Interview avec Gilbert Mbesherubusa - L'infrastructure, priorité absolue pour l'Afrique

28 Mai 2010
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African Development Bank (Abidjan)
communiqué de presse

L'Afrique présente toujours un déficit important en matière d'infrastructures. Il s'agit là d'un obstacle majeur pour le développement économique et l'amélioration des conditions de vie des populations. Comment la Banque s'attèle-telle à aider le continent à surmonter cet obstacle?

Le déficit d'infrastructures reste important en Afrique. En milieu rural, seulement un tiers (34%) de la population du continent vit à moins de 2 km d'une route praticable en toute saison, alors que cette proportion est de pratiquement deux tiers (65%) dans d'autres régions du monde en développement. L'accès aux services sociaux pour les populations et l'essor de la production agricole s'en trouvent énormément contraints.

A cette faible connectivité s'ajoutent l'état déficient du réseau routier (dont, en Afrique Centrale par exemple, moins de la moitié, 49%, est en bon état) et les faibles performances des services de transport, environ 4 fois plus coûteux que dans d'autres régions du monde en développement et particulièrement lents (avec des vitesses de transit des marchandises le long des principaux corridors routiers comprises entre 6 et 12km/h).

Regardons maintenant le cas de l'énergie. En Afrique subsaharienne, seule une personne sur cinq a accès à l'électricité. Plus de 30 pays africains ont une production énergétique insuffisante et connaissent des coupures d'électricité fréquentes, qui endommagent les équipements des industriels, induisent des pertes de production (estimées à 6% du chiffre d'affaires du secteur formel et à 16% du secteur informel qui ne dispose pas de générateurs de secours) et découragent les investissements. Le coût économique global de ces déficiences est estimé à 2% du PIB.

La BAD, en finançant la réalisation d'infrastructures, contribue à résoudre cette situation qui pénalise les conditions de vie des populations et handicape sérieusement la compétitivité et l'attractivité économique du continent. En 2009, la Banque a ainsi engagé 6,3 milliards USD pour des nouveaux projets d'infrastructures, représentant 52% du total des engagements du Groupe de la Banque au cours de l'année. 57% sont allés au secteur de l'énergie, 33% au secteur des transports et 8% au secteur de l'eau et de l'assainissement.

Les partenariats public-privé constituent également une option importante de développement pour les infrastructures, qui est soutenue par la Banque. A ce titre, la BAD a alloué en 2009, 21% du volume de ses nouvelles opérations du secteur privé (au total 1,9 milliards USD) aux infrastructures.

Enfin, je voudrais mentionner la question clé de la connaissance des infrastructures, sur laquelle la Banque travaille notamment dans le cadre de l'initiative «Africa Infrastructure Country Diagnostic», lancée en partenariat avec les principaux bailleurs de fonds du Continent en infrastructure.

Cette initiative a permis d'établir récemment un diagnostic inédit des infrastructures dans 24 pays du continent, faisant un état très complet de la situation, des principaux problèmes et des besoins dans les différents secteurs (énergie, eau, transport et technologies de l'information et de la communication - TIC). Cette initiative est en voie d'extension et devrait couvrir prochainement l'ensemble des pays du continent.

Les activités en faveur du secteur des infrastructures se sont considérablement intensifiées au titre du FAD 11 pour représenter près de 62 % de toutes les approbations de la Banque (contre 52 % pour le FAD 10). Comment les priorités sont-elles définies et les financements mobilisés face à des besoins toujours croissants?

Les investissements dans les infrastructures ont effectivement augmenté avec le FAD 11, ainsi que la taille individuelle des projets, avec un accent qui a davantage été porté sur les projets d'intégration régionale. Ces orientations devraient être réaffirmées et même renforcées dans le cadre du FAD 12 qui cherchera, en plus, à développer des synergies avec le secteur privé (projets en PPP) ainsi que le cofinancement avec d'autres partenaires au développement.

Dans les transports, les priorités restent sur le développement des corridors régionaux, des routes nationales et rurales ainsi que les besoins des centres urbains qui sont de plus en plus exprimés. Pour l'énergie, l'accent est mis sur l'augmentation de la capacité de production d'électricité, en particulier par des sources propres (centrales hydroélectriques, éoliennes et énergie solaire) et sur l'extension des réseaux de transmission et de distribution, avec un appui particulier au développement des pools énergétiques régionaux.

