Riche de ressources et d'un potentiel humain immense, l'Afrique est à un tournant critique. Alors que la croissance devrait atteindre 3,4 % en 2024, le continent fait face à une dépendance aux matières premières, un déficit d’infrastructures, et une population active qui pourrait croître de 740 millions d’ici 2050. Des États, à l’instar du Ghana, de l’Afrique du Sud ou du Nigeria, proches de la faillite, cherchent désespérément des fonds pour éviter l’effondrement. Dans ce contexte, plusieurs puissances s’imposent en tant que partenaires potentiels. Mais au-delà des promesses, qui s'engagera réellement pour un développement durable et autonome de l’Afrique ?
Les Émirats arabes unis (EAU), le nouvel acteur clé qui redéfinit les alliances africaines
En l’espace d’une décennie, les Émirats se sont imposés comme le quatrième investisseur étranger sur le continent, avec des investissements cumulés de 60 milliards de dollars dans des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l’énergie renouvelable et l’agriculture. En 2023, Abou Dhabi a consacré 4,5 milliards de dollars à un fonds pour les énergies vertes, visant à installer 15 gigawatts d’ici 2030.
L’approche émiratie en Afrique se distingue par son pragmatisme et sa capacité d’adaptation. Plutôt que de se limiter à une simple logique de financement, les Émirats intègrent leur vision de la modernité et de l’efficacité en s’appuyant sur des infrastructures de pointe. À travers DP World et Abu Dhabi Ports Group, les Émirats contrôlent aujourd’hui une série de ports stratégiques en Afrique de l’Est – en Tanzanie, au Somaliland et au Mozambique – transformant la région en un carrefour logistique qui relie l’Afrique aux fux mondiaux de marchandises.
Ce réseau d’infrastructures logistiques, associé aux capacités portuaires émiraties, permet non seulement de soutenir les exportations africaines, mais aussi de renforcer les échanges Sud-Sud entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie, cohérent pour un nouveau membre des BRICS, et renforçant une proximité géographique et culturelle appréciée par leurs partenaires africains. En complément de cette dynamique économique, les Émirats investissent également dans des partenariats qui respectent la souveraineté africaine.
Contrairement à certaines puissances traditionnelles, les Émirats bénéficient de l'absence d'un passé colonial, et leur politique de non-ingérence inspire une réelle confiance. Les accords de libre-échange, comme celui signé avec le Congo-Brazzaville en 2024, englobent des domaines clés tels que les hydrocarbures, l’agriculture et les services, et témoignent de l’engagement des Émirats à construire des alliances mutuellement avantageuses, sans conditionnalités politiques visibles. L’initiative UAE – Africa Gateway, lancée en 2023, reflète également cette approche moderne et ouverte, visant à faciliter les investissements tout en soutenant des projets à forte valeur ajoutée dans le tourisme, les transports et l’agroalimentaire.
Chine : un géant aux apports à double tranchant
Depuis une vingtaine d’années, la Chine a établi une présence dominante en Afrique, avec des échanges commerciaux qui ont atteint 282 milliards de dollars en 2023. La même année, Pékin a injecté plus de 72 milliards de dollars dans les infrastructures du continent, notamment dans les ports, les routes et les voies ferrées, dans une dynamique sans précédent qui place l’Afrique au cœur de ses ambitions stratégiques.
Cet engagement s’inscrit dans le cadre de l'initiative "Belt and Road", lancée en 2013, qui a transformé les relations sino-africaines en une vaste architecture d’investissements, avec des prêts qui ont culminé à 28,4 milliards de dollars en 2016. Si cette coopération a permis de combler des lacunes infrastructurelles, elle soulève toutefois des inquiétudes croissantes quant à sa logique de dépendance. En échange de ces investissements massifs, les États africains contractent des dettes élevées, aujourd’hui estimées à plus de 134 milliards de dollars envers la Chine, engendrant une pression financière significative.
Ces prêts se concentrent sur des pays riches en ressources naturelles comme l’Angola, l’Éthiopie et le Kenya, avec des garanties adossées aux ressources stratégiques du continent, notamment le cobalt, le cuivre et le lithium. Les entreprises chinoises contrôlent ainsi des parts conséquentes de secteurs vitaux : elles détiennent 70 % de l’approvisionnement mondial en cobalt, une ressource cruciale pour les technologies vertes et l’électronique, dont l’essentiel provient de la République démocratique du Congo où 15 des 19 principales mines de cobalt sont sous gestion chinoise.
