Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), constitué des principaux corps de l'armée, a annoncé mercredi, dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein de la présidence, que « les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés. Les frontières sont fermées jusqu'à nouvel ordre. Toutes les institutions de la République sont dissoutes, notamment le gouvernement, le Sénat, l'Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle, le Conseil économique, social et environnemental, le Centre gabonais des élections » et la « fin du régime Bongo ».
Leurs principaux griefs à l'encontre du régime déchu sont : « une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos ». S'agissant des élections du samedi 26 août dernier, ils estiment que l'organisation des élections n'a « pas rempli les conditions d'un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais ». L'annonce de ce coup de force est intervenue peu après la publication des résultats officiels de l'élection présidentielle de samedi, qui a vu le président sortant Ali Bongo Odimba, au pouvoir depuis 14 ans, décrocher un troisième mandat avec 64,27% des suffrages.
Selon ces résultats proclamés par le président du Centre gabonais des élections (CGE), Michel Stéphane Bonda, à l'antenne de la télévision d'Etat Gabon 1re, le principal rival de M. Bongo, Albert Ondo Ossa, n'a recueilli que 30,77% des voix. Celui-ci avait dénoncé des « fraudes orchestrées par le camp Bongo », deux heures avant la clôture du scrutin, samedi, et revendiquait alors déjà la victoire. Son camp a exhorté lundi M. Bongo à « organiser, sans effusion de sang, la passation du pouvoir » sur la base d'un comptage effectué, selon lui par ses propres scrutateurs. Pendant que les deux grands protagonistes de cette élection présidentielle revendiquaient, chacun de son côté, la victoire et préparaient la gestion du pouvoir, les militaires leur ont littéralement « coupé l'herbe sous les pieds » ; transformant leurs rêves caressés en véritable cauchemar.
Avec ce coup d'Etat, une page est en train de se tourner au Gabon après un règne sans discontinuer de plus d'une demi-centaine d'années de la famille Bongo sur ce pays qui était devenu une pièce maîtresse du « pré carré français » en Afrique centrale. Ali Bongo n'aura donc pas survécu à sa réélection. Il est arrivé au pouvoir en 2009, à la mort de son père après 40 ans de règne. Une rupture est en train de s'opérer dans ce pays avec ce coup d'Etat qui apparaît comme le moindre mal pour le moment. L'idéal aurait été l'arrivée au pouvoir d'autres hommes politiques en dehors de la famille Bongo. Pour dire vrai, ce coup de force a court-circuité une possibilité d'une alternance démocratique en douceur. Mais la réalité est que ce sont des militaires qui se sont emparés du pouvoir. Et déjà, des Gabonais sont sortis dans la rue pour adouber ceux qu'ils qualifient de « libérateurs ».
Des scènes de liesses sont au rendez-vous à Libreville et à Port-Gentil, la capitale économique, entre autres. Pendant ce temps, Ali Bongo Ondimba est « en résidence surveillée » entouré de sa famille et de ses médecins. L'un de ses fils a été arrêté, notamment pour « haute trahison », ont annoncé les militaires auteurs du coup d'Etat. Face au sentiment antipolitique française grandissant au Sahel en particulier, avec le départ des militaires du Mali et du Burkina, la France avait lancé une réorganisation de sa présence sur le continent, l'objectif étant de réduire sensiblement le nombre de ses forces militaires pré positionnées. Au Gabon, environ 400 soldats sont encore déployés en permanence, dont certains dans la capitale Libreville, selon le ministère des Armées. Du côté de la France, le président Emmanuel Macron a évoqué l' « épidémie » de coups d'Etat dans la région francophone d'Afrique, défendant sa politique de fermeté à l'égard des militaires au Niger. La cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, avait, elle, estimé début août qu'il s'agissait du « coup d'Etat de trop ».
Pour ce énième coup d'Etat dans un pays d'Afrique francophone, la France dit suivre la situation du Gabon « avec la plus grande attention ». Ce coup d'Etat au Gabon vient mettre un coup d'arrêt à la « dynastie Bongo » qui avait fait du pays et de sa population des propriétés privées qu'elle gérait à sa guise et selon son bon vouloir. Pendant qu'on se préoccupait plus de la situation des pays du Sahel, voilà que la surprise est venue de l'Afrique centrale et qui plus est, d'un pays francophone où l'ordre établi semblait convenir à tout le monde. C'est peut-être le réveil qui a sonné pour les pays francophones où les discours antipolitique française se sont répandus au-delà des élites urbaines éduquées et le phénomène pourrait « s'enraciner durablement » comme l'a estimé, il y a quelques semaines, Alain Antil qui dirige le Centre Afrique subsaharienne à l'Institut français des relations internationales (IFRI) dans un entretien à l'AFP. Il avait même conclu cet entretien en ces termes : « les opinions publiques africaines sont extraordinairement sensibles au fait de les traiter d'égal à égal et non pas d'avoir quelqu'un qui donne des leçons ou qui ironise ».
Le chef de la junte qui vient de prendre le pouvoir au Gabon, le général Brice Clotaire Oligui Nguema a servi sous Bongo père et fils et déjà, sur les réseaux sociaux, des photos de lui en compagnie du président français Emmanuel Macron circulent. Bon nombre de personnes le taxent d'avoir des accointances trop prononcées et affichées avec la France que certains soupçonnent d'être à la manoeuvre pour empêcher que quelqu'un d'autre, en dehors de la famille Bongo, n'arrive au pouvoir et lui permettre de garder son influence sur les dirigeants de ce pays. L'avenir nous en dira certainement plus, mais à ce rythme, l'influence de la France dans ses anciennes colonies se réduit comme une peau de chagrin et cela pourrait, à terme, sonner son glas. Une autre génération d'Africains francophones semble vouloir désormais prendre son destin en main et définir les contours de sa coopération avec les anciens « donneurs d'ordre ».