Lorsque je jette un regard sur ma carrière de 50 années passées à m'efforcer d'offrir davantage de choix aux femmes, l'un des accomplissements que je partage avec d'autres féministes de ma génération et dont je suis le plus fière tient au fait que, même si les jeunes femmes d'aujourd'hui font face à des difficultés, ces problèmes sont très différents des obstacles auxquels nous étions confrontées précédemment. Bien qu'il reste encore beaucoup à faire, nous avons accompli beaucoup de progrès durant cette période.
Il y a cinquante-cinq ans, on voulait que je réussisse à l'école et que je choisisse une carrière d'infirmière ou d'enseignante par exemple, pour que je puisse être chez moi avec les enfants après l'école. On m'avait dit que je devais faire attention à ne pas trop participer en classe pour ne pas décourager les garçons, car il était aussi important de décrocher un diplôme au lycée avec le titre tant convoité de « Madame » que d'obtenir une licence à l'université. J'étais ensuite censée suivre docilement mon mari quand il a été envoyé en Zambie en 1973, bien qu'il n'y eût pas de poste pour moi aussi. Une fois là-bas, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) - qui employait mon mari - a bloqué la plupart des opportunités qui se présentaient à moi pour cause de « conflit d'intérêts », en m'invitant à aller plutôt porter des cookies au club de femmes. Sur plusieurs centaines d'épouses du PNUD, nous n'étions que deux à être employées professionnellement, et l'on m'a demandé ironiquement d'écrire un article sur la question de savoir si les épouses des fonctionnaires de l'ONU devaient travailler ou pas.
Même si mon mariage a été un échec pour de multiples raisons, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été le refus de mon mari de tenir sa promesse à l'effet que, la fois suivante, c'était moi qui choisirais notre lieu d'affectation. Au lieu de cela, il a accepté une période de service dans un pays francophone en sachant que je ne parlais pas français et qu'il était donc peu probable que je trouve un emploi. Humiliée à l'idée que tout le monde me regarderait de travers en pensant que j'étais une femme qui ne pouvait pas garder son homme, j'ai quand même essayé de recouvrer ma dignité en terminant ma thèse et, face à une opposition latente, y compris de la part du secrétaire du doyen, je suis devenue l'une des premières femmes titulaires d'un doctorat de l'École Korbel, à l'université de Denver.
Par la suite, ayant moi-même de faibles attentes, j'ai accepté un poste à la Commission des affaires étrangères du Sénat, avec un grade et une rémunération bien inférieurs à ceux de mes collègues masculins. Refusant de reconnaître la différence de statut, j'exécutais mon travail aussi bien ou mieux que les hommes, et on a fini par m'accorder le même titre de fonction, bien qu'avec un salaire jamais proportionné.
Avec l'appui de mentors et de collègues féministes, je me suis lancée dans une carrière passionnante et épanouissante dans le développement économique en Afrique, qui a couvert tout le continent et au cours de laquelle j'ai eu une douzaine d'employeurs. J'ai maintenant 70 ans et je continue de dispenser des séminaires universitaires dans l'espoir que mes étudiants éviteront les erreurs de ma génération et trouveront des moyens créatifs de contribuer aux efforts de leurs homologues africains. Au cours de ma carrière et de mon cheminement disparate, j'ai développé plusieurs principes :
Identifiez votre passion et suivez-la : mon directeur de thèse a codifié ce principe lorsqu'il m'a dit de chercher un sujet qui soit convenable, mais aussi avec lequel je pourrais vivre dans la durée. Durant ma carrière, j'ai travaillé partout : depuis la base jusqu'au niveau de directrice générale et pour des organisations aussi diverses que le Corps de la paix et le Département d'État américain ; et pour trois gouvernements différents, ainsi que pour le secteur privé et des universités. Mais ce qui m'a motivée et me motive encore, c'est la passion du développement africain. Je suis très souvent revenue vers ce que je préfère : travailler en Afrique et pour l'Afrique.
Faites ce qu'il y a de mieux (et non la seconde meilleure chose) : attendre que survienne l'emploi idéal est la meilleure façon d'être perpétuellement au chômage. Au lieu de cela, identifiez et choisissez la meilleure option disponible et faites-en un chemin vers une option encore meilleure. N'oubliez pas que vous n'avez pas à atteindre tous les objectifs dans un même emploi. Mon CV pourrait être présenté comme un plan bien tracé, mais ce serait faux. En fait, c'est davantage un parcours en zigzag qui a suivi les meilleures opportunités existant à l'époque.
Aussi injuste que cela puisse paraître, les personnes défavorisées doivent travailler plus dur : que l'on soit des femmes, des minorités ou des groupes ethniques défavorisés, on doit travailler plus dur pour prouver sa valeur. Mes mentors les plus importants, au Sénat, au Service diplomatique et au Corps de la paix, savaient tous que j'aurais fait n'importe quoi pour accomplir un travail et qu'ils feraient, à leur tour, bonne impression. Un de mes plus gros défis a été de régler un désordre administratif dont j'avais hérité en tant que directrice pays du Corps de la paix au Cameroun, alors que je n'avais aucune expérience ni formation en gestion. Le personnel s'est mobilisé et nous avons fini par tout démêler ; mais il nous a fallu faire davantage d'efforts.
Mieux vaut l'humour que la colère : au début, quand on présumait que j'étais un homme parce que j'avais « Dr » devant mon nom, ou que j'étais la secrétaire ou la maîtresse du collègue avec lequel je me déplaçais, cela me rendait furieuse. Mais j'ai vite appris, en particulier en traitant avec les hommes qui avaient des préjugés de par leur formation plutôt que de par leur volonté, que si j'arrivais à rire gentiment d'eux et finalement avec eux, le changement désiré était bien plus acceptable. Et on s'amusait davantage.
Amusez-vous bien, mais réglez vos factures : c'est le thème qu'a retenu mon père pour le discours qu'il a présenté à ma classe en 1963, à l'occasion de la remise des diplômes d'études secondaires. Il est indispensable d'aimer le fond même de ce que l'on fait, car cela permet de surmonter les difficultés. Mais il est également essentiel de « régler ses factures » en termes d'argent, de références et de loyauté envers ceux qui vous soutiennent. Le fait d'être directrice générale du Bureau régional du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) m'a donné l'occasion de faire montre de ces dispositions, car ce poste a été le plus gratifiant et le plus dur que j'aie jamais eu.
Beaucoup de femmes, aujourd'hui, sont confrontées à des situations difficiles quant à des choix qui se présentent à elles. Contrairement à ce qui se passait à mon époque, elles disposent d'une multitude de possibilités, professionnelles et personnelles. Mais personne ne peut tout faire à la fois. Les principes que je viens de mentionner peuvent aider, mais plus que tout, faites ce que vous aimez et sachez que vous n'avez pas à tout faire maintenant ; vous pouvez le faire par étapes. Heureusement, il y a toujours une autre montagne à gravir et une autre vue à admirer.
Le Dr Constance Freeman est une ancienne directrice régionale du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), au Bureau régional pour l'Afrique orientale et australe.