De plus, le traitement des travailleurs africains en Chine suscite de nombreuses interrogations sur le respect des droits humains, et la nature asymétrique de ce partenariat alimente la méfiance. Dans cette relation, l'Afrique doit encore déterminer jusqu’où elle souhaite sacrifier son autonomie au profit d’un développement rapide, mais risqué.
France : une présence résiliente malgré un héritage encombrant
Historiquement présente en Afrique, la France conserve son rang de deuxième investisseur étranger en Afrique subsaharienne, avec un stock d’investissements directs de 60 milliards de dollars en 2021.
Ses échanges commerciaux avec la région ont atteint un sommet de 26,7 milliards d’euros en 2022, bien que l’Afrique ne représente qu’une part modeste de son commerce extérieur global. Les projets français se concentrent dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, les télécommunications, la santé, et les hydrocarbures, ainsi que l’agriculture et les équipements mécaniques. Cependant, malgré ces engagements, l’ombre d’un passé colonial plane et ravive des tensions, notamment avec l’arrivée de nouveaux acteurs plus attractifs pour les jeunes générations africaines.
Évidemment, L’Hexagone peut encore compter sur la vitalité des diasporas, qui contribuent à renforcer les relations culturelles et économiques. En 2022, 61 projets d’investissement issus de l’Afrique ont été réalisés en France, le Maroc étant le principal contributeur africain en termes d’IDE nets, et des bureaux de Business France soutiennent cette dynamique dans des villes comme Casablanca, Dakar, Abidjan et Nairobi.
En réponse aux transformations et aux attentes des sociétés africaines, la France développe également des initiatives de production locale par ses filiales africaines, qui ont doublé et atteint une croissance annuelle moyenne de 2,3 % entre 2010 et 2020. La culture et la francophonie, vecteurs importants de cette coopération, favorisent également une vision de partenariats et d’échanges plus équilibrés.
États-Unis : un engagement fort, sujet aux aléas politiques
Les États-Unis, à travers l'African Growth and Opportunity Act (AGOA), ont cherché depuis 2000 à renforcer les échanges commerciaux avec l'Afrique. Avec 463 projets créés sous l’AGOA, l’investissement américain total s’élève à 31 milliards de dollars entre 2014 et 2018, favorisant l’exportation de textiles, de vêtements et de produits agricoles depuis des pays comme le Kenya, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud.
En 2022, l’administration Biden a annoncé de nouveaux engagements pour 15 milliards de dollars dans les infrastructures, la santé et la transition numérique, tandis que le Millenium Challenge Corporation (MCC) (fonds de développement créé par l'administration Bush) a injecté 8,85 milliards de dollars dans 25 pays africains depuis 2004. Malgré ces efforts, la politique américaine en Afrique reste fragile, souvent influencée par des changements politiques internes. Par exemple, le retour du Président Trump à la Maison Blanche fait craindre un recul dans la coopération économique, en raison de sa vision protectionniste et de son scepticisme envers l’aide étrangère. À cela s’ajoute naturellement la position hostile des américains à l’égard de la Chine.
L’influence croissante de Pékin susmentionnée a poussé les États-Unis à adopter une approche concurrentielle, notamment par des initiatives visant les minéraux stratégiques en Afrique. Washington intensifie ainsi son implication dans les secteurs critiques, comme l'exploitation du cobalt et du graphite, pour sécuriser ses chaînes d'approvisionnement.
Une dynamique concurrentielle souvent mal perçue en Afrique, où la population aspire davantage à des partenariats neutres et mutuellement bénéfiques, et non à devenir le terrain de jeux d’une rivalité entre superpuissances. Les investissements américains, aussi conséquents soient-ils, doivent donc encore se stabiliser et se centrer sur les besoins spécifiques du continent.
Pour les Africains, l'avenir de leur continent ne se résume plus à des flux d’investissements mais à la quête d’alliances respectueuses de leurs aspirations et de leur souveraineté. Au-delà des chiffres et des engagements, la clé réside dans la capacité des partenaires à contribuer à un développement durable, inclusif, et véritablement autonome. C’est en maîtrisant ces partenariats et en redéfinissant les conditions de leur coopération que l'Afrique pourra transformer ces alliances en leviers authentiques de progrès, reflétant pleinement son potentiel et ses ambitions.