Après le Japon en 2021, la France organise la 3e édition du sommet Nutrition for Growth à Paris, jeudi 27 et vendredi 28 mars. Destinée à donner un nouvel élan à la lutte contre la malnutrition qui touche plus de 700 millions de personnes dans le monde, la réunion a d'ores et déjà permis de mobiliser 27 milliards de dollars de promesses de contributions pour tenter d'enrayer ce fléau.
« Un combat pour la paix et pour notre planète » : face à un parterre de dirigeants et de dignitaires comme le roi du Lesotho mais aussi de nombreux représentants d'organisations internationales et de fondations réunis pour le sommet Nutrition for Growth - Nutrition pour la croissance, en français - qui se tient ce jeudi 27 et ce vendredi 28 mars à Paris, c'est ainsi qu'Emmanuel Macron a présenté l'impératif de lutte contre la malnutrition.
« La santé de l'humanité dépend de ce que nous mangeons, de la qualité de nos sols, de nos plantes, de nos animaux », a aussi expliqué le président français, qui a annoncé à cette occasion une contribution de 27 milliards de dollars pour donner un nouvel élan à ce combat - un engagement égalant celui pris à Tokyo il y a quatre ans -, exhortant au passage le secteur privé à s'y impliquer davantage.
Pour parvenir à une telle somme, plusieurs bailleurs de fonds ont répondu présent : la Banque africaine de développement (BAD), avec une promesse de 9,3 milliards de dollars d'abondement, la Banque mondiale, avec 5 milliards, et l'Union européenne, avec 3,4 milliards, notamment. Quatre fondations philanthropiques, dont la Fondation Gates et la Fondation Eleanor Crook, ont de leur côté annoncé un apport de 250 millions de dollars, notamment en vue d'améliorer la nutrition des femmes enceintes.
La malnutrition, un fléau au féminin Alors que les femmes produisent près de 80 % des ressources alimentaires disponibles, une sur trois souffre d'anémie dans le monde, affirme l'Unicef qui voit dans ce chiffre la démonstration que ces dernières n'ont pas accès à une alimentation de bonne qualité.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène : la pauvreté d'une part, mais aussi l'environnement et les normes sociales. « A cause d'elles, les femmes sont discriminées car tantôt, elles ne doivent pas manger tel aliment, tantôt elles ne doivent pas aller acheter de la viande quand elles ont leurs règles. Mais tout cela, ce ne sont que des constructions sociales, explique Edward Ssebbombo, directeur des programmes de l'ONG basée en Ouganda Mama (Mères contre la malnutrition et la faim). C'est pourquoi nous essayons de former les chefs coutumiers et les leaders religieux afin qu'ils comprennent que discriminer les femmes, c'est condamner la communauté toute entière. »
En cause également : le manque de sensibilisation des femmes aux questions de nutrition qui peut se répercuter sur leur santé, en particulier si elles sont enceintes. « Si elle souffre d'anémie, une femme enceinte peut mourir ou donner naissance à un bébé atteint de déficiences cognitives ou de malformations. Cet enfant ne pourra alors pas grandir et vivre normalement : il va hériter de la pauvreté de ses parents. C'est ce que nous appelons la pauvreté intergénérationnelle », décrypte pour sa part Ladidi Bako Ayebgu-Simenai, directrice du département chargé de la nutrition au ministère fédéral de la Santé du Nigeria.
Et les spécialistes de souligner enfin que la malnutrition amplifie aussi les inégalités entre les sexes en réduisant le potentiel d'apprentissage et les opportunités des jeunes.
Quant à l'Afrique, elle n'est pas en reste. La Côte d'Ivoire a par exemple promis d'allouer 15 % de son budget à la nutrition, soit 240 milliards de francs CFA. « Il s'agit d'une cause importante car, chez les femmes en particulier, l'anémie reste très répandue : sa prévalence y est de l'ordre de 61 %. Et 10 % des enfants ont un retard de croissance... Ce sont des éléments qui nous interpellent », a ainsi confié le ministre ivoirien de la Santé, Pierre N'Gou Dimba.
La chaîne alimentaire complètement déstabilisée par la guerre en Ukraine
Si ces annonces redonnent, certes, de l'élan à un combat souvent relégué au second plan des politiques de développement qui souffrent en outre de la récente suspension de l'aide américaine, le défi n'en reste pas moins immense. En cause notamment : le contexte international actuel toujours extrêmement tendu. « Depuis le sommet de Tokyo, une guerre de haute intensité s'est déclenchée en Europe [...] [et elle] a des conséquences mondiales », décrypte ainsi Brieuc Pont, envoyé spécial du ministère français des Affaires étrangères pour la nutrition et secrétaire général du sommet de Paris, en faisant référence à la guerre en Ukraine. « Kiev étant un important exportateur de blé et d'intrants, le conflit a complètement déstabilisé la chaîne alimentaire et débouché sur une crise alimentaire qui a induit une crise financière à travers l'inflation. Résultat aujourd'hui : il y a moins d'argent », reprend celui-ci.
Dans ce contexte, comment, alors, optimiser l'utilisation de ces fonds ? Et comment accroître la résistance aux chocs des pays les plus dépendants de l'extérieur pour nourrir leurs populations ?
Au Kenya par exemple, le gouvernement mise sur un renforcement de son système de collecte de données pour cibler ses actions. « Une fois qu'on a recueilli des données sur les habitudes alimentaires des gens et sur la façon dont les produits qu'ils consomment ont été cultivés, on peut intervenir dès la production en vérifiant les engrais ou en ajustant les nutriments », plaide ainsi le docteur Dominic Menjo, conseiller à la sécurité alimentaire du président William Ruto.
Moins dépendre des importations
Beaucoup de pays travaillent en outre à la transformation de leurs systèmes agricoles pour gagner en autonomie et moins dépendre des importations, tâche dont l'impulsion est parfois donnée par la base avec des organisations comme l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). « Quand on a commencé, toutes les semences étaient fournies par de grandes entreprises privées, ce qui faisait débat. Nous avons donc fait en sorte de pouvoir s'en procurer localement et nous avons créé une plateforme permettant aux petits exploitants de produire des semences pour les mettre à disposition des petits agriculteurs », explique ainsi Alice Ruhweza, sa présidente.
« À l'avenir, il sera aussi très important que les institutions comme les banques publiques de développement favorisent un modèle dans lequel leurs fonds ne servent pas seulement à financer un projet, mais qu'ils jouent aussi un rôle de catalyseur et conduisent à mobiliser le secteur privé. Pour nous, cela signifie, par exemple, développer des garanties de crédit partielles ou créer des plateformes à travers lesquelles le secteur privé ne prend pas le premier risque », complète Alvaro Lario, le président du Fonds international de développement agricole (Fida) qui souligne le besoin de régulation et d'écosystèmes favorables pour faciliter les investissements des petites entreprises.
Enfin, certaines voix ont quant à elles mis en garde contre les effets du changement climatique sur l'agriculture et appelé à investir dans des semences plus résilientes, comme l'a fait le roi du Lesotho.