Rigathi Gachagu, le vice-président kényan, est dans la tourmente. En effet, la semaine dernière, l'Assemblée nationale a voté, à une large majorité, soit 282 voix pour, une motion de destitution contre lui.
Ne voulant pas se laisser conduire comme un mouton de Tabaski à l'abattoir, l'homme a déposé, devant la Justice, des recours à l'effet de suspendre sa destitution avant qu'elle ne soit soumise au Sénat en dernière instance. Mais cette ultime bouée de sauvetage n'a pas produit les effets escomptés. En effet, le juge Cacha Mwita de la Haute cour de Justice a rejeté tous les recours au motif que le judiciaire ne saurait s'imposer dans une procédure en cours au sein du Parlement.
Du reste, avant même que le juge n'ait connu de cette affaire, le président du Sénat avait donné cet avertissement, on ne peut plus clair : « Toute injonction tentant d'interférer dans le travail du Parlement n'a aucun effet sur lui et ses comités alors qu'ils exercent leurs fonctions constitutionnelles ». Donc, de guerre lasse, le vice-président devrait en principe, répondre devant le Sénat, des nombreux griefs que portent les députés contre lui et sauf tremblement de terre, la Haute Chambre du parlement kényan ne devrait pas aller à l'encontre de la volonté des élus du peuple.
On est tenté de dire que Rigathi Gachagu est victime de ses propres turpitudes
Mais, au fait, que reproche-t-on à Rigathi Gachagu ? La motion de destitution est l'aboutissement de plusieurs mois de conflit ouvert entre le président William Ruto et son adjoint que l'on accuse, entre autres, « d'atteinte à l'unité nationale », « d'insubordination envers le président », de « crimes économiques », notamment de détournements de fonds publics, de conflits d'intérêt et d'abus de pouvoir.
Sur ce dernier point précis, il est reproché au vice-président d'avoir accumulé de manière inexplicable, un portefeuille immobilier colossal estimé à 5,2 milliards de shillings soit environ 36 millions d'euros, provenant principalement de produits présumés de la corruption et du blanchiment d'argent. Mais pour l'accusé, ces chefs d'accusation qu'il récuse ne sont, en réalité, « qu'un complot visant à le chasser du pouvoir en raison d'autres considérations politiques ».
Mais l'homme a-t-il véritablement tort ? Telle est la question que l'on pourrait se poser face à cette procédure inédite dans l'histoire du Kenya. Sans prendre parti, il est difficile, en effet, de ne pas voir dans les déboires du vice-président, des règlements de comptes politiques.
Car, ce dont l'accusent ses adversaires politiques aujourd'hui, était déjà connu avant son ascension dans les arcanes du pouvoir. Rigathi Gachagu avait déjà, en effet, une réputation bien établie avant que le président William Ruto n'en fasse son colistier en raison du solide réseau d'influence dont il dispose dans la région stratégique du mont Kenya, et de son poids politique dans l'ethnie Kikuyu. Ce qu'on lui reproche, ce n'est donc pas tant son enrichissement illicite mais son rôle supposé ou avéré dans le puissant mouvement de contestation antigouvernemental qui a secoué le Kenya dans les mois de juin et juillet derniers.
Cette crise aura pour effet de fragiliser le pouvoir kényan
En effet, l'on reproche au vice-président de n'avoir pas soutenu le président face aux milliers de manifestants qui déferlaient dans les rues de Nairobi avec pour mot d'ordre la démission de William Ruto. Rigathi Gachagu est, en termes clairs, victime de la purge entreprise par le chef de l'Etat pour assainir son environnement après les mois de tourmente qu'il a connus.
Mais faut-il pour autant plaindre l'allié politique devenu encombrant ? Certes, l'on ne peut nier le fait que le vice-président est quelque peu victime de l'ingratitude de ses alliés du pouvoir après le rôle remarquable qu'il a joué pendant la présidentielle qui a porté William Ruto à la tête du Kenya face à Raila Odinga. Mais l'on est tenté de dire aussi qu'il est victime de ses propres turpitudes.
Car, si les accusations portées contre lui étaient fondées, l'on pourrait simplement dire avec l'homme de la rue, « qu'il a joué et il a perdu ». Il devra donc boire le calice jusqu'à la lie. Il peut même s'estimer heureux que cette affaire se gère selon les lois et les mécanismes d'un Etat de droit. Sous d'autres cieux, une accusation d'atteinte à la sureté de l'État se gère de façon expéditive et par d'autres moyens.
Mais quelles peuvent être les conséquences de la descente aux enfers du vice-président ? Il est encore, sans doute, trop tôt de répondre à cette interrogation. Mais point n'est besoin d'avoir le troisième oeil des sorciers kényans pour comprendre que cette crise aura pour effet de fragiliser le pouvoir kényan face à une plaie sociale qui est encore loin d'être entièrement cicatrisée.
Car, s'il est facile de trouver un bouc-émissaire aux manifs géantes qui ont failli emporter le pouvoir, il n'en demeure pas moins que les causes profondes du mouvement sont encore là et le volcan kényan qui s'est endormi, pourrait à nouveau exploser. En attendant donc l'épilogue de ce dossier qui secoue le landerneau politique kényan, l'on peut se féliciter du charme de la démocratie au pays de Jomo Kenyatta.
On est, en effet, stupéfait du respect de la séparation des pouvoirs avec ce refus du judiciaire d'interférer dans les affaires du législatif, contrairement à ce que l'on voit souvent ailleurs où tous les pouvoirs constitutionnels sont des faire-valoir du pouvoir exécutif.