A l'abri de la clameur de Tunis, à Gammarth, la soufflerie Sadika promet à ses visiteurs un instant de sérénité. En traversant sa cour intérieure, le promeneur s'offre une dernière respiration avant de s'envoler vers une constellation d'étoiles, car, ici, la boutique brille de mille feux. Le soleil tunisien y fait étinceler verres, lustres, vases avec une myriade d'autres créations.
Faites à la main par des souffleurs de la région du Cap Bon, ces pièces artisanales se cueillent, une à une, avec une extrême délicatesse dans un four en fusion. Elles font le bonheur de celles et ceux qui souhaitent apporter tradition et éclat à leur intérieur. Des maisons tunisoises au Vatican, en passant par le Rockefeller Center à New York, Sadika est une référence mondiale du design et de la pâte de verre.
En Tunisie, cette soufflerie est une institution. C'est surtout l'emblème d'un art de grand raffinement que l'on se passe génération après génération. Elle est le fruit de la témérité d'une femme, Sadika Keskes, qui, depuis 1984, sublime l'un des arts du feu : le verre soufflé.
En trois décennies, contre vents et marées, cette artiste a bâti un univers de grâce où se côtoient arts et culture. Dans ce métier d'hommes, et à force de persévérance, Sadika s'est fait une place en apprenant, au début des années 80 à souffler le verre sur l'île de Murano, près de Venise en Italie. Dans sa lignée, elle entraîne ses deux filles, Fatma et Zeineb. Cette dernière gère aujourd'hui l'entreprise familiale avec 30 employés : " J'y ai grandi, j'y ai baigné. C'est mon ADN ", lance-t-elle fièrement.
Si le tableau semble idyllique, quelques menaces ont néanmoins plané sur les épaules de la jeune femme, architecte de formation. La révolution du jasmin en 2011 et les crises successives les ont accentués. Mais pour Zeineb " voir l'entreprise disparaître relève de l'inimaginable ". Avec les siens, elle alors choisi de se battre pour la sauver avec l'aide de la Banque tunisienne de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME).
Pour le directeur général de cette banque de développement pas comme les autres, Lebid Zâafrane, " l'objectif n'est pas la rentabilité à tout prix, c'est de trouver l'équilibre. Et la priorité c'est surtout d'aider les entreprises à créer de la valeur et des emplois ". Cette subtilité est l'essence même d'une institution comme la Banque africaine de développement qui aide à porter la contribution du secteur privé tunisien au développement du pays tout entier. Via le Fonds d'assistance au secteur privé africain (FAPA), la Banque a ainsi mobilisé près de 1 million de dollars américains afin de financer une assistance technique pour renforcer l'engagement de la BFPME envers les entreprises en difficulté. À son tour, la banque tunisienne a accompagné, sur l'ensemble du pays, une cinquantaine d'entreprises dans des secteurs aussi variés que l'industrie, l'éducation, le textile et, bien sûr, l'artisanat.
Dans le cas de Sadika, la BFPME a aidé à insuffler un nouvel élan. Le processus s'est alors fait en trois étapes raconte Asma Bouzaouache, la responsable du projet d'assistance technique à la BFPME : " Des diagnostics stratégique et financier ont été conduits débouchant sur un plan de restructuration, que nous avons décliné en objectifs opérationnels ", explique Asma. La BFPME a également aidé l'entreprise à breveter un procédé de fabrication à l'international afin de mieux se positionner sur de nouveaux marchés porteurs.
Quelques mois après l'application de ces consignes, les effets se ressentent. Les fours ont ravivé leurs flammes et les premiers échantillons d'une nouvelle collection ont été expédiés un peu partout en Europe et aux Etats-Unis d'Amérique. Venue d'Oslo, une première commande ferme transcende Zeineb d'optimisme. " Sans ces conseils, c'est sûr que nous n'aurions pas pu tenir pendant la pandémie. C'était primordial. Autrement nous aurions dû licencier. "
En Tunisie, l'emploi est un enjeu crucial. Comme partout ailleurs en Afrique du Nord, les jeunes diplômés sont confrontés au chômage. Donner l'envie d'entreprendre est donc le leitmotiv que partagent les deux banques de développement. Pour Lebid Zâafrane, l'entrepreneuriat est une " philosophie, une culture " qui doit doucement infuser l'esprit de chaque tunisien. " La Banque africaine de développement nous a beaucoup aidés. Elle nous a apporté beaucoup de satisfaction. Nous partageons le même ADN, celui d'accompagner les PME dans leur croissance ", affirme avec vigueur le directeur général de la BFPME.
" Aux générations suivantes, je veux absolument transmettre. C'est ma plus grande mission, promet Zeineb. Avant, cette responsabilité familiale m'angoissait. Je ne voyais pas comment nous aurions pu nous en sortir. Mais maintenant, il y a de nouvelles opportunités. À vrai dire, nous n'avons aucune autre option que celle de réussir, toutes ensemble. "
Tout porte à croire que les paroles de Zeineb seront prophétiques et que la petite dernière de la famille, Aïcha, six ans et demi, déjà pétrie de talent, assurera la relève d'une entreprise unique dans son genre.
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