L'agriculture au Togo, qui emploie 70 % de la population active et contribue pour près de 39 % au produit intérieur brut (PIB) du pays, occupe une place prépondérante dans l'économie togolaise.
Dans le cadre de sa politique de modernisation de l'agriculture, le gouvernement togolais a bénéficié des conseils de la Banque africaine de développement (BAD) pour créer un projet de portemonnaie électronique qui a transformé la vie de nombreux producteurs agricoles du pays.
« Le projet est une réussite que le gouvernement entend étendre au secteur de l'énergie, en vue de fournir des kits d'électricité solaire à la population rurale. Les Togolais sont si fiers du succès du portemonnaie électronique qu'ils ont remercié le président de la Banque africaine de développement (BAD), M. Adesina, d'avoir présenté l'initiative au chef de l'État », a déclaré Serge N'Guessan, représentant-résident de la BAD à Lomé.
Tout a commencé en novembre 2015 : lors de sa visite officielle à Lomé, le président du Togo, Faure Gnassingbé, a sollicité auprès du président de la BAD, Akinwumi Adesina, l'assistance et les conseils de son institution pour endiguer la corruption dans le secteur agricole au Togo. Il s'agissait alors d'aider le gouvernement togolais à optimiser la commercialisation des engrais subventionnés vendus aux agriculteurs, à travers l'introduction d'un mécanisme de téléphonie mobile. Il s'agissait surtout de s'inspirer d'une expérience similaire conduite au Nigeria quand Akinwumi Adesina y était ministre de l'Agriculture.
À cet effet, le Bureau national de la BAD au Togo (TGBO) et les Départements agriculture et agro-industries (OSAN) et celui de l'Afrique de l'Ouest de la BAD, ont pris les dispositions utiles pour mettre en relation la partie togolaise et le ministère fédéral nigérian chargé de l'agriculture. L'entreprise privée qui avait développé la solution électronique de distribution des engrais au Nigeria a été mise à contribution. Plusieurs périples entre Lomé, Abidjan et Abuja ont ensuite été effectués. Résultat : grâce à une parfaite collaboration avec les opérateurs de téléphonie mobile, le portemonnaie électronique agricole, baptisé « AgriPME », a été plus tard lancé par Togocelullaire et Moov.
AgriPME ambitionne désormais d'assurer l'efficacité dans la gestion de la subvention des engrais octroyée aux agriculteurs vulnérables, de sécuriser le versement des subventions, tout en le rendant plus simple et plus transparent. Le projet entend également assurer la traçabilité et l'opportunité du versement aux agriculteurs nécessiteux. AgriPME est par ailleurs un instrument permettant de connaître en temps réel l'état du marché ainsi que la disponibilité des stocks d'engrais dans le pays. Il permet aussi de renforcer l'implication du secteur privé et de favoriser la création d'emplois, et de recueillir un nombre important d'informations sur le secteur et ses spécificités (âge, sexe, localisation, superficie cultivable, semences choisies, etc.).
Des milliers de bénéficiaires
L'opération touchera les producteurs dans les 5 régions du Togo. Outre les quelque 150 000 producteurs vulnérables qui ont chacun bénéficié d'une subvention consistant en 3 sacs de 50 kg d'engrais, le projet a permis :
La réception d'engrais et l'augmentation de la productivité des céréales, passée à 1,34 T/ha en 2016, contre 1,22 T/ha en 2015.
Le commerce de l'engrais a été soumis aux règles de l'économie de marché, en éliminant les circuits officiels trop dispendieux. Ainsi, la digitalisation des procédures de paiement d'engrais a réduit de 4 % le coût de l'engrais rendu au paysan, en éliminant l'obligation de recourir à plusieurs intermédiaires étatiques.
La création de 325 emplois indirects à travers l'extension des points de distribution du « mobile money » (paiement par téléphone) et de l'utilisation de la téléphonie mobile en milieu rural et la création d'entreprises de distribution d'engrais dont le redéploiement des magasins sur l'ensemble du territoire national a été accompagné.
Le dispositif de paiement d'engrais par téléphonie mobile a réduit la circulation du numéraire tout en diminuant le niveau de corruption et de détournement d'engrais.
Enfin, le pays fait toujours face à un faible niveau de transformation structurelle, son économie étant dominée par l'agriculture qui représentait 39 % du PIB en 2016. L'agriculture concentre 70 % de la population active et 72,6 % des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Au Togo, avec l'augmentation du niveau de productivité obtenue grâce à une meilleure distribution des engrais, la valeur ajoutée par an et par actif agricole est passée de 996 en 2015 à 1 004 dollars EU en 2016.
Pour mener à bien ce projet, des équipes de terrain se sont rendues sur l'ensemble du territoire pour identifier individuellement les agriculteurs les plus vulnérables, recueillir les informations pertinentes (âge, sexe, surface cultivable, etc.) puis les enregistrer dans un système d'information agricole.
Une fois l'ensemble des agriculteurs vulnérables identifiés, l'Etat a ensuite versé le montant global de la subvention aux opérateurs de téléphonie mobile (Moov et Togo Cellulaire), qui l'ont convertie en monnaie électronique. Ainsi, chacun des deux opérateurs a créé un portemonnaie électronique pour des distributeurs agréés auprès desquels les agriculteurs viennent acheter l'engrais avec leur subvention.
