À l’occasion de la 4éme édition du Harm Reduction Exchange qui s’est tenu le 27 novembre 2024 à Nairobi au Kenya, Monsieur Issa Wone, Professeur de santé publique à l'Université Hassan Seck de Ziguinchor et Président de l'Alliance Sénégalaise contre les Maladies Non Transmissibles nous a accordé une interview dans laquelle il apporte des éclaircissements sur les différentes approches basées sur la réduction des risques et l’impact qu’elles ont sur les consommateurs.
Quel est votre définition de la réduction des risques ?
La réduction des risques est une approche qui se différencie de l'approche classique par le fait qu'elle met l'accent sur un changement progressif incrémental des facteurs de risque. Ce qu'on appelle facteur de risque, ce sont les caractéristiques individuelles ou collectives qui conduisent vers la maladie, par exemple, le fait de fumer, de boire ou d'avoir des comportements sexuels à risque.
En ce qui concerne l'approche classique, elle est basée sur la punition, sur la coercition, sur l'emprisonnement, etc., alors que l’approche basée sur la réduction des risques promeut un changement d'approche.
S'agissant du tabac, dont nous avons beaucoup parlé, l’interdire c'est bien, mais on se rend compte qu’on n'arrive pas à réduire le nombre de fumeurs rien que par l'interdiction. Par contre, si on donne des substituts à la nicotine (un produit addictif mais pas toxique mais, fait que les personnes restent utilisateurs de tabac), on peut arriver à réduire la prévalence du tabagisme et ce sont des exemples qui ont été scientifiquement prouvé dans les pays nordiques anciens en particulier.
Actuellement, on constate chez les jeunes une addiction aux substituts tels que l’e-cigarette, est ce que cela ne causerait pas une autre source d’addiction ?
Il faut noter que l’e-cigarette, n'est pas l'idéal. Il y a quand même des goudrons qui passent en plus de la nicotine. L’autre problème de l'e-cigarette, c'est qu’il n'est pas contrôlé, on ne sait pas qui fabrique, on ne sait pas qui distribue donc il ne règle pas les problèmes.
Par contre, à côté du tabac et de l’e-cigarette, il y a aussi ce qu'ils appellent les tabacs chauffés qui ne brûlent pas mais dégagent seulement la nicotine et très peu de goudron. Si l'on en croit les résultats de la recherche, ce tabac chauffé serait beaucoup moins dangereux que le tabac classique.
Donc, c'est vers ce tabac chauffé là que les tenants de la réduction des risques s'engagent parce qu’aussi vous savez il y a un milliard 500 million de fumeurs dans le monde, interdire ou arrêter brutalement la production de tabac risque d'avoir des effets catastrophiques.
En effet, ça risque d'entraîner le développement de fabrique de tabac clandestin sans aucune sécurité, et cela va être encore plus dangereux d’où l'importance particulièrement pour la lutte contre le tabagisme et de l'approche basée sur la réduction des risques.
Au Sénégal, est ce qu’il existe un programme de réduction des risques ?
Sur le tabagisme, je ne crois pas, en tout cas si ça existe aussi, ce n’est pas des programmes développés. Par contre, on a l'expérience de la réduction des risques dans le domaine sexuel. On en a parlé ici l'autre jour, avec l’abstinence, le comportement et l’usage des condoms.
C'est une approche basée sur les principes de réduction des risques, parce que cette approche-là conseille, aide et accompagne les personnes qui le désirent pour pratiquer l'abstinence, ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas pratiquer l'abstinence, on les accompagne à gérer la fidélité dans leur partenariat et ceux qui ne peuvent pas à ce niveau, on les accompagne à utiliser les préservatifs.
Un principe important de Harm Reduction consiste à utiliser la non coercition, c’est-à-dire, ne pas obliger les personnes à faire ce qu'elles ne veulent pas, parce qu’il faut noter que même si elle change de comportement, ce changement ne va pas être pérenne, il faut qu’il soit volontaire d’où cette approche douce, progressive incrémentale qui vise à installer des comportements sains dans la durée.
En tant que chercheur, quelles sont les alternatives que vous proposez pour la réduction des risques ?
Ça dépend en fait du sujet, pour le tabac on propose le tabac chauffé. Maintenant pour d'autres questions comme l'alcool, on sait qu'il y a aussi des alcools non alcoolisés, pour l'addiction ou bien pour le risque sexuel, il y a eu beaucoup d'avancées avec l'érection de la pandémie du VIH. Il y a eu beaucoup d'actions de sensibilisation, de prévention, de distribution de condoms, etc. qui sont des approches basées sur la réduction des risques.
Ces approches-là ont montré des résultats, en plus évidemment d'autres actions de couverture sanitaire et ce sont des actions qui ont prouvé leur efficacité. L'épidémie du SIDA a tendance à se stabiliser, voire à reculer dans certains pays.
Que pensez-vous des approches traditionnelles ?
Il ne faut pas aussi aller vers les extrêmes, il faut certainement que les lois restent assez coercitives. Il ne faut pas quand même qu'on ouvre tout et qu'on permette tout parce que ce n’est pas ça l'approche de la réduction des risques. Il y aura toujours dans toutes sociétés des lois, des règlements que tout individu est censé respecter.
Entre deux solutions, il faut choisir celle qui est la meilleure à moindre coût, et c'est-à-dire qu’il faut faire des études coût-efficacité pour voir entre les approches coercitives et les approches basées sur la réduction des risques comment trouver la balance, quel est le meilleur compromis entre ces deux approches pour arriver à aller vers des actions et des interventions vraiment efficaces.
Parce qu'il faut le dire, en ce qui concerne le tabac, nos pays sont de plus en plus soumis au fardeau des maladies non transmissibles, il faut que ça s'arrête.