Si l'Afrique veut mettre fin à la faim d'ici à 2025, elle doit mettre un terme aux importantes pertes agricoles post-récoltes, qui représentent jusqu'à 30 % de sa production, ont martelé des experts, jeudi 7 septembre 2017, au quatrième jour de la 7e édition du Forum pour la révolution verte en Afrique (AGRF) en cours à Abidjan.
Lors d'une session sur le thème : « Gestion après récoltes et assurance de la quantité et de la qualité et des normes pour le marché », Mamadou Biteye, directeur général de la Fondation Rockefeller Afrique a planté le décor en ces termes : « ce que nous perdons chaque année dans le monde lors des récoltes pourrait nourrir 2,5 milliards de personnes ».
Selon cet économiste agricole de formation, les pertes de nourritures et autres gaspillages sont un problème sérieux, qui affecte la chaine des valeurs de production. Si les produits arrivent à bon port, souvent ils ne sont pas consommés car pas d'assez bonne qualité (abîmés, mal conservés). Y remédier « implique d'identifier où les problèmes se posent, puis de trouver des financements pour y mettre un terme », a-t-il souligné. Avant d'ajouter : « À l'horizon 2025, nous devrons avoir réussir ce pari ».
Directeur chargé de l'agriculture et l'agro-industrie à la Banque africaine de développement (BAD), Chiji Chinedum Ojukwu a d'emblée souligné que la Banque entend accélérer la mise en œuvre des mesures contenues dans la Déclaration de Malabo ratifiée en juin 2014. Pour ce faire, la Banque déploie déjà différents projets dans des pays comme la Côte d'Ivoire et le Nigeria et s'apprête à les étendre à l'Ethiopie. En développant des chaînes de valeur intégrées au sein d'agropoles, la Bad a ainsi dans l'idée de gagner en valeur ajoutée en transformant localement les produits destinés à l'exportation (café, cacao ou coton). Au centre de la Côte d'Ivoire, près de Yamoussoukro, le projet de pôle agro-industriel dans la région du Bélier, axé sur de la chaine de valeur du riz, bénéficie d'un soutien de 67 milliards de FCFA de la BAD. Dans son Plan national de développement, le pays a prévu de bâtir trois autres agropoles d'ici à 2020.
« Nous avons mis en place un programme de réflexion sur la post-récolte, a également précisé Chiji Chinedum Ojukwu. Et rapidement, l'une des actions que nous avons menées a été de mettre en place des agropoles qui vont permettre de mettre en relation les planteurs et les investisseurs, afin de réduire le délai entre production et commercialisation ».
Autre problème qu'il faut résoudre, a insisté Chiji Chinedum Ojukwu : celui du stockage des produits, pointé d'ailleurs dans le rapport 2016 de la BAD sur l'efficacité du développement dédié à l'agriculture : « L'insuffisance des installations de stockage post-récolte ainsi que des méthodes de traitement inefficaces entraînent la perte de 30 à 40 % de chaque récolte. » Et pourquoi ne pas s'inspirer d'un pays comme le Kenya, où des silos ont été bâtis et des systèmes de refroidissement sont venus améliorer le stockage des denrées alimentaires ?, a-t-il suggéré.
Pour Lindiwe Majele Sibanda, l'une des vice-présidentes de l'Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA), réduire les pertes post-récoltes requiert aussi que les producteurs - même les plus petits paysans - adoptent et appliquent des technologies agricoles qui leur assurent une bonne rentabilité de leurs cultures.
« Aujourd'hui, l'idée, c'est de trouver comment amener les paysans à avoir de meilleurs résultats, a-t-elle lancé. Pour y arriver, nous avons besoin de mécanismes novateurs pour avoir accès aux financements et à la technologie. Aujourd'hui, il faut qu'un paysan ait la capacité de produire et de stocker. Mais pour ce faire, les gouvernements ont un rôle d'encouragement important à jouer, en baissant les taxes sur les matériels [machines agricoles] », a souligné Lindiwe Sibanda.
Commissaire à l'économie et l'agriculture rurale à l'Union africaine (UA), Josefa Sako juge elle aussi qu'il faut interpeller les pouvoirs publics. « Nous devons discuter d'avantage du sujet et cela doit continuer au niveau de l'Union africaine. Parce que les gens ne sont pas bien informés sur cette question des pertes post-récoltes », fait-elle valoir.
« Lors du prochain sommet de l'Union, il faudrait que les chefs d'Etats en soient informés et qu'ils prennent conscience [du problème]. Nous pouvons organiser une rencontre avec eux pour que les techniciens viennent leur expliquer la situation. Après, il va falloir trouver un consensus pour mettre fin à la faim d'ici à 2025 ».
Madame Sako a toutefois précisé que des mesures avaient été déjà prises au niveau de l'Union africaine pour répondre au problème, étape par étape. La première est en marche, a-t-elle dit : il s'agit de la mise en place de projets pilotes dans six pays du continent africain, en collaboration avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et la Fondation Rockefeller pour l'Afrique.
« Nous sommes en phase de mise en œuvre du projet, appuyé par un système de gestion des questions de post-récolte, a-t-elle précisé. A la fin, nous établirons une cartographie des initiatives post-récoltes sur le continent, nous définirons des indicateurs clés, nous établirons un mécanisme de coordination des pertes et nous élaborerons une stratégie post-récolte », a-t-elle conclu.