Golfe d'Aden - Djibouti épinglé comme nouvelle plaque tournante du trafic d'armes

9 Avril 2021
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InfoWire

Le document fait tache à trois semaines de l’élection présidentielle djiboutienne. Le 9 avril, Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, briguera à 73 ans un cinquième mandat face à l’homme d’affaires Zakaria Ismaïl Farah.

C’est peu avant cette échéance électorale qu’un rapport du Peace Research Institute Frankfurt (PRIF), paru le 24 mars, pointe la responsabilité croissante de cette enclave cernée par les pays en crise, entre Yémen, Erythrée et Somalie, dans le trafic d’armes régionale.

Pour Matthias Schwarz, spécialiste du contrôle des armes au PRIF, le pays d’un million d’habitants, situé à deux pas du détroit de Bab-el-Mandeb, où transite une grande part du commerce mondial entre Asie et Occident, devient de plus en plus un hub régional pour le transfert des armes.

Plusieurs raisons l’expliquent. La guerre au Yemen d’abord. Elle oppose le pouvoir, appuyé par une coalition emmenée par l'Arabie saoudite, aux rebelles houthis qui contrôlent une partie du pays depuis leur offensive en 2014. Avec ce conflit, le trafic d’armes n’a cessé d’augmenter dans la région.

Autre raison, l’Erythrée jouait traditionnellement le rôle de point focal du trafic d’armes. Par exemple lorsque l’Iran déployait sa marine dans le port érythréen d’Assab pour faire parvenir des armes à des alliés régionaux, au Hezbollah (Liban), au Hamas (Palestine) ou aux Houthis (Yemen) via le Golf d’Aden et la mer Rouge.

Mais la donne a changé. L'Erythrée et l'Ethiopie ont signé le 9 juillet 2018 une déclaration mettant fin à deux décennies de guerre. L’Erythrée tente depuis de se défaire de sa mauvaise réputation : le pays a été retiré de la liste américaine des pays non-coopératifs dans la lutte contre le terrorisme et a bénéficié de la levée de sanctions onusiennes.

Dans ce contexte régional changeant, Djibouti devient une plaque tournante des armes de contrebande entre le Yemen et la Somalie, avance le rapport.

Ainsi de la Chine par exemple. L’Empire du Milieu, omniprésent dans les ports djiboutiens, utilise sa forte présence à Doraleh pour l’expédition illégale d’armes vers l’Afrique de l’Est et le Yemen, selon des témoins oculaires cités dans le rapport. En 2018, au port de Doraleh, du fret chinois à destination de l’Afrique de l’Est et du Yemen contenait, selon ces témoignages, des lanceurs de rockets, des missiles antichars et d’importantes quantités de munitions chinoises.

« Les allégations selon lesquelles le gouvernement djiboutien accepterait les termes de ce commerce illégal pour rééquilibrer sa dette vis-à-vis de la Chine et en vue de gains personnes sont plausibles », écrit l’auteur du rapport. Une multitude de projets d’infrastructures ont vu la dette djiboutienne augmenter de 50 à 85% du PIB entre 2015 et 2017. Une majeure partie de cette dette est chinoise et a conduit à des renégociations tendues. Une dette chinoise inquiétante alors qu’un autre rapport publié par AidData, un institut spécialiste des questions de développement à Washington, le Kiel Institute en Allemagne et le Peterson Institute for International Economics, montre le revers des aides chinoises au développement : une politique de prédation et une menace pour la stabilité politique.

Ce n’est pas la première fois que des allégations concernant un possible trafic d’armes djiboutien  sont formulées. Déjà, en 2018, un rapport de E.X.X Africa, une société spécialisée dans l'analyse des risques politiques et économiques en Afrique (la société a depuis été renommée Pangea-Risk), mettait en cause la responsabilité de hautes personnalités politiques, militaires et de chefs d'entreprises publiques djiboutiens dans un trafic d’armes venant du Yémen et de la Chine. Elles transitaient alors par le port de Doraleh d’où elles étaient acheminées à des groupes rebelles en Somalie, au Soudan, au Soudan du Sud et en Ethiopie.

Djibouti, pivot du trafic d’armes dans le golfe d’Aden ? La tendance a tout récemment à nouveau été entérinée, de manière plus inquiétante cette fois.

Dans une vidéo publiée samedi 27 mars, le groupe djihadiste somalien Shebab, qui conduit une violente rébellion armée contre le pouvoir en place en Somalie, s’en est vigoureusement pris au président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, l’accusant de faire de Djibouti « une base militaire d’où toutes les guerres contre les Musulmans d’Afrique de l’Est sont fomentées et exécutées ». Il a appelé en représailles à des attaques sur les intérêts français et américain à Djibouti.

La pression monte donc sur le pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh, dans un pays où la famille et les proches du Président ont la mainmise sur l’ensemble des activités économiques, tout particulièrement celles du port de Doraleh.

Dont l’activité a de surcroît été nationalisée. En 2018, la République de Djibouti avait unilatéralement décidé de mettre un terme au contrat de concession, signé douze ans plus tôt, avec l’opérateur portuaire dubaïote DP World pour la construction et la gestion sur trente ans du terminal à conteneurs de Doraleh – fustigeant un contrat attentatoire à la souveraineté djiboutienne.

Pourtant, la pression internationale reste très faible sur Djibouti, rappelle le PRIF dans son rapport. Et pour cause : le monde entier se bat pour le contrôle de la mer Rouge et Djibouti constitue un point d'appui stratégique pour y parvenir.

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