Le succès de nombreux joueurs africains et d’origine africaine dans les championnats internationaux les plus prestigieux cachent une réalité inquiétante pour le sport en Afrique : beaucoup de nos talents ne sont pas mis en valeur localement et n’ont pas les ressources nécessaires pour leur épanouissement… entrainant leur départ par millier et la stagnation de l’industrie sportive sur le continent.
Les stratégies prédatrices des clubs et des sélections nationales
À l’instar de la fuite des cerveaux ou de la fuite des bras, la fuite des jambes des pays en développement s’institutionnalise partout dans le monde et dans différentes disciplines sportives. Le Centre international d’étude du sport (CIES) révélait en 2018 que les footballeurs africains représentaient 27% des effectifs de première division en Asie et 23% en Europe. L’équipe qatarie de handball, finaliste des Mondiaux de 2015, offre peut-être l’exemple le plus poussé de naturalisation à tout-va de joueurs étrangers. En 2015, son équipe de 16 handballeurs comptait seulement deux natifs de l’émirat.
En mal de talents sportifs, ces pays riches mettent en place des stratégies agressives visant à capter les meilleurs joueurs. Pour attirer Serge Ibaka, étendard du basketball africain avec sa victoire au sein des Toronto Raptors aux play-offs de la NBA 2019, l’Espagne l’a naturalisé en 2011, alors qu’il l’avait été pour les États-Unis dès 2009, n’y ayant joué que 3 petites années. En parallèle du droit du sang et du droit du sol, le droit de l’argent dicte donc ses lois quand on en vient à la nationalité sportive. Un certain nombre de clubs, tels que l’Arsenal Soccer School, la Barcelona Escola ou encore la PSG Academy, vont même jusqu’à délocaliser leur centre de formation en Afrique, accélérant le drainage du vivier de talents africains, par le biais d’investissements locaux et de programmes de recrutement précoce.
La fuite des jambes, un corollaire des schémas migratoires
Corollaire des schémas migratoires, la fuite des jambes africaines comporte cependant ses success-stories. Elles se nomment Eduardo Camavinga, Musa Juwara, ou encore Alphonso Davies. Ex-réfugiés angolais, gambien ou ghanéen, ils évoluent aujourd’hui en Europe ou en Amérique du Nord et suscitent de multiples vocations. Plus de 6000 mineurs quittent « chaque année l’Afrique pour tenter leur chance à l’étranger » selon l’ONG Foot Solidaire.
Néanmoins, les échecs sont là et rappellent brutalement certaines des jeunes pousses africaines à leur statut de migrants. Ces sportifs bloqués dans les championnats amateurs d’Europe, de Turquie ou d’Amérique du Nord finissent empêtrés dans les méandres de l’immigration ordinaire. Flairant le bon filon, les réseaux criminels et pseudo-agents y voient là un jackpot à exploiter, au grand dam de nos talents et de leurs familles.
Des réponses associatives pour parer dans l’immédiat
Au front, plusieurs acteurs associatifs, sociaux et sportifs luttent pour améliorer les perspectives d’avenir de ces jeunes sur le continent, à l’image du camerounais Henri Bedimo, du franco-ghanéen Marcel Desailly ou encore de l’ivoirien Didier Drogba.
Des centres de formation comme Génération Football et Djambars au Sénégal, ou leur équivalent camerounais de la Kadji Sport Académie et de l’École de Football des Brasseries Camerounaises ont permis d’engranger des victoires à la CAN, aux JO comme en Coupe du Monde, tout en intégrant une dimension psycho-sociale à leur centre de formation : « Si seulement 10% des jeunes qui entrent pleins d’espoirs ressortent avec un contrat de joueur professionnel, les autres sont parés avec des diplômes et une éducation. L’objectif est bien sûr de former des footballeurs de haut niveau, mais s’ils ne font pas carrière, ils seront armés pour s’en sortir dans la vie. » expliquait l’un des directeurs du Djambars.
Plus que jamais, l’Afrique doit se doter de politiques sportives ambitieuses
Ainsi, des pistes de réponses se dessinent pour faire vivre le sport sur nos territoires. Au Nigéria, en RDC ou en Algérie, les autorités cherchent à renationaliser leurs coaches sportifs dans les sélections nationales et dans les grands clubs locaux. Côté championnat, le CHAN (Championnat d’Afrique des nations de football) voit se confronter tous les deux ans les sélections nationales des joueurs évoluant dans un club de leur pays. De même, la CAN (Coupe d’Afrique des Nations), les Jeux Africains ou les Jeux de la Francophonie sont autant de rencontres qui contribuent à définir la pleine mesure du soft power sportif de l’Afrique.
Mais c’est bien loin d’être suffisant. Pourquoi ne pas encourager à une meilleure valorisation des parcours locaux par la sphère médiatique ou institutionnelle, avec la création de nouveaux prix et événements encourageant les célébrations locales ?
Par ailleurs, le budget alloué aux sports ne représente encore que 0.5% des dépenses des gouvernements africains. Une bagatelle comparée à la moyenne mondiale de 2% - d’autant plus que les budgets nationaux sont plus volumineux en Europe, en Asie ou en Amérique. Si les disciplines maîtresses (football masculin, athlétisme) souffrent gravement de ces manques chroniques, que dire alors de l’ensemble des fédérations féminines, des arts martiaux ou encore de l’e-sport ?
Constat déplorable car le sport incarne un pan majeur du rayonnement culturel et économique du continent. Il est plus que temps pour nos autorités de passer aux actes. L’Afrique a laissé filer pendant des décennies ses cerveaux, ses bras et ses jambes, et se retrouve aujourd’hui face à son plus grand défi : faire corps avec son histoire.