Le WJP Rule of Law Index vise à fournir une évaluation systématique de l’État de droit dans 142 pays. Conçu pour promouvoir des normes de gouvernance fondées sur le respect des lois et la protection des droits, cet indice repose sur une méthode structurée en neuf facteurs : contraintes sur les pouvoirs du gouvernement, absence de corruption, ordre et sécurité, droits fondamentaux, gouvernement ouvert, application effective de la réglementation, accès à la justice civile, efficacité de la justice pénale, et justice informelle. Ces dimensions sont choisies pour offrir une vision holistique de l’adhésion des pays aux principes de l’État de droit, et chacune est mesurée à travers un ensemble de sous-indicateurs spécifiques.
Ces standards reposent historiquement sur une interprétation juridique occidentale, dérivée de textes fondateurs tels que la Magna Carta (1215), la Déclaration d'indépendance des États-Unis (1776), la Constitution américaine (1787), la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), et la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).
Ces documents ont construit une vision de l’État de droit centrée sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire et la protection des libertés individuelles — des valeurs qui, bien qu’universelles dans leurs principes, sont profondément ancrées dans l’histoire occidentale et le développement séculaire de ses institutions. Par conséquent, le WJP applique des critères d’évaluation qui s’adaptent naturellement aux pays où ces structures de gouvernance se sont consolidées au fil des siècles.
Pour des pays comme le Bénin, à la 93ème place en 2024, le classement standardisé du WJP ne reflète ni les particularités historiques ni les avancées spécifiques en matière de gouvernance. Le Bénin, indépendant seulement depuis 1960, a hérité des bouleversements laissés par le colonialisme, un cadre institutionnel instable et un parcours post-indépendance marqué par des transitions politiques et économiques répétées. Loin de disposer des structures d’États de droit occidentaux, le Bénin a dû reconstruire sa gouvernance en s’appuyant sur des institutions en formation, une réalité très éloignée de celles où l’État de droit s’est solidifié au fil des siècles dans un environnement stable.
Sous la présidence de Patrice Talon, le Bénin a entrepris un programme de réformes visant à moderniser le pays sur plusieurs fronts : infrastructures, fiscalité, éducation et digitalisation des services publics. Ces initiatives, qui ont renforcé la transparence et amélioré la gestion des finances publiques, montrent un engagement substantiel vers une gouvernance moderne et efficace. Par exemple, la digitalisation a transformé l'accès aux services de l’État, permettant aux citoyens d’effectuer des démarches administratives en ligne et réduisant ainsi les risques de corruption.
Certaines réformes, comme la création de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), sont perçues comme des mesures arbitraires dans le cadre du WJP. Ces mesures répondent pourtant aux impératifs de stabilité et de lutte contre des menaces multidimensionnelles, nécessaires pour un pays encore en phase de structuration institutionnelle. Contrairement aux interprétations uniformes de l’« État de droit », ces actions s’inscrivent dans un contexte de consolidation étatique, visant à renforcer la sécurité juridique et économique.
Le Bénin, malgré son classement de 93ème dans l’indice WJP, montre des progrès considérables dans un contexte historique et institutionnel qui devrait appeler à une évaluation plus nuancée. L’adoption d’une méthode d’évaluation contextualisée permettrait de rendre justice aux efforts de gouvernance déployés par des pays aux trajectoires singulières, tout en reconnaissant que l’État de droit peut se manifester sous différentes formes, adaptées aux réalités postcoloniales et aux objectifs de développement nationaux.
La gouvernance du WJP, largement influencée par ses donateurs, majoritairement issus des États occidentaux, pose des questions quant à sa capacité à cerner les spécificités des pays en développement, tels que le Bénin. Cette concentration de fonds et de perspectives occidentales pourrait restreindre la vision du WJP et l'amener à privilégier des critères et des méthodes d’évaluation qui correspondent à des standards déjà établis dans les pays donateurs. Dans un contexte de pluralité culturelle et institutionnelle, cette vision homogène peut, involontairement, renforcer une conception de l’État de droit biaisée, qui n’intègre pas les réalités singulières de pays aux trajectoires historiques et aux priorités socio-économiques différentes.
En classant les pays sur un continuum unique, il favorise une compétition implicite entre des États aux structures et aux défis fondamentalement incomparables. Ce modèle semble servir et renforcer la position d’un même groupe de pays, classés en tête d’année en année, sans que le classement ne reflète réellement les efforts et les progrès faits dans des contextes aussi diversifiés que celui du Bénin.
Une approche de notation individuelle, par lettres, pourrait être plus adaptée pour évaluer les progrès de chaque pays selon ses propres dynamiques et capacités : un système où A indiquerait un niveau très satisfaisant, B un niveau satisfaisant, C un niveau fragile et D un niveau insuffisant permettrait une lecture plus nuancée et constructive des progrès en matière de gouvernance.
Après plusieurs années d’existence, il est légitime de s’interroger sur l’impact réel de cet indice. Dans quelle mesure le WJP incite-t-il réellement les pays moins bien classés à engager des réformes ? Ne contribue-t-il pas plutôt à jeter l’opprobre sur des États marqués comme « déficients » ? Plutôt que de stimuler une dynamique positive, un tel classement ne soulignerait-il pas des écarts entre pays et des stéréotypes nocifs à la cohésion internationale ?