizuma, experte anti-corruption et ancienne directrice du Bureau anti-corruption du Malawi, et Juliet Ibekaku-Nwagwu, ancienne conseillère spéciale du président nigérian sur la lutte contre la criminalité financière, et fondatrice du Centre africain pour la gouvernance, et Simon Marsh de ICAR Basel Institute on Governance, ont présenté des cas de recouvrements réussis qui ont soutenu des projets de développement national, tout en soulignant les obstacles liés aux lenteurs bureaucratiques et aux défis juridiques internationaux.
Le second panel, modéré par Olivier Pognon, directeur de la Facilité africaine de soutien juridique, s'est concentré sur les moyens d'autonomiser les pays africains en matière de procédures de réclamation et de compensation face aux pratiques de corruption impliquant des multinationales. Les discussions ont porté sur le renforcement des capacités juridiques des États africains et l'imposition de sanctions financières aux entreprises corrompues.
Cadre légal et organes de lutte
Martha Chizuma, du Malawi, a partagé son expérience dans la poursuite d'actes de corruption et a insisté sur l'importance économique du recouvrement d'actifs criminels, tout en dénonçant les lourdeurs bureaucratiques qui freinent l'efficacité de l'assistance mutuelle. Elle a aussi mentionné que son pays a pu recouvrer environ 10 millions de dollars.
Un autre défi de taille est lié à l'information du public sur le sens des procédures de recouvrement pour une adhésion nationale. Ces propos ont été renforcés par Juliet Ibekaku pour qui « la corruption entraîne des pertes en vies humaines et prive les enfants d'aller à l'école. Chaque année 10 milliards de dollars sont sortis du continent ». Certains pays n'ont pas les dispositifs légaux essentiels, a expliqué Juliet, évoquant toutes les difficultés du Nigeria à rapatrier les sommes attribuées à un ancien président, aujourd'hui décédé.
Quid des pays de destination ?
Un autre obstacle important souligné par les experts concerne le manque de coopération des pays de transfert des avoirs volés. Selon l'Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (STAR), 141 juridictions sont impliquées dans le recouvrement des avoirs au niveau international tandis 564 cas de recouvrement documentés incluant l'Afrique, sont répertoriés. Entre 2010 et 2023 la plupart des retours d'avoirs volés ont concerné des pays du Sud, a précisé Juliet Ibeaku.
« L'ampleur des flux financiers illicites quittant le continent met en cause la crédibilité de nos institutions », a interpellé Abdoulaye Coulibaly.
Simon Marsh, a alerté sur les « nouvelles destinations des actifs volés et ces pays qui ne coopèrent pas ». Il a identifié les obstacles auxquels il faut s'attaquer, car « il est facile de transférer de l'argent mais le faire revenir implique des mois voire des années de procédure. Il faut trouver des solutions collectives ». Les pays hôtes des avoirs volés ne doivent donner aucune condition au retour de ces avoirs en Afrique.
Lever les obstacles
Pour Kodjo Attisso, conseiller régional en lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et lutte contre la corruption de l'Onudc, « plusieurs initiatives ont été menées dans le cadre de la Convention de Nations unies de lutte contre la corruption. Mais les pays doivent prendre leurs responsabilités, car il n'aura pas de résultats sans engagement. Il faut aussi renforcer la prévention et ne pas uniquement se focaliser sur le recouvrement ».
Le cas de Glencore, coupable de corruption dans plusieurs pays africains, a été cité pour montrer le manque de coordination des pays dans des batailles communes. Les participants ont à ce titre, déploré la faiblesse de la coopération entre pays africains et veulent plus de volonté politique. Et dans ce cadre, il faut investir dans l'acquisition de capacités offertes par les technologies nouvelles pour le traçage des fonds, ont recommandé des panélistes.