Du Kenya à la Tanzanie, de l'Ouganda à l'Éthiopie, le bruit familier des groupes électrogènes est sur le point de disparaître du quotidien de millions d'Africains. Depuis le début des années 2000, ces pays de l'Afrique de l'Est étaient régulièrement confrontés à d'importantes pénuries d'électricité. Mais les usagers de ces petits moteurs utilisés pour faire face aux fréquents délestages s'apprêtent à s'en séparer, avec la mise en service prochaine d'une ligne de transmission assurant l'interconnexion électrique entre le Kenya et l'Éthiopie. Cette ligne doit entrer dans sa phase opérationnelle dans le courant de l'année 2019. Elle fournira à tous de l'électricité sans interruption.
Né en 2012, ce projet répond à l'une des cinq grandes priorités que sont les High 5 de la Banque africaine de développement, « Éclairer l'Afrique ». Avec des partenaires institutionnels, la Banque s'est mobilisée pour la réussite de ce projet d'interconnexion électrique entre le Kenya et l'Éthiopie. En 2019, 870 000 ménages supplémentaires et 550 000 entreprises et industries devraient enfin bénéficier d'un accès permanent à l'électricité. D'un coût de 1,26 milliard de dollars, le projet a été co-financé par la Banque africaine de développement (338 millions de dollars), la Banque mondiale (684 millions), l'Agence française de développement (118 millions), le gouvernement kényan (88 millions) et le gouvernement éthiopien (32 millions).
L'interconnexion est réalisée par une ligne de transport de 1 068 kilomètres (437 km en Éthiopie et 631 km au Kenya), en courant continu haute tension de 500 kilovolts. Elle dispose d'installations connexes à Wolayta-Sodo (Éthiopie) et Suswa (Kenya). En décembre 2020, elle disposera d'une puissance de transfert d'électricité pouvant atteindre 2 000 mégawatts. Assez pour aussi fournir de l'électricité au Burundi, à l'Ouganda, à la République démocratique du Congo et au Rwanda, interconnectés pour leur part, à travers un autre projet dénommé Projet d'interconnexion des réseaux électriques des pays des lacs équatoriaux du Nil. Celui-ci, lancé en 2009, doit s'achevé en 2021. La mise en place de 769 km de lignes de transport d'électricité de 220 et 110 kV et de 17 transformateurs compose le projet financé à hauteur de 141 millions de dollars par la Banque africaine de développement.
L'Éthiopie, un poumon réanimé
Avec sa forte production à venir, l'Éthiopie deviendra ainsi le géant de l'énergie en Afrique de l'Est, tandis que le Kenya sera l'épicentre du commerce de l'électricité dans cette partie du continent. « Ce projet va créer des possibilités d'échanges énergétiques entre l'Éthiopie et le Kenya et dans la région de l'Afrique de l'Est en améliorant l'accès à l'électricité à des prix abordables et en renforçant les échanges transfrontaliers, avait souligné, au lancement du projet, en mai 2013 , Gabriel Negatu, directeur à l'époque du Centre régional de ressources de la Banque pour l'Afrique de l'Est. « Il offrira également aux pays disposant d'une capacité de production d'électricité excédentaire, comme c'est le cas de l'Éthiopie, une vraie opportunité de générer des revenus. »
L'Éthiopie dispose d'un potentiel énergétique suffisant pour éclairer tout le continent, soit une capacité de production de 45 000 Mégawatts (MW). Cependant, le pays souffrait encore d'équipements vieillissants ou mal entretenus. De quoi affecter les petits commerces dépendant de l'électricité et rendre florissant le commerce de générateurs dans tout le pays. La mise en service de l'interconnexion avec le Kenya permet ainsi au pays de renouveler ses équipements et d'exploiter une partie de son potentiel. Si le gouvernement éthiopien vise une capacité hydroélectrique de 17 000 MW en 2020 grâce à la contribution du projet d'interconnexion, le pays pense atteindre les 40 000 MW à l'horizon de 2025 grâce aux eaux du Nil.
En 2017, via son Fonds africain de développement, la Banque a accordé à l'Éthiopie un financement de 97,79 millions de dollars pour la rénovation de son réseau électrique et l'amélioration de son système de transmission électrique. Cela représente 545 km de lignes moyenne tension, avec 582 transformateurs de distribution et 14 sous-stations primaires à installer. Le projet doit s'achever en 2023.
Au Kenya, il demeure difficile pour les ménages d'avoir de l'électricité tout au long de la journée. Le pays est un champion africain de la géothermie, mais sa production ne suffit pas à assurer l'autosuffisance du territoire en énergie électrique. Sa capacité de production installée est de 2 370 MW et la demande de pointe s'élève à quelque 1 770 MW. Le projet d'interconnexion lui sera donc bénéfique. « Le projet devait initialement permettre de transférer 400 MW d'électricité de l'Éthiopie vers le Kenya, mais des négociations étaient en cours pour mieux adapter la capacité de la ligne à la demande kényane », indiquait Joseph Njogore, premier secrétaire au ministère kényan de l'Énergie, lors d'un Forum sur l'énergie organisé en août 2018, à Nairobi.