Puis, le montant des subventions est crédité et réparti sur le portemonnaie électronique de chaque agriculteur bénéficiaire. Concrètement, chaque agriculteur reçoit 9 000 francs CFA sur son AgriPME. Cette subvention de l'Etat couvre 30 % à 50 % du montant des intrants, les agriculteurs devant prendre en charge la différence. Pour ce faire, ils doivent recharger le restant à payer sur leur portemonnaie électronique, ou bien régler en espèces leur dû directement auprès des distributeurs. Ainsi, le règlement de l'achat des intrants est effectué par transfert depuis le portemonnaie électronique de l'agriculteur vers celui du distributeur ! Enfin, et ce n'est pas le moindre avantage, le distributeur peut solliciter l'opérateur mobile concerné pour procéder au reversement des sommes collectées via son portemonnaie électronique, suivant le mode de paiement qu'il aura choisi (chèque, virement bancaire, espèce).
AgriPME, un projet susceptible de séduire d'autres pays africains
Face à l'engouement suscité par le projet, la Banque compte le répliquer dans d'autres pays membres régionaux (PMR). « La numérisation est un bon levier pour l'économie africaine. Accroître la digitalisation de l'Afrique, contribuera à moderniser les économies de la région », de l'avis du président Adesina.
En outre, le projet contribuera à mieux cerner la problématique de la maîtrise du canal des aides publiques accordées aux exploitants agricoles, en assurant une gestion efficace et transparente de la subvention octroyée aux agriculteurs vulnérables. Le projet permettra donc à la fois d'engager des actions urgentes pour fiabiliser les listes des bénéficiaires identifiés dans les pays et de favoriser l'inclusion financière des exploitants. De manière spécifique, l'appui de la Banque a consisté, au-delà de facilitation d'échanges d'expérience avec la partie nigériane, principalement en une assistance technique à travers un appui conseil tout au long du développement, de la mise en œuvre de l'AgriPME et du processus de libéralisation de la distribution d'engrais au Togo. Le gouvernement a donc financé sur le budget de l'État cette phase-pilote estimée à environ 1,22 milliard de FCFA.
Le soutien financier de la Banque viendra dans le cadre de l'appui budgétaire en cours de préparation pour permettre de renforcer, d'institutionnaliser cette initiative et d'atteindre ainsi un plus grand nombre d'agriculteurs. La Banque prépare également, avec le gouvernement togolais, un projet d'électrification solaire, à travers le système de paiement mobile pour les populations rurales (CIZO). Il est prévu par ailleurs que ce projet utilise la plateforme AgriPME.
Opportunités pour les populations vulnérables
Malgré des conditions naturelles peu favorables (invasion de chenilles ravageuses, effet du changement climatique), la campagne agricole au Togo 2016/2017 a été nettement meilleure qu'en 2015/2016, grâce à l'efficacité du réseau de distribution des engrais et à sa disponibilité à temps. Par exemple, la production du maïs, un aliment essentiel pour les familles togolaises et particulièrement cultivé par les agriculteurs vulnérables, est passée de 794 661 tonnes lors de la campagne 2015/2016 à 826 896 tonnes au cours de la campagne 2016/2017. Par ailleurs, avec la même subvention de 1,5 milliard de francs CFA que l'État togolais consacre à l'achat et à la distribution des engrais à chaque campagne agricole depuis 2009, pour la première fois, 44 000 tonnes d'engrais avaient été mises en place sur le terrain à la fin de décembre 2016, contre 30 000 tonnes d'engrais en moyenne sur la période 2009 à 2015. Ce qui signifie une augmentation de 45 %.
Le projet aura permis d'identifier 151 143 agriculteurs vulnérables au final. Après contrôle et vérification des informations fournies par les agriculteurs, seuls 77 542 ont reçu une subvention sur leur téléphone portable, dont 30 485 femmes (38 %). Les bénéficiaires sont des agriculteurs vulnérables identifiés selon les critères suivants :
- être résident dans le village durant les trois dernières années ;
- être un actif agricole âgé entre 18 et 60 ans ;
- disposer de 0,25 à 1 ha de superficie cultivable et géo-localisée, consacrée à l'une des cultures éligibles au projet (maïs, riz, sorgho, etc.) ;
- bénéficier d'un encadrement technique de proximité et être réceptif aux innovations ;
- utiliser des semences améliorées ;
- être disposé à reconstituer chaque année le kit d'intrants subventionné dont on est bénéficiaire;
- avoir reçu la caution du comité villageois ou cantonal de supervision du programme.
Le projet AgriPME, à l'image d'autres initiatives de digitalisation de distribution d'intrants agricoles, constitue une opportunité sans précédent susceptible de permettre aux populations vulnérables d'accéder aux systèmes de paiement et aux services financiers à long terme. Il est par ailleurs une opportunité d'inclusion des 3 millions de personnes ciblées et identifiées dans la base de données électronique de l'AgriPME. Environ 40 % des producteurs vulnérables sont des femmes. Ce qui montre que le projet aura potentiellement un grand impact sur l'inclusion financière des femmes vulnérables.