Le Soudan, nouvelle scène pour les mercenaires étrangers

3 Février 2025
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InfoWire
communiqué de presse

Ils sont venus protéger des puits de pétrole, ils se battent pour une cause qui leur échappe. Le “piège” tendu aux mercenaires colombiens illustre une guerre qui dépasse les frontières

Ils pensaient garder des installations pétrolières aux Émirats, ils se retrouvent à combattre dans les dunes du Darfour. En novembre, des passeports colombiens ont été découverts près de la frontière libyenne par des milices pro-gouvernementales soudanaises. Ces anciens militaires, “trompés” par des promesses de sécurité privée, disent se retrouver pris au piège d’une guerre qui n’est pas la leur. Certains parlent de traite humaine. Une histoire qui reflète à elle seule l’internationalisation d’un conflit devenu l’épicentre des ambitions régionales et mondiales.

Mercenaires : l’extension internationale de la guerre soudanaise

Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans une guerre civile dévastatrice opposant l’armée soudanaise (SAF) aux Forces de soutien rapide (RSF). Ce conflit interne, aux accents de lutte de pouvoir locale, a rapidement pris une dimension internationale, avec l’implication croissante de mercenaires étrangers. Une réalité qui reflète le rôle de plus en plus central du pays dans les rivalités géopolitiques et économiques régionales et mondiales.

Sur le terrain, des combattants venus de plusieurs continents se mêlent à la guerre. Selon des rapports récents publiés par The Guardian et Le Monde, des mercenaires tchadiens, nigériens, libyens, et même colombiens ont été recrutés pour renforcer les forces des RSF. À Khartoum, des témoins affirment avoir entendu des combattants parler français, une preuve indirecte de la présence de soldats tchadiens ou nigériens. Ces recrutements transnationaux s’inscrivent dans une logique d’alliances tribales, mais aussi dans une économie de guerre alimentée par les ressources naturelles du Soudan, notamment l’or.

Dans le camp opposé, l’armée soudanaise n’est pas exempte de soutien extérieur. Selon une enquête de Middle East Eye, des mercenaires égyptiens auraient été mobilisés pour renforcer les rangs de la SAF, notamment dans le domaine stratégique de l’aviation militaire. Des pilotes expérimentés et des conseillers auraient contribué à optimiser l’utilisation de drones sophistiqués, notamment les Bayraktar TB2, fournis par la Turquie via l’Égypte. Ces équipements, bien que limités en nombre, ont permis à l’armée d’équilibrer partiellement la domination aérienne sur certaines régions clés.

Les Forces de soutien rapide et leur stratégie de financement

Les Forces de soutien rapide, dirigées par Mohamed Hamdan Dogolo, dit « Hemeti », contrôlent une grande partie des mines d’or du pays, troisième producteur d’Afrique. Cette manne financière leur permet d’attirer des mercenaires avec des salaires bien supérieurs à ceux généralement pratiqués en Afrique subsaharienne. Ces recrues étrangères viennent ainsi renforcer les rangs des RSF, ce qui exacerbe l’intensité et la durée des combats.

Dans la lignée des pratiques de ses rivaux, la SAF s’appuie également sur des réseaux économiques extérieurs. Des rapports du New York Times et de l’International Crisis Group suggèrent que certaines alliances stratégiques avec des acteurs régionaux, comme l’Iran, pourraient inclure des accords pour la fourniture d’armements et d’assistance technique. Les drones iraniens, réputés efficaces, auraient été déployés pour des missions de reconnaissance et des frappes ciblées.

L’ombre de la Russie et le rôle de Wagner

Le groupe paramilitaire russe Wagner joue également un rôle trouble dans ce conflit. Accusé de fournir un soutien logistique et militaire aux deux camps, Wagner est soupçonné de profiter des ressources naturelles soudanaises pour financer ses propres opérations. Selon des experts cités par Reuters, des mines d’or détenues par les RSF auraient signé des contrats avec des entités liées à Wagner, ce qui a renforcé d’ailleurs l’interconnexion entre le conflit soudanais et les ambitions géopolitiques de la Russie.

Si le groupe nie officiellement sa participation directe, des conseillers techniques auraient été déployés pour former des combattants soudanais. Cette intervention, bien que discrète, reflète la volonté de Moscou de maintenir une présence stratégique dans la région tout en exploitant les ressources locales pour contourner les sanctions internationales.

Colombiens dans la tourmente

Un autre élément inattendu est l’implication d’anciens militaires colombiens. En novembre dernier, des passeports et identités colombiennes ont été découverts par des milices pro-gouvernementales près de la frontière libyenne, selon une enquête de La Silla Vacía. Ces mercenaires affirment avoir été recrutés sous de faux prétextes, croyant qu’ils allaient protéger des installations pétrolières avant de se retrouver au cœur du conflit. Certains, aujourd’hui bloqués au Soudan, dénoncent une véritable opération de traite humaine orchestrée par des entreprises privées liées à des figures controversées en Colombie.

Une guerre façonnée par des acteurs régionaux

Le Soudan est devenu le théâtre d’une guerre par procuration où des puissances régionales testent leur influence. La Libye, par l’intermédiaire du maréchal Khalifa Haftar, soutient les RSF en facilitant l’acheminement d’armes. Dans le même temps, l’Égypte, en soutien à l’armée soudanaise, aurait dépêché des experts et fourni des équipements militaires critiques pour aider à contrer les RSF, selon des informations du Wall Street Journal. Ce jeu d’alliances transnationales, où se croisent intérêts économiques et géopolitiques, complique encore davantage les efforts de résolution.

Les Nations Unies et d’autres organisations internationales peinent à répondre efficacement à la crise. L’absence de consensus parmi les grandes puissances, notamment en raison de leurs intérêts divergents au Soudan, bloque tout progrès significatif vers une solution pacifique. Résultat : plus de 12 millions de déplacés, une crise humanitaire sans précédent et un pays au bord de l’effondrement.

Et maintenant ?

La guerre au Soudan révèle une tendance inquiétante : l’internationalisation des conflits locaux. Avec les SAF qui bénéficient du soutien discret mais tangible de certains États et les RSF qui s'appuient sur un réseau global de financements et d’alliés, le conflit est devenu un terrain d’affrontement des ambitions géopolitiques. Sans une intervention internationale cohérente et concertée, le Soudan risque de devenir le modèle d’une nouvelle forme de guerre mondiale, où les frontières s’effacent au profit d’intérêts économiques et stratégiques.

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