Jamais l'Afrique n'a perçu plus forte proportion d'investissements du secteur privé dans les infrastructures qu'en 2020 - un signal fort aux gouvernements et aux investisseurs.
C'est notamment ce qu'a souligné le vice-président de la Banque africaine de développement chargé du Secteur privé, des Infrastructures et de l'Industrialisation, Solomon Quaynor, lors d'un webinaire organisé par la Banque africaine de développement et l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA), le 24 août. L'événement en ligne se tenait en amont de la huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (dite TICAD), qui a eu lieu en Tunisie, les 27 et 28 août 2022.
La hausse des investissements du secteur privé est intervenue dans un contexte où la plupart des gouvernements africains étaient confrontés à la pandémie de Covid-19, à une capacité budgétaire réduite et à des ratios dette/PIB élevés, a indiqué M. Quaynor. " Les investissements du secteur privé dans les infrastructures en Afrique ont atteint 19 milliards de dollars en 2020, soit 23 %, le niveau le plus élevé depuis 2016. Ce rôle anticyclique joué par le secteur privé montre l'importance de son implication croissante dans le financement des infrastructures en Afrique ", a-t-il ajouté en clôture du webinaire, intitulé " Opportunités de développement des infrastructures du secteur privé en Afrique ".
Dans son allocution d'ouverture, Keichiro Nakazawa, vice-président principal de l'Agence japonaise de coopération internationale, avait annoncé que les échanges porteraient sur les perspectives de croissance des pays africains et le rôle du secteur privé dans la mise en place d'infrastructures durables et de qualité.
Rami Ghandour (Metito), Tshepidi Moremong (Africa50), Vuyo Hlompho Ntoi (African Infrastructure Investment Managers) et Yoshio Kushiya (Sumitomo Corporation) composaient le panel ; rejoints par des représentants des principales institutions de financement du développement - Shohei Hara de la JICA, Mike Salawou de la Banque africaine de développement et Sue Barrett, directrice de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
L'occasion de partager les points de vue, d'évoquer les succès mais aussi les défis à relever pour combler le déficit d'infrastructures de l'Afrique, dont le montant oscillerait entre 67 et 107 milliards de dollars. Vivek Mittal, PDG de l'Association pour le développement des infrastructures en Afrique, modérait les débats.
Quatre pays africains - Kenya, Afrique du Sud, Ghana et Nigeria - ont attiré la majorité des investissements du secteur privé au cours des deux dernières années, a noté M. Mittal. Et de préciser que l'activité numérique dans le domaine des transports et de l'électricité a suscité le plus grand intérêt. L'assainissement urbain - un élément clé des infrastructures - demeure à la traîne.
" Les projets prennent trop de temps, 8 à 10 ans, en Afrique ", a déploré Vivek Mittal, ajoutant que le lent développement de talents locaux s'avère un autre inconvénient.
La solide réserve de projets d'Africa50 dans ses secteurs prioritaires - énergie, transports, ports, ponts, TIC, santé et éducation - est une preuve suffisante que le continent dispose de projets viables, a déclaré Mme Moremong. L'équipe chevronnée qui est chargée des investissements au sein du groupe travaille en étroite collaboration avec les institutions de financement du développement et les banques commerciales, afin de s'assurer que leurs projets viables se poursuivent.
Et de citer l'exemple de Kigali Innovation City - un village technologique qui sort des sentiers battus en matière d'innovation. Le Rwanda, dont l'économie repose sur l'agriculture, considère la diversification de ses secteurs comme essentielle.
" Le succès de ce projet repose sur la volonté politique et les capacités des deux sponsors, le Conseil de développement du Rwanda et les investisseurs ", a ajouté Mme Moremong. Qui a indiqué que les parties avaient eu des discussions approfondies sur la répartition des risques, l'un des principaux freins à l'investissement. Entre autres obstacles d'ordre général qui ont été évoqués, figurent le nombre de transactions limité, la qualité médiocre des études de faisabilité, des études techniques et des plans d'affaires, outre les retards dans l'obtention des autorisations.
Principal bailleur de fonds du continent en matière d'infrastructures, la Banque africaine de développement a conclu, en juillet 2022, un important projet d'infrastructure de transport en partenariat public-privé au Kenya, le PPP routier Nairobi-Nakuru-Mau Summit. Il s'agit du premier projet routier en PPP au Kenya, d'un investissement de 150 millions de dollars, que la JICA envisage également de soutenir. " Nous aimerions nous associer à la JICA pour en faire davantage ", a déclaré Mike Salawou. Lequel a indiqué que la Banque, en début d'année, avait cofinancé avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement le projet de port de Nador West Med, au Maroc.
La longue tradition de collaboration de la JICA avec les gouvernements devrait laisser la place à un nouvel état d'esprit, a déclaré Shohei Hara, d'autant que ceux-ci envisagent une plus grande participation dans les infrastructures financées par le secteur privé. " Les gouvernements doivent changer d'état d'esprit, et il en va de même pour nous ", a-t-il dit.
Il a également souligné le rôle des partenaires multilatéraux tels que la Banque africaine de développement dans l'atténuation des risques liés notamment au change, à la politique, à la réglementation, aux politiques et aux obligations de paiement.
M. Quaynor a indiqué qu'il avait rencontré, lors d'un récent voyage en Afrique du Sud, plusieurs entreprises clés du secteur privé japonais qui ont leur siège régional à Johannesburg et qui sont engagées dans de multiples secteurs d'infrastructures.
" Compte tenu de la maturité des marchés japonais, ces entreprises se développent de façon stratégique à l'échelle mondiale, mais elles ont des attentes claires en matière de rendement ajusté au risque ", a-t-il déclaré. " Il est bon de voir que nous nous sommes concentrés sur les solutions ".
Solomon Quaynor a également mis l'accent sur l'Alliance pour les infrastructures vertes en Afrique, dirigée par la Banque africaine de développement, Africa50 et plusieurs partenaires internationaux et africains - Commission de l'Union africaine et AUDA-NEPAD, Fondation Rockefeller, Banque européenne d'investissement, Banque européenne pour la reconstruction et le développement, Agence française de développement et Forum africain des investisseurs souverains. L'Alliance entend développer rapidement et à grande échelle des infrastructures vertes et intelligentes dans les secteurs de l'énergie, des transports, de l'eau et de l'assainissement, des TIC, des soins de santé et des infrastructures urbaines et rurales.
" Nous incitons la JICA et la JBIC (Japan Bank for International Cooperation) à envisager de soutenir ce mécanisme avec des fonds concessionnels et des dons. Nous invitons également les entreprises japonaises du secteur privé à participer à un capital commercial patient à même de garantir que des projets d'infrastructure verte d'envergure se développent rapidement en Afrique ", a ajouté le vice-président de la Banque africaine de développement chargé du Secteur privé, des Infrastructures et de l'Industrialisation.