Dans le cadre de l'Accord mondial de Paris sur le changement climatique de décembre 2015, les pays africains ont clairement signifié leur engagement à accomplir un développement à faibles émissions de carbone et résilient au changement climatique, un engagement entériné dans leurs contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN).
Cependant, nombre de ces CPDN africaines s'avèrent conditionnelles, car tributaires du soutien escompté sous forme de financements climatiques - ces ressources financières des pays développés au bénéfice des pays en développement, qui ciblent l'atténuation des effets du changement climatique et l'adaptation.
Au vu de cette demande continue de soutien, et à l'approche du sommet mondial sur le changement climatique au Maroc, mieux comprendre le paysage de la finance climatique en Afrique est crucial. Des structures importantes de financement de la lutte contre les changements climatiques existent déjà en Afrique - entre autres, le Fonds pour l'environnement mondial, le Fonds pour l'adaptation, les Fonds d'investissement climatiques et le Fonds vert pour le climat. Mais fonctionnent-elles bien ? Pour trouver des éléments plus efficaces potentiellement, je propose d'aborder la finance climatique en Afrique selon trois points de vue.
La responsabilité du gouvernement bénéficiaire
Premièrement, pour montrer qu'ils prennent en main leurs propres programmes de finance climatique, les gouvernements africains doivent faire en sorte que le changement climatique soit intégré dans toutes les dimensions de la planification du développement. Procéder ainsi suppose de s'assurer que les politiques et programmes intègrent - et ne se contentent pas de les ajouter seulement - des solutions résilientes au changement climatique et à faibles émissions de carbone. Une formulation claire de ces politiques et de ces plans, qui tienne rigoureusement compte des principes de durabilité, permet à ceux qui offrent un appui en matière de finance climatique de mobiliser, d'harmoniser et de coordonner plus facilement leurs ressources financières dédiées à la lutte contre les changements climatiques. Bien sûr, certaines sources de financements climatiques, à l'instar du Fonds d'investissement climatiques (FIC), exigent que ces conditions soient en place avant même qu'un pays ne puisse prétendre bénéficier d'une aide.
Les pays d'Afrique doivent également être dotés de systèmes solides pour une gestion financière saine, le suivi des résultats et les protections sociales et environnementales - autant de prérequis essentiels pour véritablement accéder aux financements climatiques et les déployer. Cela revêt une importance particulière pour les États fragiles aux faibles capacités fiduciaires et qui s'exposent à des risques fiduciaires potentiels élevés. De même, une approche réactive et par à-coups des financements en complique aussi une planification durable. Au sein de la Banque africaine de développement, l'assistance technique et le renforcement des capacités deviennent de plus en plus la forme principale de soutien, afin que les pays puissent conclure des accords de financement climatiques qui soient confortés par des systèmes en place adéquats, à même de garantir le bon usage des fonds versés.
En outre, les gouvernements bénéficiaires doivent, de concert avec leurs partenaires financiers, veiller à ce que les programmes financés puissent être étendus à une échelle qui soit à la hauteur des problèmes qu'ils sont censés résoudre. En règle générale, les projets financés par ces fonds climatiques sont de taille réduite pour la plupart, surtout ceux qui portent sur l'adaptation, aux coûts de transactions relativement élevés. Les projets de grande envergure, comme la centrale solaire à concentration de Noor, au Maroc, et le projet géothermique de Menengaï, au Kenya, sont de bons exemples de solutions ayant un impact non seulement local, mais aussi régional, voire mondial. Pour plus d'efficacité, les pays d'Afrique doivent veiller à ce que les programmes financés intègrent les moyens de regrouper les interventions pour obtenir un plus large impact et, en même temps, contribuer à réduire les coûts de transaction y afférant.
Responsabilité des gouvernements donateurs
Deuxièmement, les pays donateurs et les institutions partenaires doivent harmoniser leur aide pour répondre aux priorités des pays bénéficiaires, de en déléguant de manière flexible les prises de décision et en utilisant les systèmes nationaux existants, tout en tenant compte du contexte local et des perceptions - autant que possible. Cela implique que les donateurs collaborent activement avec les pays bénéficiaires, de sorte de mieux comprendre leur situation et leurs besoins spécifiques et d'instaurer un climat de confiance. Il y a lieu également d'aider les pays à renforcer leurs systèmes de reddition de comptes.
