Tunisie: Election présidentielle - Un boulevard pour Kaïs Saïed, Zorro ou zéro réformateur ?

Farouk Bouasker, le Président de L'ISIE inspectant les différents bulletins de vote pour les élections présidentielles 2024

Prévue pour le 6 octobre prochain, l'élection présidentielle en Tunisie connaît un début de campagne difficile. Les 3 candidats sur les 17 prétendants au départ sont restés inaudibles avec un agenda totalement vierge durant le week-end, la rue leur ayant volé la vedette à Tunis.

En effet, plusieurs milliers de mécontents y manifestaient leur colère samedi dernier, jour de l'ouverture officielle de la campagne. A l'appel de plusieurs organisations de la société civile, les croquants entendaient dénoncer "la dérive autoritaire" de Kaïs Saïed, accusé de "museler l'opposition", d'instrumentaliser l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE)" dans un processus électoral non transparent pour une réélection sur mesure.

Ces accusations contre le président-candidat donnent un aperçu du climat sociopolitique tendu dans lequel évolue le pays depuis 2019, date de la première élection de Kaïs Saëd. Avant la manifestation du 13 septembre, International crisis group et Human Rights Watch avaient formulé les mêmes critiques de recul des droits et libertés démocratiques en Tunisie et appelé à des élections transparentes. Peine perdue, car l'ISIE n'a retenu que 3 candidats, quand la justice en qualifiait 4, pour disputer le scrutin présidentiel.

En effet, pour l'instance d'organisation des élections, seuls le président sortant, Kaïs Saëd, un riche homme d'affaires, Ayachi Zammel, et le président d'un petit parti panarabe de Gauche sont qualifiés pour prendre part à cette élection présidentielle. Elle est allée jusqu'à refuser de donner droit à un quatrième candidat, Abdel Mekki, réputé proche du parti islamiste Ennhadha, qui a gagné en appel le procès contre l'invalidation de sa candidature. Au même moment, le candidat Ayachi Zammel a été arrêté pour "des allégations de falsification de signatures" afin de valider le quota de ses parrainages.

Dans ce jeu de ping pong entre l'ISIE et la justice, Kaïs Saëd se retrouve en héros, Zorro ou politiquement zéro et solitaire sur un boulevard pour sa réélection. Ses adversaires les plus sérieux ont été arrêtés, certains depuis plus d'un mois, ou ont été disqualifiés de cette présidentielle pour nombre insuffisant de parrainages, manque de garantie financière, non-respect des critères de nationalité, et tutti quanti.

Pour ceux des Tunisiens déçus du multipartisme, de la pauvreté de l'offre politique et de l'animosité dans les rivalités partisanes, Kaïs Saïed est un héros réformateur. Pour d'autres, férus de laïcité, c'est un Zorro qui doit continuer de nettoyer les écuries islamistes et assimilées. Kaïs Saïed passe enfin pour être politiquement un zéro, dictateur non éclairé qu'il est, dilapidateur des acquis de la révolution du jasmin qui a renversé Ben Ali en 2011. Il faut donc remettre le couvert de la contestation populaire pour lui faire rendre gorge pour ses insuccès.

De fait, lors de sa campagne en 2019, Saïed avait séduit les électeurs par des promesses de lutte contre la corruption, attirant les jeunes et les électeurs des zones rurales défavorisées, désillusionnés par les controverses politiques ayant marqué la jeune démocratie tunisienne après le Printemps arabe. Aujourd'hui, ils sont des milliers de mécontents face à la détérioration continue de la situation économique du pays avec un taux de chômage d'environ 11 % et une régression des libertés et des droits de l'homme, y compris ceux des immigrés, notamment subsahariens.

Mais avec ce scrutin présidentiel bien verrouillé, Kaïs Saïed va être certainement réélu. En héros, Zorro ou zéro réformateur ? Toute la question est là.

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