« Nous espérons passer de millions et de milliards (de dollars) à des milliers de milliards de dollars dont l'Afrique a pleinement besoin pour son action climatique. Le succès de cette COP, qualifiée de "COP du financement", dépendra en grande partie du niveau d'ambition du nouvel objectif en matière de financement climatique. »
Les mots de Kevin Kariuki, vice-président du Groupe de la Banque africaine de développement chargé de l'Électricité, de l'Énergie, du Climat et de la Croissance verte, ont résonné, mercredi 13 novembre, comme un puissant appel à l'action adressé à la communauté internationale réunie à la 29e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 29) à Bakou, en Azerbaïdjan.
M. Kariuki s'exprimait au cours d'une session de haut niveau intitulée « Augmenter le financement de l'adaptation au climat et de la croissance verte en Afrique », organisée par la Commission de l'Union africaine, le Groupe de la Banque africaine de développement, la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique et l'Agence du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (AUDA-NEPAD), dans le cadre de la Journée de l'Afrique.
« Le changement climatique en Afrique est une question existentielle qui nécessite une action immédiate », a exhorté le président de la Banque africaine d'import-export (Afreximbank), Benedict Oramah, soulignant que l'inaction risquait d'entraîner des pertes et des dommages encore plus importants et appelant à demander des comptes : « Attendre que les incroyants paient volontairement pour les dommages qu'ils ont causés, c'est un peu comme si Néron jouait du violon pendant que Rome brûlait ».
« Nous sommes victimes d'une crise climatique dont nous ne sommes pas responsables (...) Nous refusons de demander des prêts pour des problèmes que nous n'avons pas causés », a affirmé, pour sa part, Mithika Mwenda, directeur exécutif de l'Alliance panafricaine pour la justice climatique (PACJA). « Il est essentiel que les financements climatiques soient basés sur des dons et qu'ils soient adaptés aux besoins de nos communautés en Afrique. »
La Banque africaine de développement estime que les pays africains ont besoin de 277 milliards de dollars par an jusqu'en 2030 pour faire face efficacement à la crise climatique alors qu'ils ne reçoivent pour l'instant que 30 milliards de dollars chaque année.
Bien que l'Afrique contribue pour moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle supporte une charge disproportionnée de la crise climatique en ayant, qui plus est, un accès restreint aux liquidités indispensables au financement de ses objectifs de développement et de ses ambitions climatiques. Le continent ne bénéficie ainsi que de 3 à 4 % du financement climatique mondial alors qu'il compte neuf des dix pays les plus vulnérables aux changements climatiques. L'objectif est de passer à 10 % d'ici à 2030, a soutenu M. Kariuki.
Alertant sur le fait que « l'Afrique perd en moyenne 5% de son PIB pour cause de dérèglement climatique », Claver Gatete, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, a mis en avant cinq axes de travail : « exploiter l'immense potentiel africain dans les minéraux critiques pour se diriger vers un futur résilient ; accroître la captation de carbone via des solutions naturelles, à l'image du bassin du Congo ; établir les réels besoins de financement des pays africains, estimés à 1 300 milliards de dollars par an pour atteindre les Objectifs de développement durable ; accélérer la transition vers les énergies propres pour lesquelles l'Afrique peut devenir un centre névralgique mondial ; et enfin, mener une action collective urgente pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ».
De son côté, M. Oramah a appelé à tirer parti des 700 millions de dollars engagés dans le Fonds de réponse aux pertes et dommages et à les faire respecter, mais aussi à innover dans les mécanismes commerciaux, tels que l'assurance climatique financée par les pays développés, et à utiliser des plateformes telles que la Banque africaine de l'énergie pour attirer des investissements vitaux.
Alors que la COP 29 pourrait obtenir un engagement historique de 1 300 milliards de dollars dans le cadre du « Nouvel objectif collectif quantifié » (NCQG) sur le financement climatique, Musalia Mudavadi, Premier secrétaire du Cabinet, représentant le président kényan William Ruto à la Journée de l'Afrique, a appelé les dirigeants mondiaux à ne pas oublier la promesse non tenue de 100 milliards de dollars par an, annoncée en 2009. « Il est essentiel que, cette fois-ci, les paroles se traduisent par des actions concrètes », a-t-il insisté.
Soulignant que l'Afrique n'avait reçu que 20 % des flux financiers internationaux pour l'adaptation, soit seulement 13 milliards de dollars pour les années 2021-2022, M. Mudavadi a noté avec inquiétude que ce financement, censé doubler d'ici à 2025, était en baisse. « Ce déficit compromet la réalisation des Objectifs de développement durable, sape les investissements déjà réalisés dans la résilience et menace les aspirations de l'Agenda 2063 de l'Union africaine », a-t-il regretté.
Dans un vibrant plaidoyer appelant « les politiques à donner la priorité à l'adaptation partout où elle est nécessaire », M. Mwenda a qualifié le financement de l'adaptation climatique de « question essentielle pour le développement du continent ».
Sensible elle aussi à la justice climatique, Josefa Sacko, commissaire à l'Agriculture, au Développement rural, à l'Économie bleue et l'Environnement durable de la Commission de l'Union africaine, a abondé dans ce sens. « Nous devons nous concentrer sur l'adaptation. La finance climatique se trouve aujourd'hui dans une situation d'urgence que nous devons régler. Il sera important, au sortir de cette COP, que les pays d'Afrique aient un accès renforcé au financement climatique pour l'adaptation. »
Plusieurs dirigeants ont cité les systèmes d'alerte précoce pour leur rôle essentiel d'adaptation aux chocs climatiques récurrents en Afrique, qui provoquent non seulement des destructions immédiates mais exacerbent aussi la pauvreté et les vulnérabilités à long terme des populations. Comme le reconnaît la Conférence ministérielle africaine sur la météorologie (AMCOMET), ces technologies permettent de passer de la gestion de crise à la prévention des risques autant dans les zones agricoles que dans les zones urbaines.
Dans son exposé, Anthony Nyong, directeur du Département du changement climatique et de la croissance verte à la Banque africaine de développement, a rappelé que pour relever le défi du climat en Afrique, la Banque avait porté la part de ses financements climatiques de 9 % en 2016 à 45 % en 2023 de ses investissements totaux.
« L'investissement en Afrique est souvent considéré comme à "haut risque", mais il s'agit en grande partie d'une "perception de risque". Le Groupe de la Banque s'efforce de rassurer les investisseurs en mettant en place des garanties et des initiatives à l'image de l'Alliance africaine sur le changement climatique », a-t-il ajouté.