Samedi 28 et dimanche 29 décembre, les Tchadiens votent pour élire leurs députés, leurs maires et leurs représentants locaux. Trois élections en même temps qui doivent clore un chapitre, celui de la transition entamée en 2021 avec la mort de l'ancien président Idris Déby Itno.
Nomades et militaires sont appelés à se rendre aux urnes samedi 28 décembre. Le lendemain, ce sera au tour du reste de la population tchadienne de voter pour élire simultanément leurs députés, leurs maires et leurs représentants locaux.
Après le référendum constitutionnel de décembre 2023 et l'élection présidentielle de mai dernier, ces élections législatives, provinciales et communales sont le dernier épisode d'une transition qui aura duré plus de trois ans. La mort au combat d'Idris Déby Itno en 2021 a mis fin à un règne de plus de trois décennies sur le Tchad. Grâce au soutien de puissants officiers du pays, son fils Mahamat Idriss Déby Itno a pris la relève, s'est installé au pouvoir et s'est chargé d'organiser la transition : il a commencé par un référendum pour modifier la constitution, puis a remporté en un tour l'élection présidentielle.
Majorité au Parlement
Ces élections sont donc l'ultime étape et doivent permettre au président de la République, désormais Maréchal du Tchad, d'obtenir une majorité au Parlement, ainsi que dans les différents organes locaux qui régissent le pays.
« Nous nous battons corps et âme pour obtenir la majorité. Nous ne pouvons pas avoir élu le Maréchal Mahamat Idris Déby Itno avec 61% des voix et ne pas lui donner les instruments lui permettant de traduire dans les faits son programme », déclare Issa Doubragne, porte-parole du Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS) et de la coordination nationale de campagne pour ces élections. Ce parti au pouvoir depuis Idriss Déby Itno est désormais rangé derrière son fils.
« Les résultats sont connus et il n'y a absolument rien de nouveau qui va en découler » selon Avocksouma Djona Atchénémou, président du parti Les Démocrates et membre du Groupe de Concertation des Acteurs Politiques (GCAP), pour qui l'issue de ces élections ne fait aucun doute.
« L'actuel Premier ministre et chef du gouvernement a pris la tête de la campagne du MPS, tous les ministres, gouverneurs, préfets et chefs traditionnels sont en campagne aussi. Ils ont été instrumentalisés pour les élections. C'est une campagne agressive pour dissuader et corrompre, abonde-t-il. L'organe de gestion des élections, l'Ange, est constitué à 90% de personnes appartenant au MPS, et ce sont eux qui vont donner les résultats. Sans PV ni observateurs internationaux, ce sont des élections intramuros organisées par le parti au pouvoir qui veut s'attribuer la grande majorité », ajoute l'opposant, de retour d'une tournée de sensibilisation dans différentes régions du pays. Avec la coalition Gcap, ils ont fait le choix d'une campagne de « boycott actif » sur le terrain pour convaincre les Tchadiens ne pas aller voter.
Scrutin boycotté par l'opposition
Pour les Transformateurs, « le scrutin est truqué ». Le principal parti d'opposition et son président, Succès Masra, boycottent également ces élections. « Le résultat est déjà dans les ordinateurs, déclare-t-il, les jeux sont faits, nous refusons de faire de la figuration et nous appelons les Tchadiens à ne pas aller voter. » Le principal rival du Maréchal Mahamat Idris Déby dénonce un « système plus fort que tous les gardes fous » qu'il a tenté d'établir lorsqu'il était ponctuel Premier ministre, avant la présidentielle de mai 2024. Succès Masra persiste et signe : « Les Tchadiens m'ont élu président, mais Mahamat Idris Déby a gagné parce que lui et ses soutiens sont plus armés que moi. »
Mahamat Nour Ibedou, défenseur des droits de l'homme, estime que ce boycott n'est pas nouveau. « Depuis plus de 30 ans, le Tchad n'a jamais connu de campagnes électorales transparentes, déplore-t-il. Le dispositif de fraude est mis en place depuis longtemps. Pour avoir un corps crédible, l'opposition aurait-dû faire bloc et se mobiliser contre l'institution de l'Ange qui régule ces élections. »
Malgré les efforts des différents partis pour faire vivre ces 21 jours de campagne, ils se sont tous heurtés à un déficit de couverture médiatique. Dès le premier jour, le 7 décembre dernier, les médias en ligne ont entamé une grève pour dénoncer l'interdiction imposée par la Haute autorité des médias audiovisuels (Hama) de diffuser des contenus audiovisuels. Elle aura duré jusqu'au 24 décembre. Mais dès le lendemain, c'était au tour des médias privés du pays d'entrer en grève.
« Nous réclamons à la Hama le versement de deux subventions, l'une annuelle, l'autre qui doit servir d'enveloppe d'aide pour nous permettre de couvrir la campagne », détaille Juda Allahoundoum, président du Patronat de la presse privée et directeur du groupe médiatique privé Le Visionnaire. « Nous sommes un pilier de la démocratie, nous tenons à faire notre travail et l'État doit nous y aider. Ce n'est pas de la mendicité, c'est un droit », ajoute Samory Ngaradoumbé, directeur du journal L'Observateur et président de l'Association des éditeurs de la presse privée du Tchad.
« Nous n'avons pas reçu l'argent, répond la Hama par la voix d'Ali Mahamat Mboudou, chef de son département des affaires juridiques. On ne peut pas distribuer quelque chose que nous n'avons pas reçu. » En dehors des télévisions, tous les médias privés menacent de ne pas couvrir les deux jours d'élections.
« Un pouvoir intégral »
Côté MPS, leur réussite tient à leur présence sur le terrain. « Nous avons parcouru un pays immense. Ça n'a pas été facile, mais la campagne s'est très bien déroulée. Nos candidats et candidates ont eu l'occasion d'expliquer leur programme en allant au fin fond des contrées », se félicite Issa Doubragne.
« S'ils arrivent à aussi bien se déployer, c'est parce qu'ils utilisent les moyens de l'État pour faire campagne, dénonce Clément Sianka porte-parole du parti de l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké, Rassemblement National des Démocrates Tchadiens (RNDT) - Le Réveil, désormais dans l'opposition. Nous n'avons pas les mêmes moyens que le MPS pour nous rendre sur le terrain dans les zones les plus reculées. Contrairement à eux, nous ne comptons que sur la participation et la cotisation de nos membres. »
En parallèle de cet épisode électoral majeur pour le Tchad, et en pleine campagne, le président de la République tchadienne a été élevé à la dignité de Maréchal, faisant de lui le deuxième maréchal du pays après son défunt père. « C'est le symbole d'un pouvoir de plus en plus personnalisé », explique Remadji Honaithy, chercheur à l'Institut d'études et de sécurité (ISS). « Il a aujourd'hui un pouvoir intégral », ajoute le sociologue tchadien Ladiba Gondeu.
La publication des résultats des élections législatives, provinciales et communales est prévue pour la mi-janvier.