Le résultat de plus de huit mois de recherche est accablant : l'Afrique perd depuis 1980 autant d'argent à cause des flux financiers illicites qu'elle en reçoit de l'extérieur, toutes sources confondues, selon un rapport conjoint rendu public mercredi par la Banque africaine de développement (BAD) et le Global Financial Integrity (GFI). C'était au cours d'un séminaire intitulé « Flux financiers illicites en Afrique : Quelles leçons en tirer ? ».
Pour Raymond Baker, président du GFI, une organisation basée à Washington, « on pense traditionnellement que les pays du Nord déversent leur argent en Afrique avec l'aide et les flux du secteur privé, sans rien recevoir en retour. Notre rapport démontre le contraire : l'Afrique a été en fait un créditeur net du reste du monde pendant des décennies ».
Entre 1980 et 2009, les transferts nets de ressources financières partis d'Afrique vers le reste du monde sont estimés entre 597 et 1.400 milliards de dollars. Les transferts illicites sur la même période se montent quant à eux dans une fourchette allant de 1.220 à 1.350 milliards de dollars, note le rapport.
« Les ressources tirées d'Afrique au cours des 30 dernières années, quasiment équivalentes au PIB actuel du continent - handicape le décollage économique de l'Afrique », a souligné Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD.
« Un braquage en plein jour se déroule sur le continent et cela doit s'arrêter. Le niveau d'engagement politique doit se situer au plus haut niveau », a estimé au cours de la présentation du rapport le ministre du Développement international norvégien, Arvinn Gadgil, appelant l'Afrique à prendre la direction du mouvement global pour plus de transparence financière.
Le rapport intitulé « Flux financiers illicites et le problème des transferts nets de ressources à partir de l'Afrique : 1980-2009 », est basé sur les données transmises par les Etats à la Banque mondiale et au Fonds Monétaire International, et sur des estimations des transferts illicites non enregistrés, qui sont confirmés par d'autres recherches publiées.
De plus, il y a une inégale répartition des flux financiers illicites : les pays d'Afrique Sub-saharienne ont perdu plus de ressources que ceux d'Afrique du Nord au cours de la période étudiée, mais la tendance est en train de s'inverser. Le rapport montre également que les pays riches en ressources naturelles, en particulier les pays exportateurs de pétrole d'Afrique de l'Ouest et du Centre, ont contribué pour une grande part aux flux sortants de capitaux.
Le rapport n'explique pas les raisons en profondeur de ces fuites des capitaux, estimant que cela nécessite des recherches dans les différents pays concernés.
Les chercheurs partent du principe que « les flux de capitaux non enregistrés sont illicites par nature et font référence aux transferts d'argent gagnés via la corruption, les pots de vin, l'évasion fiscale, les activités criminelles et de contrebande. Pareillement, les fonds légaux gagnés suite à des activités légales, mais transférées à l'extérieur en violation de la règlementation sur le contrôle de change deviennent illégaux ».
« En termes de volume des flux financiers illicites, le Nigeria, l'Egypte et l'Afrique du Sud tirent le haut du classement. En Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, les sorties de capitaux illicites sont par ordre d'importance l'apanage du Nigeria, de la République du Congo et de la Côte d'Ivoire, tandis que les sorties de capitaux illicites en Afrique du Nord sont principalement dominées par l'Egypte, l'Algérie et la Lybie respectivement. En Afrique Australe, les sorties de capitaux sont principalement dominées par l'Afrique du Sud, l'Ile Maurice et l'Angola », précise le rapport.
Baker a souligné que l'argent illicite a trois sources principales : « la corruption représente environ 5% du total, la criminalité 30 à 35%, la fraude commerciale et sur les prix 60 à 65% ».
Selon lui le phénomène ne peut pas « être totalement éradiqué, mais peut être endigué. (... ). Il s'agit entièrement d'un problème de volonté politique. »
Quelques mesures sont évoquées dans le rapport pour lutter contre ces transferts financiers illicites. Elles s'articulent autour de trois axes: des initiatives pour restreindre l'absorption des flux financiers illicites dans les pays receveurs, des politiques visant à limiter la sortie des flux financiers illicites en provenance de l'Afrique, enfin des politiques pour booster les transferts nets enregistrés via l'amélioration de l'environnement des affaires.
Pratiquement, les intervenants ont insisté sur la nécessité de renforcer la transparence dans les transactions et la surveillance des opérateurs économiques dans toute leur diversité, ce qui passe notamment par un renforcement des capacités des Etats dans le domaine des douanes et de la fiscalité par exemple.
Mais pour être efficaces ces politiques doivent être mises en place dans le cadre d'une coopération accrues des pays du monde, les bénéficiaires comme les victimes de la fuite des capitaux, dans la lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux.