Notre tâche consiste à libérer tout le potentiel du capital naturel du continent, auquel la croissance de l'Afrique est si intimement liée. Et ce en assurant l'autonomisation de son capital humain, qui assurera en fin de compte sa survie, bien après l'épuisement de ses précieuses ressources naturelles et l'effondrement de leurs prix.
Il nous faut transformer la richesse finie en richesse infinie, la richesse naturelle en richesse fabriquée, et les économies qui s'appuient sur des ressources en des économies diversifiées qui s'appuient sur le savoir-faire et l'industrie, créatrices d'emplois. Donald Kaberuka pour This is Africa / Financial Times
« Aujourd'hui, nous pouvons passer deux minutes à nous féliciter nous-mêmes, a déclaré le Secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, au cours du 13e Forum économique mondial de l'OCDE sur l'Afrique, mais c'est tout. Les grandes choses que l'Afrique a accomplies ces dix dernières années ne suffisent pas encore. »
De nombreuses vérités qui font mal ont émaillé cette journée : « La croissance africaine de 5, 6 ou 7 %, c'est très bien, mais la Chine connaît une croissance annuelle de 10 % depuis 30 ans, a fait remarquer Mallam Sanusi Lamido Sanusi, le gouverneur de la Banque centrale du Nigéria. Il nous reste vraiment beaucoup de chemin à parcourir. Et à quoi sert notre argent ? Il sert à payer des salaires, des frais généraux, des aides à la production, mais il ne va pas là où il devrait aller. Au Nigéria, nous sommes assis sur 25 milliards de dollars destinés à financer nos pensions, que nous pourrions investir pour répondre à nos propres besoins en infrastructures, ou pour renforcer nos capacités de production et de traitement. Nous cultivons des tomates, mais nous importons du concentré de tomates. »
Les participants à la conférence, qui s'est tenue à Paris ce lundi 7 octobre, se sont penchés sur les problèmes persistants qui empêchent la croissance économique inégale de l'Afrique de se muer en une véritable transformation économique durable pour le continent. Ils ont accordé une attention toute particulière au potentiel représenté par ses ressources naturelles, qui peuvent servir de moteur à la « transformation structurelle » grâce à laquelle les pays transféreront les ressources économiques des activités peu productives telles que l'agriculture familiale ou le petit commerce informel vers des activités plus productives telles que l'industrie manufacturière.
Le secret de la transformation : les femmes et les hommes
Quel sera donc le secret de cette transformation ? « Les hommes », a répondu Daniel Kablan Duncan, Premier ministre de la Côte d'Ivoire, ajoutant bien vite que ce terme était générique et englobait « Les femmes ». L'exemple asiatique a été constamment évoqué, et Deng Xiaoping mentionné au moins cinq fois au cours de la séance du matin. Mais, le Président de la Banque africaine de développement, Donald Kaberuka, a mis en garde les participants à la conférence : « Chaque pays doit trouver la voie qui assurera son propre développement : nous ne pouvons pas simplement transposer un modèle. À la Banque africaine de développement, nous avons coutume de dire qu'il n'existe pas d'escalier roulant ou d'ascenseur qui pourrait nous mener à la transformation économique : il faut gravir l'escalier ! Il existe de nombreux modèles de capitalisme, et certains pays avancent à tâtons. Par contre, ce que nous remarquons partout, c'est le rôle joué par les institutions - dont beaucoup, mais pas toutes, sont des institutions d'État - dans l'ancrage et la stimulation du développement. »
Lors d'une séance d'ouverture couvrant de multiples thèmes relatifs à l'Afrique et à l'économie mondiale, Carlos Lopez, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique, a déploré que ce continent soit si peu doué pour vendre sa réussite dans le domaine de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (15 des 20 pays enregistrant les meilleurs résultats du monde sont africains). Il a également mis en doute ce qui passait pour des vérités : les recettes provenant des ressources naturelles ne sont responsables que du tiers environ de la croissance de l'Afrique au cours de la dernière décennie, a-t-il affirmé, et nous exagérons l'influence de la Chine sur le continent, puisqu'il ne reçoit que 4 % des investissements directs étrangers de ce pays.
Des réserves équivalant à 120 milliards de barils de pétrole
Interrogé au sujet de son plan et de sa vision de la transformation économique de l'Afrique, le Président Kaberuka a cité deux défis de taille : la crise énergétique que connaissent pratiquement tous les pays africains du fait du manque d'infrastructures de base, et la difficulté inhérente à la coordination de 54 pays fragmentés et différents. Il a également insisté sur ses priorités et sur celles de la Banque : « l'inclusion » et « l'emploi ». Il a mis l'auditoire en garde contre l'absence de la première - évoquant les conséquences dévastatrices de l'exclusion, tant pour les vies gâchées que pour le potentiel non accompli, et du terrorisme, de plus en plus fréquent - et illustré la seconde par l'exemple de l'Éthiopie, devenue un centre manufacturier mondial pour le marché international de la chaussure. Carlos Lopes a affirmé que l'Afrique devrait créer 50 millions d'emplois par an, et que même les approches les plus intelligentes du secteur agroalimentaire ne le lui permettraient pas à elles seules.
Le potentiel des ressources africaines n'est pourtant pas remis en question. D'après les estimations de la Banque, l'Afrique disposerait de réserves équivalant à 120 milliards de barils de pétrole, soit autant que la moitié de l'Arabie saoudite, et de 600 millions d'hectares de terres arables non cultivées, soit la moitié du total mondial.
Plus de 60 milliards de dollars perdus par an
Tous les participants ont convenu que le premier défi posé par la gestion des ressources naturelles consistait à s'assurer de l'obtention de la totalité des recettes et à les utiliser de manière judicieuse et équitable. Si les recettes fiscales tirées des ressources naturelles par les États ont augmenté de 40 % en 2011, les bénéfices des sociétés internationales ont augmenté de 110 %. Il y a là un énorme décalage. On dit de l'Afrique qu'elle perd plus de 60 milliards de dollars par an du fait des sorties illégales de capitaux et de la manipulation des tarifs de l'extraction des minéraux, la majeure partie de ces recettes étant exportée hors du continent. La solution la plus simple mais aussi la plus mauvaise, pour les gouvernements, consiste à engranger tranquillement les rentes à court terme payées par les sociétés internationales pour qu'elles aient le droit de découvrir et d'exploiter les ressources naturelles du continent, au lieu de mettre tout en œuvre pour créer des emplois et réinvestir les recettes dans les domaines qui en ont le plus besoin, comme la santé et l'enseignement.
C'est ainsi que la conférence a élargi son ordre du jour consacré à la fiscalité et à la transparence - ainsi qu'à la primauté d'institutions, de lois et de procédures fortes, et de la bonne gouvernance qui va de pair avec celles-ci - à la question de savoir comment les ressources naturelles peuvent contribuer à la transformation structurelle. L'OCDE a mis en évidence trois canaux pour ce faire : « la diversification », « les capacités » et « les recettes ».
« La diversification » consiste à investir les recettes des ressources naturelles dans d'autres activités productives. Des exemples ont été cités, venant du Chili (qui investit les recettes de l'exploitation du cuivre dans le développement de l'industrie de la pêche), de Malaisie et d'Indonésie. « Les capacités » consistent à développer et à vendre le savoir-faire qui permet de tirer le meilleur parti des ressources naturelles, comme l'ont fait les Sud-Africains sur le marché minier mondial, par exemple. « Les recettes » sont la clé du succès : il s'agit d'investir les recettes tirées de ces ressources dans l'enseignement et la santé, les infrastructures et des services efficaces.