Après deux semaines de manifestations contre la vie chère, émaillées de violences ayant entraîné la mort d'au moins trois personnes dont un policier, l'opposition kényane observe depuis le 3 avril dernier, une trêve. Ce, dit-elle, pour laisser une chance au « dialogue », suite à l'appel au calme lancé par le chef de l'Etat, William Ruto, qui a promis d'ouvrir un cadre de concertations avec l'opposition à travers la mise sur pied d'une commission parlementaire bipartite chargée de trouver un modus vivendi aux questions qui fâchent.
Notamment, les questions sociales liées au pouvoir d'achat des populations, qui a été négativement impacté par l'inflation des prix des produits sur fond de dépréciation de la monnaie nationale et de la sécheresse qui sévit dans le pays. Mais aussi les questions politiques comme la composition de la commission électorale, qui continue de cristalliser les attentions. Car, en plus de porter les revendications sociales de ses compatriotes, Raila Odinga est toujours dans la contestation de sa défaite à la présidentielle d'août dernier, malgré le rejet de son recours par la Cour suprême, confirmant la victoire de son rival.
La vie d'opposant est connue pour ne pas être une sinécure sous nos tropiques
Ce faisant, l'opposant ne rate aucune occasion de répéter à qui veut l'entendre, que la victoire lui a été volée. C'est dans ce contexte que tirant prétexte de la crise sociale en lien avec l'inflation qui a rendu le quotidien des Kényans plus que difficile, Raïla Odinga qui a déjà essuyé cinq échecs en autant de candidatures à la magistrature suprême de son pays, ameutait la rue depuis deux semaines avec ses partisans. Le but étant de pousser le gouvernement à des négociations. Ce qu'il a fini par obtenir à travers cette main tendue du chef de l'Etat qui, soucieux de la préservation de la paix sociale, s'est montré ouvert au dialogue.
Cette attitude du chef de l'Etat est d'autant plus salutaire qu'elle est de nature à amener l'accalmie dans la rue au Kenya. Mais pour combien de temps ? La question est d'autant fondée que Raila Odinga menace de reconduire ses mouvements de protestation si le dialogue à venir « ne porte pas ses fruits ».
Si l'on peut comprendre le combat de l'opposition qui n'attend rien de moins du pouvoir, qu'il revienne « au minimum » sur certaines mesures de suppression d'aides et de subventions au profit des populations, la propension de son leader à ramener inlassablement la question du contentieux électoral, ne manque pas d'interroger.
C'est même à se demander si cette crise sociale n'est pas une opportunité toute trouvée pour Raïla Odinga, pour tailler des croupières au pouvoir à l'effet de se faire une place au soleil ou d'avoir droit au chapitre dans la gestion de la chose publique. La question se justifie d'autant plus que la vie d'opposant est connue pour ne pas être une sinécure sous nos tropiques. Mais attention à ne pas faire un bébé dans le dos du peuple kényan !
En poussant le président Ruto au dialogue, Raïala Odinga voudrait s'inscrire en voix qui compte dans la vie de la Nation
Autrement dit, si le dialogue à venir a pour leitmotiv la recherche de solutions aux problèmes existentiels des Kényans, sa pertinence ne fait pas l'objet de doute. Mais s'il doit déboucher sur une simple entente de cogestion du pouvoir par l'opposition et la majorité, rien ne garantit que les préoccupations sociales de l'heure des Kényans qui luttent pour se nourrir au quotidien, pourront trouver solution dans une quelconque forme de cohabitation politique.
En tous les cas, si les discussions devaient aboutir à la formation d'un gouvernement d'union nationale, on peut douter qu'au-delà de l'accalmie sur le front politique, cela soit la panacée qui permette au pays de sortir de la crise. Car, les politiciens y trouveront peut-être leur compte. Mais pas les populations. C'est pourquoi, malgré la tentation, l'opposition devrait éviter de tomber dans un piège qui la rendrait aussi comptable des actes du gouvernement qu'elle serait dorénavant mal fondée à critiquer. Surtout si elle n'a pas de solutions à la crise que vivent les Kényans.
En tout état de cause, en poussant le président Ruto au dialogue, Raïala Odinga voudrait s'inscrire en voix qui compte voire en personnalité incontournable dans la vie de la Nation, qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Reste maintenant à savoir si cela s'inscrit dans le seul but de défendre les intérêts supérieurs du peuple kényan, ou si c'est pour assouvir des ambitions personnelles à l'effet de se remettre au centre du jeu politique par des moyens détournés.
L'histoire sans doute le dira. Mais en attendant, l'on est curieux de connaître ses exigences dans le cadre du dialogue politique à venir. Que va-t-il alors demander ? Se contentera-t-il de la recherche de solutions à la crise sociale en cours dans le but de soulager les souffrances de ses compatriotes ? Ou bien ira-t-il beaucoup plus loin en s'arcboutant sur ses revendications politiques ? C'est le wait and see.