Dans l'eau et l'assainissement, les priorités vont vers l'approvisionnement en eau et l'assainissement dans les zones urbaines et rurales, avec un accent particulier sur les zones rurales où vivent la majorité de nos populations. Dans le domaine des technologies de l'information et de la communication (TIC), les investissements iront vers la réalisation des réseaux TIC à large bande, des systèmes sous-marins internationaux, des réseaux nationaux et ruraux.

Au niveau pratique, la sélection des projets d'infrastructures financés par la BAD reste orientée par la demande et s'effectue de concert avec les pays membres régionaux. La programmation des opérations s'inscrit dans le cadre des documents de stratégie pays à moyen terme, couvrant l'ensemble des secteurs d'intervention de la Banque et discutés avec les pays.

Du côté des Etats, cette programmation s'inscrit généralement dans le cadre des documents nationaux de planification sectorielle à moyen terme, ou répond aux demandes les plus pressantes de rétablissement des infrastructures prioritaires (dans le cas des Etats fragiles, par exemple).

La maintenance semble être la clé de voûte pour atténuer le coût du financement. Une prise de conscience des partenaires de la BAD s'est-elle opérée et que fait la Banque pour accentuer cette tendance?

L'étude AICD, que je citais précédemment, a recensé différents facteurs d'inefficience dans la gestion des infrastructures. Ces facteurs représentent un coût annuel que les experts évaluent à 7,5 milliards USD par an pour l'ensemble des secteurs (énergie, eau, transport et TIC). L'entretien insuffisant des infrastructures pèse pour 19% dans ce coût total, le reste provenant des recettes non collectées, qui représentent le plus gros poste (39%), des pertes de distribution (24%) et des sureffectifs, notamment dans les structures publiques (17%).

L'entretien est donc un élément important, parmi d'autres, de la maîtrise du coût global des infrastructures.

Dans le domaine des routes, il est démontré qu' un dollar dépensé dans l'entretien routier permet d'économiser quatre dollars en réhabilitation. Malgré cela, le niveau de ressources allouées à l'entretien routier reste insuffisant dans un pays sur deux de l'échantillon des vingt quatre pays étudiés par l'AICD.

Cette situation touche principalement les pays à faible revenus, en particulier ceux ayant le moins progressé dans les réformes sectorielles (création d'un Fonds d'entretien routier, mise en place d'une taxe spéciale sur les carburants, d'un niveau suffisant).

L'étude AICD relève également que les coûts d'entretien routier sont plus élevés en Afrique que dans le reste du monde, et même deux fois plus élevés qu'en Asie.

Ce constat soulève le problème de la compétitivité insuffisante du secteur de la construction en Afrique, et notamment la question du positionnement des entreprises domestiques sur ce marché. La Banque ne cesse de rechercher des solutions pour la promotion de l'industrie domestique de la construction routière, ce qui devrait permettre de progresser sur ce plan.

Les difficultés de financement de l'entretien se posent également dans des secteurs où, pour des raisons sociales, le prix de vente des services est inférieur à leur coût total de production, incluant l'amortissement et l'entretien des infrastructures. C'est le cas du secteur de l'énergie où les tarifs ne recouvrent, en moyenne en Afrique, ne représentent que 75% des coûts totaux.

Dans le cas de l'énergie, cette situation s'explique par des niveaux exceptionnellement élevés du coût de la production d'électricité, du fait de systèmes nationaux de petite taille et d'un large recours aux centrales thermiques. L'électricité se vend en moyenne, en Afrique, 0,14 USD par kilowattheure (pour des coûts de production de l'ordre de 0,18 USD par kilowattheure), ce qui est entre deux fois et trois fois plus cher qu'en Asie.

La Banque finance des programmes d'interconnexions régionales des réseaux d'électricité qui permettent d'accéder à des sources de production plus économiques et élargir les marchés des compagnies d'électricité. Il en résulte à la fois des baisses substantielles de tarifs, un meilleur recouvrement des coûts totaux de production et des économies d'échelle qui rendent possible l'entretien des infrastructures.

Ainsi, la BAD ne finance pas directement, pour le moment, l'entretien des infrastructures mais certaines de ses interventions concourent à renforcer la capacité des Etats à maintenir leur patrimoine.

De plus, la Banque s'assure systématiquement de la durabilité des infrastructures réalisées avec son appui, notamment au travers les dispositions inscrites dans ses accords de financement. Ces dispositions visent à la fois l'entretien des réalisations, mais aussi leurs conditions d'exploitation (comme, par exemple dans le cas des projets routiers, la mise en oeuvre des réglementations de maîtrise des surcharges routières).

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