Au cœur de l'exposition IncarNations inaugurée ce vendredi à Bozar, se croisent les regards du collectionneur congolais (Sindika Dokolo) et de l'artiste sud-africain (Kendell Geers). Parallèlement, la recherche des trésors africains perdus continue. L'objectif de la Fondation Dokolo reste le même : reconstituer la collection du musée de Dundo, pillée lors de la guerre en Angola. A Bozar, l'avis de recherche, gigantesque, s'affiche sur deux murs pleins. Une première qui interpelle les visiteurs. Explications
Du sol au plafond, des photos d'objets d'art se succèdent, assorties de petites fiches d'identité : description, taille, matériau, origine, région, tribu, localité, nom de l'artiste, période,… Certaines fiches sont très détaillées, d'autres un peu moins mais les photos et la provenance, elles, ne laissent pas de place au doute. Cet avis de recherche gigantesque a pour but d'intriguer, d'interpeller, de témoigner.
Située en plein cœur de l'exposition IncarNations, cette pièce dédiée à la collection de Dundo «pique les yeux», de l'avis même de son instigateur… «On y voit toutes les pièces volées au musée de Dundo.» Avec patience et détermination, le collectionneur Sindika Dokolo s'est donné pour mission de les retrouver et de les ramener en Angola. Et cette volonté paie. Il y a un an déjà, de passage à Bruxelles, il avait pu annoncer la restitution de six œuvres majeures à l'Angola. Les 6 premières pièces, récupérées l'an dernier, ont été rapatriées à Luanda en octobre. Quatre autres trésors retrouvés devraient bientôt être rapatriés.
«Le but de cette installation en plein cœur de Bozar est de créer un appel du pied et de montrer que les choses avancent afin que la restitution devienne quelque chose de normal. Les mentalités évoluent… Par exemple, il y a un masque sur lequel on travaille depuis de nombreuses années. Au printemps 2017, on nous signifiait qu'il était hors de question d'en discuter. Et aujourd'hui, par intermédiaire interposé, les choses avancent. Nous avons fait en sorte que tous les objets dérobés durant le saccage du musée soient affichés sur ces murs. Souvent, les acteurs du marché se protègent en disant que la collection n'est pas publiée et qu'on ne sait pas quels objets sont volés. Cette fois, les choses sont claires, plus personne ne peut en douter.» Sa voix trahit un mélange d'ironie et de satisfaction.
Retrouver la mémoire fantôme de l'Afrique
« Les six photos agrandies en format A5 présentent des œuvres recherchées par Interpol. Celles qui sont présentées en format intermédiaire, sont des pièces qui sont passées sur le marché récemment et que l'on recherche activement » précise précise Catherine Goffeau, chargée des relations internationales de la Fondation Dokolo.
«La Belgique est clairement concernée. On sait qui possède les œuvres et on sait qui ils sont. Ce sont des personnes qui ont beaucoup fait pour l'art classique africain et qui ont des collections phénoménales. Aujourd'hui, on leur dit: tout ce qu'on veut, c'est pouvoir négocier une charte morale. S'ils veulent vendre qu'ils donnent un « right of first refusal » (droit de préemption) à des collections africaines, dont la mienne, explique Sindika Dokolo. Je l'ai déjà dit : je suis prêt à racheter ces pièces. Il est important qu'on se rende compte que le marché de l'art ne peut plus fonctionner comme par le passé. De la même manière qu'on ne peut plus exposer des os humains ou qu'il y a de plus en plus de collectionneurs africains et afrodescendants. Cette diversité d'intérêt et ces nouvelles règles sont bonnes pour le marché. Cela crée une autre dynamique.»
En marge de l'exposition inaugurée ce vendredi à Bozar, qui croise les regards du collectionneur congolais (Sindika Dokolo) et de l'artiste sud-africain (Kendell Geers), la recherche des trésors africains perdus continue donc. « Ces œuvres, c'est la mémoire fantôme de l'Afrique: ce membre amputé que l'on continue à sentir et qui continue à nous faire souffrir. Le monde entier est orphelin de cette Afrique où régnaient des Rois qui étaient les égaux des monarques européens » souligne Sindika Dokolo.
« Cette exposition est née d'une réflexion que m'a faite Kendell, confie-t-il. C'est lui qui m'a fait prendre conscience que mes deux collections n'en formaient qu'une. Qu'il ne fallait pas mettre de la distance entre le passé et le présent. Ne pas classer les objets comme s'ils étaient seulement ethnographiques ou rattachés au passé mais bien comme ayant un message et un impact aujourd'hui. Cette exposition permet de rappeler que notre histoire n'a pas commencé lorsque le premier Portugais a posé le pied en Afrique. Ces objets servent de médium entre le monde invisible et le monde usuel. Pour en arriver au cri de Munch, il en a fallu du temps et du travail. »
Finalement, l'art africain n'est pas une question de géographie, rappelle le collectionneur. « Ce qui le rend unique, c'est le fait que lorsque vous le regardez, il vous fixe jusqu'au plus profond de l'âme. Ce sont des œuvres dont on sent la présence de façon très forte, c'est la même émotion qu'on ressent chez Basquiat. Cela a été tellement fort pour moi que je me sens obligé de participer à cette quête aujourd'hui. Ressourçons-nous et revenons avec un nouveau regard sur l'art africain. »
Le fil d'Ariane de l'exposition IncarNations, « c'est que l'on éprouve la même émotion face à l'art contemporain et à l'art classique, cela traverse les âges. Ce ne sont pas des œuvres à laisser sous cloche. L'idée est que le public s'y confronte. Le choix audacieux de Bozar est de se poser la question de la pertinence même des musées. C'est le chemin qu'ils sont prêts à prendre aujourd'hui. A l'heure du digital, un musée ne doit pas rester fermé mais doit s'ouvrir, entrer en interaction avec le public. On n'est plus au temps des cathédrales, des vastes bâtiments impressionnants et figés. »
Au fil de la visite, l'art africain se dévoile comme une philosophie de vie, un art d'expression et de résilience. Au sein de différentes installations, photographies, tableaux, vidéos et œuvres contemporaines répondent en miroir à d'autres créations, leurs vénérables sœurs aînées. En les enveloppant d'un même regard circulaire, le public perçoit les convergences, les dissonances et les réponses. Magie du temps qui s'efface, d'un bout à l'autre du continent, dans le kaléidoscope des nations noires.