Les partenaires au développement peuvent accroître l'impact collectif de leur aide financière s'ils améliorent l'harmonisation et la coordination entre eux, œuvrant ainsi à une série d'objectifs communs établis autour des priorités énoncées par le pays bénéficiaire. L'harmonisation - un principe clé du financement du développement dans la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide au développement - peut aussi s'appliquer au financement de l'adaptation au changement climatique et de l'atténuation. Avec un soutien harmonisé, les pays bénéficiaires peuvent s'éviter la lourde charge d'avoir à gérer le dédale multidimensionnel des exigences que posent les différentes sources de financements climatiques - bilatérales comme multilatérales.
Les gouvernements donateurs ne doivent pas percevoir la finance climatique et l'aide au développement traditionnelle comme incompatibles, mais plutôt les voir comme complémentaires. Il est devenu de plus en plus évident que le changement climatique menace la nature même du développement ; en effet, une part importante de l'aide au développement va aujourd'hui à des secteurs fortement vulnérables au changement climatique. Par exemple, on pourrait aussi appliquer le dispositif d'appui budgétaire aux activités de finance climatique d'une manière qui permette d'accroître davantage la crédibilité des institutions nationales et locales en Afrique.
Enfin, le financement de la lutte contre les changements climatiques ne saurait servir d'outil pour influencer ou modeler la gouvernance dans les pays en développement. Ce doit être un instrument exclusivement dédié à aider les pays à bâtir leurs programmes de résilience et une croissance à faibles émissions de carbone. Avoir confiance et foi sur ce point permet une plus grande adhésion et une meilleure appropriation de la part des pays bénéficiaires.
Le rôle de plus en plus central du secteur privé
Troisièmement, le secteur privé devient de plus en plus crucial pour assurer les financements accrus que requiert de toute urgence le changement climatique. Étant donné l'ampleur des besoins financiers des CPDN africaines, le déficit financier ne saurait être comblé sans une augmentation des investissements des investisseurs institutionnels et des entreprises. Outre des capitaux, le secteur privé peut apporter l'efficacité, la capacité de créer une viabilité commerciale, des structures économiques porteuses et la création, le financement et la distribution de produits et technologies à un coût abordable - notamment ceux destinés aux plus défavorisés. La participation du secteur privé enverrait un signal puissant, produisant un effet de levier propre à attirer d'autres investissements. Pour atteindre son plein potentiel, le secteur privé a toutefois besoin de projets présentant le bon profil risque/rendement.
Et ensuite ? De nouveaux instruments peuvent remodeler le système de financement
Pour l'heure, le financement de la lutte contre les changements climatiques est principalement le fait des pays développés, canalisé à travers les banques de développement multilatérales, les institutions financières bilatérales et une poignée de banques commerciales. Mais au vu de l'ampleur du déficit de financements climatiques, il est nécessaire d'offrir un large éventail d'instruments pour répondre aux enjeux, par le biais notamment d'institutions publiques. Par exemple, les agences multilatérales comme la Banque africaine de développement accordent traditionnellement des prêts et des crédits ; mais elles encouragent aussi l'utilisation accrue de garanties, de produits en actions, de partenariats public-privé et de mécanismes de financement avec partage des risques.
On devrait également encourager l'utilisation des nouveaux instruments de mobilisation financière, à l'instar des « obligations vertes », pour intensifier la collaboration avec les investisseurs institutionnels qui représentent une réserve de fonds importante. À mesure que cet instrument se développe, des acteurs nationaux trouveront indéniablement leur place sur le marché africain. Ce peut être un moyen aisé de renforcer le marché des capitaux africain, d'une manière qui conduise à la concrétisation des CPDN.
Nota bene :
Plusieurs articles de ce blog ont déjà été consacrés aux CPDN et l'Afrique, comme ici et là.
Fin août 2015, la BAD a également publié une Note d'information sur l'importance des CPDN (en anglais), en amont de la COP21.