Connue sous le nom de Cilium sous l'Empire romain, Kasserine est une cité au patrimoine singulier. Une ville située au centre-ouest de la Tunisie où perdure, à travers les générations, un savoir-faire artisanal qui fait sa renommée.
Najet Salhi est originaire de Kasserine. Assise, d'un air déterminé, elle tient dans ses mains deux touffes d'alfa. Utilisée depuis le 19ème siècle, cette plante fibreuse doit être manipulée avec soin. Coupée, séchée puis tressée, la matière est transformée en paniers et conteneurs de toutes formes. C'est un labeur qui peut prendre des heures pour arriver au produit fini. « Avant, nous préparions l'alfa et la vendions en l'état à l'usine de papier », se souvient Najet. « Aujourd'hui, nous la récoltons et réalisons des produits artisanaux que nous vendons. Nos revenus ont augmenté et la préparation semble moins difficile », explique-t-elle. Cette artisane fait partie des femmes qui ont bénéficié de formations spécialisées. Réalisée dans trois ateliers de la ville, la majeure partie de leur production est vendue dans la capitale, Tunis.
Il y a quelques années, une coopérative artisanale basée à Kasserine a vu le jour : « Zazia Artisanat ». Son fondateur, Taoufik Saudi, l'a financée grâce à une subvention du programme Souk At-tanmia. Cette initiative d'appui à l'entrepreneuriat, dotée d'environ 8 millions d'euros, a été lancée en 2012 par la Banque africaine de développement avec une vingtaine de partenaires. Taoufik, lui-même kasserinois, est diplômé d'une école de commerce. Après des études au Japon, il est revenu dans sa région natale. « Je n'avais pas beaucoup d'argent au début, raconte-t-il. J'ai démarré avec un petit projet mais j'ai persévéré. Souk At-tanmia est un bon système car il combine aide financière et accompagnement technique. Cela m'a aidé à démarrer mon projet ». La coopérative a fini par créer une vingtaine d'emplois.
Afin de soutenir l'entreprenariat, le programme Souk At-tanmia finance les entrepreneurs par des dons d'amorçage dont les montants sont compris entre 5 000 et 15 000 dollars américains. Une attention particulière est accordée aux entreprises portées par des femmes et des jeunes dans les régions dites « prioritaires » de la Tunisie, notamment Gafsa, Médenine, Tataouine, Sidi Bouzid, Kairouan, Seliana, Kasserine, Kef et Jendouba.
À Nabeul, à plus de 200 kilomètres au nord-est de Kasserine, Emna Ben Mustapha, la trentaine, s'affaire dans sa ferme aquacole. Son travail relève de l'orfèvrerie : elle prépare, dans un silence absolu, des gélules, de la poudre et des paillettes, le tout à base de spiruline. Cette micro-algue est réputée pour ses bienfaits antioxydants, nutritionnels et purifiants. Emna a su saisir l'opportunité de servir une demande grandissante pour les produits bio et « healthy » (sains). Après un master en biologie marine, elle fonde avec son mari Bilel, une unité de production de spiruline, AquaSpir. « C'est une algue aux mille vertus : fer, magnésium, calcium et vitamines (...) un des aliments les plus riches qui soit », explique-t-elle.
Dotée d'une douzaine de bassins de culture, AquaSpir produit 1,2 tonne de spiruline par an et emploie six personnes à temps plein. Pour plus d'efficience et de qualité, Emna a même installé des panneaux photovoltaïques et n'utilise que de l'eau du puits. Ses produits, vendus auparavant par des intermédiaires, sont aujourd'hui commercialisés sous sa propre marque dans les parapharmacies et enseignes spécialisées. « Nous étions focalisés sur le marché français, précise-t-elle. Grâce au financement et à l'accompagnement de Souk At-tanmia, nous avons pu nous développer à l'international vers d'autres pays comme l'Italie, le Yemen ou encore le Pakistan. Nous envisageons de monter à deux tonnes de production par an, en portant nos effectifs à dix employés. »
Comme une majorité d'entrepreneurs tunisiens, Emna et Taoufik se trouvent aujourd'hui menacés par les conséquences de la pandémie de Covid-19. Selon une enquête conduite par le programme, les entreprises bénéficiaires accusent, en moyenne, une baisse d'environ 60% de leur chiffre d'affaires, et la moitié de leurs emplois sont menacés. Dans ce contexte, Souk At-tanmia, appuyé par ses partenaires britanniques, américains et danois, a déployé un nouveau dispositif de soutien financier et technique pour préserver ces entreprises et faciliter la reprise ou la poursuite de leurs activités. Il s'agit de protéger les emplois, sécuriser les revenus et engager, en partenariat avec l'initiative « Africa vs Virus Challenge », une reconversion par l'innovation. Car chaque crise génère de nouvelles opportunités à saisir.
Depuis son lancement, le programme Souk At-tanmia a permis l'émergence de 250 nouvelles entreprises et créé plus de 2 000 emplois dans l'industrie, les services, l'agriculture, les énergies renouvelables, l'artisanat et le tourisme. Près des deux tiers des structures sont gérées par des jeunes, plus d'un tiers par des femmes. Plus de 60% des entrepreneurs sont issus des régions prioritaires de la Tunisie.