De Kinshasa à Paris, Patient Ligodi s’est imposé comme une référence médiatique congolaise. Correspondant de RFI, fondateur d’Actualité.cd et auteur d’un ouvrage sur la désinformation, il incarne une génération de journalistes polyvalents, mobiles et à l’aise dans l’écosystème numérique.
Son ascension impressionne, mais elle suscite aussi des interrogations croissantes au sein du milieu professionnel, où plusieurs confrères anonymes évoquent une porosité problématique entre son travail journalistique et les narratifs sécuritaires portés par le pouvoir congolais.
Une ascension médiatique remarquée, et un glissement difficile à ignorer
Patient Ligodi s’est imposé dans un paysage médiatique où les structures solides sont rares, ce qui a permis à Actualité.cd de s’ériger rapidement en plateforme centrale pour les informations nationales. Sa collaboration avec RFI a renforcé son aura, tant localement qu’internationalement. Mais cette double casquette crée une tension, résumée par un journaliste congolais : « Ligodi occupe un espace énorme. Cela donne de la force à son travail, mais cela complique aussi la frontière entre indépendance et influence.
Cette ambiguïté apparaît clairement dans certaines de ses interventions publiques. Lors d’une conférence soutenue par l’Egmont Institute, il a présenté des diapositives assimilant plusieurs comptes accusés par Kinshasa d’être « pro-Rwanda » à une « rébellion 2.0 », reprenant ainsi une terminologie issue du vocabulaire sécuritaire de l’État congolais. Pour un confrère, « le problème n’est pas d’aborder la désinformation, mais d’adopter presque exclusivement les exemples qui servent la grille officielle ». Le fait que ne soient presque jamais évoquées les campagnes anti-Tutsi documentées par l’ONU renforce ce sentiment d’asymétrie.
Un traitement de l’information qui nourrit les suspicions
Les articles publiés sur Actualité.cd et repris par RFI participent également à ces questionnements. Plusieurs reportages sur les violences au Nord-Kivu reposent sur des sources issues de mouvements civils dont les prises de position identitaires radicales sont connues. « Un récit militant produit localement peut se retrouver repris à l’international sous un label extrêmement crédible », explique un journaliste étranger basé à Goma. « À ce stade, il devient un fait accepté. »
L’épisode le plus commenté reste la publication par RFI, en novembre 2025, d’une interview accordée par les FDLR, groupe armé sanctionné par l’ONU et l’Union européenne. Le Gouvernement du Rwanda, dans un courrier adressé à la rédaction, a rappelé que la charte de France Médias Monde exige une contextualisation stricte dans la couverture des organisations terroristes.
Au sein des rédactions à Kinshasa, cet incident est perçu comme un révélateur. « Je ne pense pas que Ligodi cherche à pousser une propagande », nuance un journaliste, « mais son environnement éditorial est saturé de sources qui reprennent la ligne gouvernementale. Sans garde-fou, la neutralité peut s’éroder rapidement. »
Une influence croissante, et une proximité politique qui questionne
La trajectoire de Patient Ligodi dépasse désormais le cadre strict du journalisme. Il intervient comme formateur, prend la parole dans des panels internationaux, théorise la désinformation et occupe une position hybride entre journaliste, expert et acteur du débat public. « On ne sait plus toujours si l’on écoute un reporter, un analyste ou un interlocuteur engagé », note un correspondant européen.
À cette influence s’ajoute une proximité visible avec Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication. La présence de celui-ci au vernissage de Pollution de l’information a relancé les discussions dans les milieux professionnels. « Voir le ministre de la Communication saluer publiquement le travail d’un correspondant RFI, ce n’est pas neutre », commente un journaliste congolais. « Cela ne prouve rien, mais cela crée une impression de connivence dans un pays où la communication politique est centrale. »
Cette proximité n’est pas en soi une faute déontologique, mais elle alimente les interrogations sur la capacité des correspondants internationaux à maintenir une distance critique dans un contexte où chaque acteur – autorités, groupes armés, société civile – cherche à influencer le récit dominant. L’affaire Ligodi illustre ainsi un défi plus large : comment préserver l’indépendance journalistique dans un environnement où l’information est un instrument stratégique autant qu’un outil de compréhension ?
Dans une région où la bataille du récit façonne autant le conflit que les armes elles-mêmes, la vigilance éditoriale demeure un impératif. Préserver la neutralité, questionner l’évidence, maintenir la distance : autant de conditions essentielles pour éviter que les récits locaux ne se substituent, sans filtre, à l’exigence fondamentale d’un journalisme indépendant.